En Iran, cinq adolescents ont été arrêtés et contraints de s’excuser après avoir participé à un défi de danse, devenu viral, inspiré par un chanteur nigérian et un danseur camerounais.
Le 8 mars 2023, cinq adolescentes ont téléchargé sur les médias sociaux une vidéo d’elles-mêmes en train d’exécuter le Calm Down Dance Challenge. Il s’agit de la chorégraphie du premier couplet du tube Afrobeats Calm Down du chanteur nigerianRema (Divine Ikubor).
Les filles suivaient les personnes qui, dans le monde entier, ont rendu ce challenge de danse viral depuis plus d’un an en téléchargeant des vidéos d’elles-mêmes en train de danser sur ce morceau. À une différence près : elles dansaient en Iran, où il est interdit de danser en public, surtout sans le foulard obligatoire pour les femmes.
Le 10 mars, la vidéo de 40 secondes avait acquis suffisamment de notoriété pour que les danseuses soient rassemblées par les autorités et obligées de s’excuser publiquement. Mais le génie était sorti de la bouteille. Leur vidéo circule toujours sur les réseaux sociaux.
Il s’agit de la dernière d’une série de défis lancés à la République islamique d’Iran, qui s’est développée à partir de la mort en détention de Mahsa Amini en septembre 2022. Cette Iranienne avait été arrêtée pour avoir refusé de porter le voile tel que prescrit.
Six mois plus tard, les jeunes filles iraniennes protestent toujours, mais désormais au travers d’une chanson d’un chanteur africain et d’un chorégraphie africain.
Une combinaison gagnante de musique, de mouvement et de technologie peut rendre les chorégraphies virales. On l’a vu, par exemple, lors de la pandémie de COVID avec la musique sud-africaine et la chorégraphie angolaise sur la chanson à succès Jerusalema de Master KG.
Dans la culture populaire, les chanteurs sont connus par leur nom, mais les danseurs restent largement méconnus. Qui a donc imaginé la danse Calm Down, qui est passée de la célébrité du microblogging à la défiance joyeuse d’un régime notoirement répressif ?
La chorégraphie
Le 7 mars 2022, la désormais célèbre chorégraphie de Calm Down est apparue pour la première fois sur le compte TikTok Loïc Reyeltv. L’auteur du post est Loïc Ngumele Sipeyou, né au Cameroun et basé à Montréal, connu professionnellement sous le nom de Loïc Reyel. Il est le directeur fondateur de l’école de danse Afro Vybz et, dans la vidéo, il danse avec cinq élèves.
Leur courte chorégraphie coordonne des gestes expressifs avec des jeux de jambes inspirés des styles de danse de rue africains qui circulent dans le monde entier par l’intermédiaire de professeurs tels que Loïc. Pensez au coupé-décalé ivoirien, au shoki nigerian, à l’azonto ghanéen, au kuduro angolais… Ces réponses locales à la musique électronique panafricaine se combinent constamment avec les styles de danse caribéens et afro-américains pour rappeler et résister aux traumatismes de l’esclavage, du colonialisme et du maintien de l’ordre sur le corps noir.
Loïc a puisé dans ces ressources pour interpréter une chanson qui était sortie moins d’un mois plus tôt sur le premier album studio de Rema Rave and Roses.
Lors d’une conversation téléphonique avec moi, dans le cadre de mes recherches sur les formes de danse d’Afrique de l’Ouest, Loïc l’a décrite comme “une chanson très facile” avec laquelle il s’est “senti tout de suite connecté” et sur laquelle il pouvait “vraiment bouger”.
Alors que Calm Down commençait à figurer en tête des hit-parades européens, la réponse cinétique de Loïc a commencé à attirer les utilisateurs des médias sociaux dans le monde entier. À ce jour, la vidéo de son challenge de danse a recueilli 215 000 likes et 10 500 partages.
La vidéo de Loïc n’est pas seulement partagée ; beaucoup de personnes de tous âges et de toutes nationalités apprennent ses pas de danse, enregistrent leurs performances et les téléchargent sur les médias sociaux. Du Pakistan au Kenya et maintenant en Iran, en solo, en couple et en groupe, en salwars et en pantalons de survêtement, en sweat-shirts et en casquettes de base-ball, avec ou sans hijab, les vidéos ne cessent d’affluer, comme le montre cette compilation TikTok. Une version duo remixée entre Rema et la chanteuse américaine Selena Gomez a donné à la chanson un deuxième sommet en septembre 2022. Pendant ce temps, le challenge de danse de Loïc continue de captiver le monde entier.
La chanson
Cette magie est née de la voix de Rema. Son génie mélodique transforme la tonalité populaire de si majeur avec une progression complexe d’accords. Les paroles mêlent le reconnaissable et le presque indéchiffrable. Dans la chanson, des mots et des expressions comme “vibes”, “calm down” et “lockdown” rencontrent la syntaxe et le vocabulaire du pidgin nigérian (“no dey do yanga”) et du dancehall jamaïcain (“shawty”). La boisson pétillante Fanta est transformée en une image évocatrice de désirabilité (“girl you sweet like Fanta-ooh”). La chanson se déverse comme du Fanta refroidi en bouillonnant avec l’inoubliable “lo-lo-lo-lo-ve-ve-ve-ve-ve-ve”. Son approche décontractée décolonise la langue anglaise, la libérant pour que le monde entier puisse l’utiliser.
La vidéo officielle de Rema a renforcé l’attrait de la chanson en illustrant son histoire. Sa poursuite d’une fille “sexy mais humble” dans sa robe jaune entraîne les spectateurs dans les intérieurs et les paysages urbains de l’Afrique. L’intrigue est universelle : un couple qui lutte pour émerger d’un groupe. La chorégraphie de Loïc met en valeur cette histoire. Les gestes des mains font ressortir les significations qui tourbillonnent autour des mots. En même temps, les jambes, la taille et le bassin racontent une autre histoire : la transformation des codes cinétiques (mouvements) africains en styles de danse de rue qui sont devenus l’arme des jeunes laissés pour compte sur le pourtour afro-atlantique.
Danse de la joie
Loïc a déclaré :
Peu importe ce que notre peuple a vécu dans le passé, nous sommes toujours capables de danser avec joie.
L’alegropolitique du corps – sa capacité à activer des souvenirs de plaisir et de traumatisme en créolisant (rassemblant) de multiples éléments culturels – caractérise à la fois la chanson de Rema et la chorégraphie de Loïc. Cela renforce leur interaction et, selon les termes de Loïc, le “succès incroyable” du challenge de danse. Cette popularité imparable illustre ce que l’ethnomusicologue Elina Djebbari appelle la vidéochoréomorphose : les processus par lesquels la danse, qui utilise le corps, garde tout son sens à l’ère numérique grâce à l’interaction innovante des danseurs avec le format des vidéos musicales.
En répondant au défi de Loïc, les filles iraniennes se refont elles-mêmes à travers la vidéo. Rejetant avec flamboyance l’isolement culturel au profit d’un cosmopolitisme cinétique, elles s’intègrent dans une culture mondiale dynamique en tant que contributrices actives. Elles reproduisent parfaitement la chorégraphie parfois délicate et ajoutent une note finale spéciale : un spectaculaire shimmy des fesses. Cela va à l’encontre des codes de bienséance féminins influencés par l’islam, mais s’inspire de l’“ontologie sacrée du twerk” dans les cultures africaines du mouvement.
Rêver ensemble pour la liberté
“La danse, c’est la liberté”, affirme Loïc, tout en reconnaissant que ces mouvements culturellement codés sont souvent mal interprétés par les non-Africains, qui les considèrent comme sexualisés. Les filles iraniennes perçoivent la puissance de cette ambivalence. En regardant en arrière tout en se trémoussant, et en terminant par un coup de pied flamboyant vers l’objectif dans le style classique de l’afrobeat, elles bouleversent le statu quo.
Elles dansent dans l’immense jungle urbaine d’Ekbatan, un projet immobilier construit à Téhéran dans les années 1970. Au milieu du béton brutal, les espoirs fleurissent à travers des confédérations imprévisibles.
Rema a récemment envoyé un message en réponse à la vidéo des cinq filles :
A toutes les belles femmes qui se battent pour un monde meilleur, je m’inspire de vous, je chante pour vous et je rêve avec vous.
Pour Loïc, entre-temps, les danseurs iraniens ont confirmé le sens qu’il donne à sa vie : “changer le monde grâce à la danse africaine. Je me rapproche de mon but.
Avec les remerciements de Loïc Reyel, Francesca Negro et Elina Djebbari.
Ananya Jahanara Kabir, Professor of English Literature, King’s College London
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.