Dhafer Youssef est un musicien incontournable de la scène jazz mondiale. Depuis deux décennies, ses concerts remplissent les salles européennes les plus prestigieuses d’admirateurs dévoués. On tend pourtant à oublier l’oudiste Tunisien au génie évident, dans son propre pays.
Dhafer bin Youssef bin Tahar Maaref est un chanteur, musicien et chef d’orchestre tunisien. Son talent d’improvisation et ses nombreuses collaborations avec les meilleurs instrumentalistes du monde ont fait son succès.
Le jazzman a été avant tout un chanteur de « Madih » soufi, de la Tariqa du Sud tunisien, qu’on peut retrouver aussi au Maroc et au Sénégal. Ce passif religieux a encouragé le jeune Dhafer à diversifier sa musique dès sa tendre jeunesse, explorant la poésie d’al-Hallaj et pratiquant le luth arabe. Entre 1980 et 1988, lorsqu’il était adolescent, il chantait dans les fêtes mariages et se faisait inviter sur les radios nationales.
Il a ensuite passé le gros des années 1990 à Vienne, où il a poursuivi un diplôme d’études musicales et se produisait dans les concerts de Jazz clandestins en Autriche, en Allemagne et en France. Dhafer a été produit par son premier label allemand Enja Records, avec qui il a fait trois albums. Il a ensuite passé la décennie suivante à Paris, les meilleurs musiciens mondiaux ont commencé à faire des collaborations avec Dhafer. Peu à peu, il a envahi les scènes des festivals Jazz.
Les derviches invisibles
C’était en 2015, en compagnie de l’illustre clarinettiste Hüsnü Şenlendirici, qu’il a composé son arrangement le plus connu, Dance of the invisible dervishes – comprenez la danse des derviches invisibles – qui a réuni les meilleurs jazzmen de notre temps. Avec Eivind Aarset, Aytaç Doğan, Kristjan Randalu, Phil Donkin, Dhafer et Hüsnü, le résultat était unique. Le chef de la bande s’est assuré de mettre en valeur chacun des musiciens via un solo intégré dans les phrases musicales exquises.
Dance of the invisible derviches était un exploit culturel, au-delà de la performance artistique. Personne n’a avant l’arrangement, ou depuis, réuni des instruments aussi hétérogènes autour d’une musique si harmonieuse. La musique soufie des deux côtés de la méditerranée, accompagnée du purisme chaotique du Jazz, est depuis réclamée à chaque concert de Dhafer Youssef.
Un génie méconnu
Toutefois, mis à part trois invitations à se produire en Tunisie, dont une clôture du Festival International de Carthage, l’artiste est très peu connu en Tunisie. A vrai dire, on le connait plus en Egypte et au Maroc que dans son propre pays.
C’est d’ailleurs là une représentation triste et bien claire de la scène musicale africaine. Les artistes ne font carrière qu’à l’étranger. Et au contraire des footballeurs, des intellectuels ou des entrepreneurs, le talent des artistes est généralement inhérent à leur culture, à part de rares exceptions.
Néanmoins, cette capacité intrinsèque de Dhafer Youssef n’a pas eu de répondant sur notre continent. Il continue cependant d’enchainer les succès à l’étranger, pendant que des chanteurs aux dons limités et au brio inexistant continuent d’occuper la scène musicale dans son pays. Cependant, Dhafer ne se décourage pas, son répertoire compte 10 albums, 13 arrangements orchestraux, des centaines de concerts et des dizaines de prix.