Le 30 juin 1991, le Population Registration Act, l’une des lois pillers de l’apartheid, était aboli. Trente ans plus tard, la ségrégation raciale n’existe plus en Afrique du Sud. Mais un autre apartheid existe toujours. En 2019, le président Cyril Ramaphosa, arrivé au pouvoir un an plus tôt, admettait : « Nous ne pouvons pas être une nation libre tant que tant de gens vivent dans la pauvreté, n’ont pas assez à manger, n’ont pas de toit digne de ce nom, n’ont pas accès à des services de santé de qualité, n’ont pas les moyens de gagner leur vie ». Si les Noirs ont désormais les mêmes droits que les Blancs, les disparités persistent. Selon l’Institut sud-africain des relations entre les races (IRR), 20 % des foyers noirs vivent dans une extrême pauvreté, contre à peine 3 % des foyers blancs.
« Nous ne sommes pas libres car nous n’avons pas la liberté économique »
Cette discrimination économique s’accompagne d’un manque de courage politique. Car si l’apartheid est officiellement terminé, le racisme est inhérent dans la société sud-africaine. Interrogée en 2017 sur le concept de « nation Arc-en-ciel » inventé par l’archevêque Desmond Tutu, Willie Mandela, la veuve de Nelson, répondait : « Les couleurs de l’arc-en-ciel ne se mélangent pas et qu’il n’existe parmi elles ni la couleur noire ni la blanche. La comparaison n’a donc pas de sens ». La militante parlait alors « d’un mythe total auquel les dirigeants de l’époque ont voulu nous faire croire. C’était un vœu pieux qui n’a jamais correspondu à la moindre réalité. La réconciliation n’a été qu’une façade ; nous ne sommes pas libres car nous n’avons pas la liberté économique ».
L’abolition de l’apartheid n’était que le début de la lutte
« Sous bien des aspects, l’Afrique du Sud d’aujourd’hui reste le domaine de la minorité blanche », poursuivait Willie Mandela. En se transformant en parti politique structuré, en intégrant les arcanes de l’Etat et en ne luttant pas assez contre la corruption en son sein, l’ANC a raté sa mutation. Comme le disait la veuve de Nelson Mandela, « l’ANC a besoin de sang nouveau pour mener l’Afrique du Sud sur le chemin de la liberté ». Depuis, Ramaphosa est arrivé au pouvoir. Mais avec plus de la moitié des jeunes Sud-Africains au chômage, avec des ghettos, comme Soweto, toujours réservés aux Noirs et avec un capital qui reste entre les mains de la minorité blanche, l’ANC semble n’avoir pas mesuré à quel point l’abolition de l’apartheid n’était que le début de la lutte.