Alors qu’Alassane Ouattara assure que la réconciliation est sa priorité, les tensions entre le président ivoirien et son prédécesseur, Laurent Gbagbo, se sont envenimées.
C’était le 15 décembre 2020. À l’époque, Laurent Gbagbo attendait patiemment son passeport pour un retour très attendu en Côte d’Ivoire. Le Premier ministre Patrick Achi annonçait alors la désignation de Kouadio Konan Bertin à la tête d’un nouveau ministère, celui de la Réconciliation nationale, dont l’objectif affirmé était de renforcer « la cohésion nationale et la réconciliation des fils et des filles de Côte d’Ivoire ». Il s’agissait surtout à ce moment-là de régler le « problème » Gbagbo. Ou, pour Alassane Ouattara, comment faire revenir l’ex-président au pays sans perdre la face.
Depuis, Laurent Gbagbo est effectivement revenu chez lui. Multipliant les signaux contradictoires : certains le voyaient prendre une retraite bien méritée. D’autres le pressaient pour revenir en politique et sauver ce qu’il restait du Front populaire ivoirien (FPI). Avant de quitter ce dernier et de créer le Parti des peuples africains (PPA-CI), Gbagbo a surtout joué au chat et à la souris avec Alassane Ouattara. Ce n’était alors un secret pour personne : les deux dirigeants se détestaient. Mais plusieurs appels et rencontres entre Ouattara et Gbagbo ont finalement eu lieu. Jusqu’au déblocage pour l’ancien président de ses indemnités.
Sourires de façade
Mais depuis les rendez-vous entre les deux hommes, dont le dernier en février à l’occasion de la remise du prix Félix Houphouët‑Boigny, rien ne va plus entre « ADO » et Gbagbo. Il y a quelques jours, plusieurs militants du PPA-CI ont été arrêtés. Le parti de Laurent Gbagbo a alors dénoncé des « intimidations » et « arrestations abusives » de la part du pouvoir en place. L’affaire aurait pu en rester là si les 26 membres du parti de Gbagbo n’avaient pas écopé de peines de deux ans de prison ferme pour « trouble à l’ordre public ».
La tension est en effet palpable depuis quelques jours en Côte d’Ivoire. Le bureau local de l’organisation Amnesty International a demandé « la libération immédiate et sans condition » et « l’annulation de la condamnation » des membres du PPA-CI. L’ONG estime que l’arrestation de ces dernière était « arbitraire ». Y a-t-il, de la part de la présidence ivoirienne, une volonté de faire vaciller la réconciliation entamée par Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara ? Ou celle-ci n’a-t-elle été en réalité qu’une mise en scène qui n’a jamais eu pour but d’aboutir à une situation paisible ?
Les signaux envoyés par le palais présidentiel sont en tout cas contradictoires : comment expliquer un acharnement judiciaire contre le PPA-CI au moment où ont été restituées les dépouilles de 47 victimes de la crise post-électorale de 2011 à leurs familles, le 8 mars dernier ? D’un côté, à peine réélu, Ouattara a amnistié 800 personnes, dont l’ex-Première dame Simone Gbagbo, et accepté que son mari revienne à Abidjan. De l’autre, il laisse la justice s’en prendre à son ex-ennemi. « L’appareil judiciaire est devenu un instrument d’oppression des opposants ivoiriens », résume Justin Koné Katinan, porte-parole du PPA-CI.
La réconciliation, une fausse promesse du RHDP ?
« Ces rencontres Ouattara-Gbagbo, vues de loin, ressemble à une mauvaise telenovela, résume un ex-dirigeant politique qui a côtoyé les deux chefs d’État. Pour qui connaît les deux hommes, tout sonne faux : ils se détestent et la réconciliation annoncée passera toujours après leurs ambitions personnelles ». Les sourires affichés lors de leurs retrouvailles feraient donc partie d’un jeu d’acteurs ? « Oui, il y a une haine qu’absolument rien ne pourra changer », résume notre source.
Et avec les condamnations de militants du PPA-CI, Ouattara et Gbagbo ont semble-t-il désormais décidé de ne même plus faire semblant. Il faut dire que les prochaines élections locales, qui ont lieu en fin d’année, vont de toute façon tendre encore plus la situation. D’autant que, dans les coulisses du PPA-CI, on s’attend à ce que l’impensable se produise : qu’Alassane Ouattara se mette en marche pour postule à un nouveau mandat, le quatrième.
Et l’attitude du Rassemblement des Houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP), la formation politique d’Alassane Ouattara, n’arrangera en rien la situation : « En affirmant que la réconciliation nationale tant attendue est toujours dans les tuyaux et reste la priorité, le RHDP joue la carte du populisme vis-à-vis des Ivoiriens, alors que l’on sait très bien qui est à la manœuvre derrière le harcèlement subi par le PPA-CI », résume un militant du parti de Laurent Gbagbo.