Avec 3,8 millions de cas de Covid-19 déclarés et la barre des 100 000 décès qui vient tout juste d’être franchie, l’Afrique s’en sort relativement bien, en comparaison des chiffres planétaires. Mais doit-on croire ces chiffres ?
Les statistiques sont flatteuses : avec 3,8 millions de cas déclarés et à peine un peu plus de 100 000 décès, le continent africain semble résister à la deuxième vague de Covid-19. Mais en l’absence de dépistage massif, estiment les spécialistes, ces chiffres pourraient être sous-évalués. Fin janvier, l’ONG Alima tirait la sonnette d’alarme à propos des chiffres africains : « Les chiffres s’emballent. D’un point de vue européen, où le nombre de contaminations se compte en centaines de milliers, ils peuvent paraître encore faibles. Pourtant, ils ne reflètent la réalité que de manière très limitée, estime l’ONG. Seuls 1 000 à 2 000 tests sont réalisés chaque jour dans des pays de plusieurs millions d’habitants, soit 300 fois moins qu’en Europe. Et une partie concerne surtout les voyageurs ».
Pourtant, lorsqu’elle publie les chiffres des cas déclarés et des décès dus au coronavirus, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) se base bien sur les statistiques livrées par les Etats. Et lorsqu’on rappelle aux médecins de différents pays africains que leurs chiffres sont extrêmement bas, ils rétorquent qu’ils n’ont pas observé de mortalité massive.
Un argument qui pourrait se tenir, s’il était facile pour tous les pays de mesurer en temps réel leur taux de mortalité. Or, précise l’agence de presse BBC, à peine huit pays africains auraient un système viable d’enregistrement de l’état civil (CRVS) — l’Egypte, le Cap-Vert, l’Afrique du Sud, l’Algérie, Sao Tomé-et-Principe, la Tunisie, Maurice et les Seychelles —, un système qui permet, entre autres, d’accéder aux statistiques de mortalité due à la pandémie de coronavirus.
Un système vital : avoir les statistiques les plus proches de la réalité est vital pour la prévention de la propagation du virus, car elle offre l’accès à l’âge, au profil sanitaire ou encore aux conditions de traitement des personnes décédées à cause de la Covid-19. D’où l’insistance de l’OMS, qui milite pour que les pays africains améliorent leur CRVS, voire le créent.
Car la réalité des chiffres continentaux serait bien différente, si l’on en croit les chercheurs de la Commission économique pour l’Afrique, qui ont publié les statistiques de la mortalité due à la Covid-19 que les Nations-Unies ont pu récolter sur le terrain. Les chiffres sont loin d’être bons. Bien que la documentation sur les décès soit issue de rapports régionaux, qui ne peuvent pas être utilisés pour établir des statistiques nationales, la conclusion des experts laisse penser que le coronavirus est plus virulent qu’on le pense en Afrique.
S’approcher de la réalité grâce à la notion de mortalité excédentaire
Afin d’obtenir des statistiques rapides, permettant une appréciation rapide de la situation épidémiologique, il est possible d’utiliser la notion de mortalité excédentaire. Une méthode peu conventionnelle mais qui donne une idée globale de la réalité, au-delà des statistiques officielles. L’observation de la mortalité excédentaire permet de comparer les chiffres des décès durant une période avec ceux des années précédentes.
On obtient ainsi des tendances qui, certes, ne permettent pas de publier des statistiques précises, mais qui peuvent servir à déduire les morts factuelles, directes et indirectes, causées par le contexte très particulier de la pandémie. Autrement dit, on sait combien de personnes environ sont décédées à cause des systèmes sanitaires monopolisés par le virus, à cause de la peur des malades de se rendre dans les hôpitaux ou encore à cause des effets de la crise économique due à la pandémie.
La revue scientifique médicale The Lancet, à travers une étude qui a couvert les 118 pays les plus pauvres du monde, dont les pays africains, a publié des chiffres alarmants : dans la totalité de ces pays, on déplore plus d’un million d’excès en termes de mortalité infantile et 56 700 décès maternels supplémentaires en 2020, par rapport à 2019.
Sans des systèmes CRVS fiables, point de salut
Certains pays africains comme le Nigeria, qui essaye depuis quelques mois d’installer un système CRVS stable, ont parfois du mal à déterminer les causes réelles des décès. Et cela donne des statistiques étonnantes : le Nigeria comptabilise à peine neuf décès dus à la Covid-19 pour un million d’habitants. C’est bien en dessous de la moyenne mondiale, qui s’élève à 309. Sauf que tous les décès ne sont pas enregistrés au CRVS : 21 % du total des décès en 2020, contre 10 % en 2017. Impossible dans ce cas d’obtenir des indicateurs fiables.
La raison selon le rapport de la CEA serait le manque de confiance des populations dans leur gouvernement. C’est le cas pour le Nigeria et pour huit autres nations africaines. Les populations n’ont pas l’obligation d’enregistrer les décès et de déposer les rapports médicaux des personnes mortes. Conséquence : dans les rues, on estime que la Covid-19 n’est qu’un leurre, une invention de l’Etat. D’après la CEA, plus de la moitié des Nigérians le pensent.
Vers plus de transparence
Certains pays africains trouvent des solutions originales pour améliorer leur CRVS. Le ministère centrafricain de la Santé, par exemple, offre des aides humanitaires (médicaments, nourriture…) aux citoyens qui fournissent des informations sur les décès de leurs proches, avec un bonus pour les données plus précises lorsqu’il s’agit de morts causées par une virose.
Au Tchad et au Liberia, on a adopté le système des « autopsies verbales ». Les opérateurs du secteur de la santé posent ainsi des questions aux parents les plus proches d’une victime afin de déterminer les circonstances du décès.
Au Rwanda et au Mozambique, une application pour les téléphones portables a été mise à disposition des citoyens afin de notifier les autorités des décès et fournir les informations relatives, tout en gardant la distanciation sociale.
En attendant, les Etats avancent à l’aveugle. L’arrivée de variants inquiète. Une quarantaine de pays africains sont confrontés au coronavirus. Sur le continent, le taux de létalité lié au virus aurait dépassé les 2,6 %. C’est plus que la moyenne mondiale. En janvier, le nombre de décès a augmenté de 40 %. Mais, faute de chiffres fiables, difficile de juger comme il se doit l’évolution de la pandémie sur le continent.