La prévalence du travail des enfants, et éventuellement d’autres sujets sensibles, ne sont pas mesurés avec précision, écrit Marine Jouvin, doctorante, qui décrit le cas des cacaoyères ivoiriennes.
Les preuves du travail des enfants dans les exploitations cacaoyères d’Afrique de l’Ouest avaient été rendues publiques à la fin des années 1990, avec la parution d’articles de presse documentant l’existence d’activités dangereuses effectuées par des enfants dans les exploitations cacaoyères. Depuis lors pour mettre fin au travail des enfants, des pressions toujours plus fortes n’ont eu de cesse d’être exercées sur l’industrie du cacao, notamment par la société civile et plus récemmenr par les organismes de régulations américain et européen.
Afin de répondre à la demande des consommateurs pour une exploitation du cacao plus durable et conforme à l’éthique, ce secteur a commencé à utiliser des systèmes de certification à la fin des années 2000. Les labels de certification, tels que Rainforest Alliance et FairTrade, visent, entre autres, à garantir un cacao produit sans recourir au travail des enfants.
Selon les estimations, entre un tiers et la moitié du cacao vendu dans le monde est actuellement certifié.
En septembre 2001, en ratifiant le Protocole Harkin-Engel, l’industrie du cacao s’est engagée à réduire de 70% les formes de travail les plus dangereuses d’ici 2020. Pourtant, la Côte d’Ivoire, premier producteur mondial de cacao, est toujours confronté au travail des enfants dans ses plantations de cacao.
En effet, le nombre d’enfants de moins de 18 ans travaillant dans les plantations de cacao (certifiées ou non) a, en réalité, augmenté entre 2013 et 2019, et tourne autour de 790 000. Il semble que 97 % d’entre eux effectuent certaines tâches les plus dangereuses, à savoir le défrichage, la récolte du cacao à la machette ou répendre les produits agrochimiques dans les plantations de cacao.
Dans mon nouveau travail de recherche axé sur les producteurs de cacao certifiés en Côte d’Ivoire, je soutiens que le nombre réel d’enfants travailleurs est probablement encore plus élevé, car les données sur le travail des enfants peuvent être biaisées. Les résultats indiquent également que la certification ne fonctionne pas comme prévu dans ce domaine.
Le travail des enfants dans la filière cacao
J’ai constaté que le taux de prévalence du travail des enfants est probablement sous-estimé dans les études menées tant par les chercheurs que par l’industrie du cacao, en raison d’une notion appelée « biais de désirabilité sociale ». Cette notion fait référence aux gens qui sont réticents à fournir des réponses totalement sincères sur des sujets sensibles par crainte de conséquences négatives.
Dans le cas du travail des enfants dans les cacaoyères ivoiriennes, les agriculteurs certifiés peuvent mentir à ce sujet, les systèmes de certification auxquels ils ont souscrit interdisant toutes les formes de travail des enfants. De même, le travail dangereux est interdit par la législation nationale.
La crainte de répercussions juridiques, sociales ou économiques conduit sans doute les agriculteurs certifiés à sous-estimer le recours au travail des enfants. Ce qui rend plus difficile l’évaluation précise de l’ampleur du problème et l’adoption des politiques efficaces pour le combattre.
Questions sensibles
Mon étude s’est appuyée sur une méthode d’enquête de type expérience de liste. Celle-ci permet de questionner les répondants sur des sujets sensibles d’une manière plus indirecte que les enquêtes standards.
Le taux de prévalence de l’utilisation du travail des enfants, calculé à l’aide de la méthode indirecte, est deux fois plus élevé que celui obtenu à partir des questions directes. Grâce aux expériences de liste, j’ai découvert qu’en fonction des activités concernées, 21 à 25 % des producteurs de cacao interrogés ont fait travailler des enfants au cours des 12 derniers mois. Cette différence semble indiquer qu’au moins la moitié des producteurs de cacao ivoiriens qui emploient des enfants dans leurs exploitations certifiées, ne sont pas prêts à l’admettre.
Pourquoi dépendre des enfants
Les principaux facteurs sont, entre autres, les défaillances des marchés du travail, le manque d’infrastructures scolaires et les difficultés à contrôler les cacaoculteurs certifiés utilisant des enfants, principalement en raison de l’éloignement des plantations.
La production de cacao requiert une part importante d’activités physiques, car de nombreuses tâches associées à la culture du cacao ne sont pas mécanisées. De plus, les prix du cacao en Côte d’Ivoire étant fixés de manière saisonnière, la seule façon pour les agriculteurs d’accroître leurs revenus est d’intensifier leur production, d’où une augmentation de la main d’œuvre.
Dans le même temps, la tendance veut que les cacaoyères ivoiriennes soient regroupées dans les communautés productrices de cacao. Cela signifie que la main-d’œuvre adulte locale est rare, car la plupart des adultes valides travaillent dans leurs propres plantations de cacao et ne cherchent pas de travail dans d’autres exploitations.
En raison de cette défaillance du marché du travail – il y a plus de besoins de main-d’œuvre là où elle n’est pas disponible – davantage de cacaoculteurs dépendent du travail des enfants. Ce phénomène est encore plus marqué lorsque les exploitations cacaoyères sont situées dans des communautés éloignées, peu accessibles par la route. Le recours au travail des enfants pour les producteurs de cacao est alors en partie dû à la pénurie de main-d’œuvre adulte. Cette constatation est encore confirmée par le fait que la présence supplémentaire d’un adulte dans un ménage de cultivateurs de cacao réduit d’au moins 4 % la probabilité de dépendre du travail des enfants.
J’ai en outre constaté que le taux de prévalence du travail des enfants est plus élevé dans les exploitations agricoles plus éloignées, ce qui peut s’expliquer par une application moins stricte de la loi dans ces zones, par une insuffisance des travailleurs adultes et par des possibilités limitées pour les enfants d’aller à l’école en raison du manque d’infrastructures scolaires.
Conclusion
Considérés globalement, ces résultats indiquent surtout que le taux de prévalance de travail des enfants, et potentiellement d’autres sujets sensibles, n’ont pas été mesurés avec précision. Par ailleurs, ils montrent que le travail des enfants est toujours un problème endémique en Côte d’Ivoire, même dans les plantations de cacao certifiées sans travail des enfants.
Comprendre les diverses raisons justifiant le recours permanent des agriculteurs au travail des enfants et leur réticence à l’admettre est une première étape majeure dans la conception de politiques plus efficaces.
En prenant en compte le phénomène du biais de désirabilité sociale dans les recherches futures, les gouvernements et les partenaires du développement peuvent peuvent être amenés à mesurer avec plus de précision le travail des enfants à et à éclairer l’élaboration de politiques plus efficaces.
Marine Jouvin, doctorante en économie du développement, Université de Bordeaux
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.