Un retard d’approvisionnement explique une pénurie du vaccin contre la tuberculose depuis deux mois. Selon les experts, mettre fin aux fréquentes pénuries passe par la fabrication en Afrique de ce vaccin.
Le Cameroun connait une rupture du vaccin BCG contre la tuberculose depuis sept semaines. Cette pénurie concerne l’ensemble des dix régions du pays, confirme le Programme élargi de vaccination (PEV), l’organe public chargé de la gestion des vaccins de routine sous la tutelle du ministère de la Santé publique.
Selon les explications de ce département ministériel, le Cameroun devait recevoir un stock de 300 000 doses de vaccins BCG au mois de juin 2022 pour se mettre à l’abri d’une éventuelle pénurie.
Seulement, ce stock n’est pas arrivé à date. Conséquence, le pays fait face à une deuxième rupture de stock du vaccin contre la tuberculose, en l’espace d’un an.
A en croire Shalom Tchokfe Ndoula, secrétaire permanent du PEV, le problème vient surtout des procédures d’acquisition des vaccins. En effet, dit-il, le Cameroun paye les vaccins contre la tuberculose à l’avance et avec ses ressources propres.
De plus, « ce n’est que lorsque les producteurs encaissent l’argent qu’ils commencent la fabrication des vaccins qui seront livrés plus tard », indique ce dernier.
Seulement, les périodes d’approvisionnement pendant lesquelles il faut passer les commandes ne cadrent pas toujours avec la disponibilité des fonds publics nécessaires.
En d’autres termes, « si le Cameroun a un retard dans le démarrage du budget, on ne peut pas avoir les vaccins à temps », ajoute un cadre de GAVI (l’Alliance du vaccin) qui a requis l’anonymat.
Cette situation s’est compliquée davantage avec la pandémie mondiale de la COVID-19, fait remarquer le responsable du PEV.
« Il faut noter que la fabrication du BCG prend plus de temps depuis le début de la COVID-19 parce qu’une bonne partie des unités de production a été convertie pour produire les vaccins contre la COVID-19. Et donc, vous faites la queue. Ce qui prend donc plus de temps que d’habitude », déclare Shalom Tchokfe Ndoula, par ailleurs spécialiste de la vaccination.
Un argumentaire battu en brèche par Benoit Bissohong de la Coalition de la Société civile du Cameroun contre le SIDA, le paludisme, la tuberculose et les hépatites.. Ce dernier soutient que le véritable problème au Cameroun réside dans la chaine d’approvisionnement en matière de vaccins.
En principe, « la répartition se fait toujours en fonction de l’incidence de la maladie et de sa sévérité d’une zone à une autre. C’est cette prévalence qui oriente la distribution des vaccins de manière générale », soutient-il.
Ainsi, dit-il, si l’incidence est élevée, on aura plus de besoins en termes de médicaments ou de vaccins. Si tel n’est pas le cas, les besoins seront réduits. Cela déterminera donc combien de doses il faut déployer pour chaque zone.
Or, conclut Benoît Bissohong, le PEV ne tient pas compte de tels paramètres. Et en conséquence, certaines zones ont des vaccins à profusion tandis que d’autres n’en ont pas. Ce qui entraine des péremptions, puis des pénuries.
Conséquences
Le vaccin BCG est utilisé pour prévenir les formes graves de la tuberculose chez les nourrissons. C’est-à-dire de la période de naissance jusqu’à deux ans. D’après les professionnels de la santé, la non-prise de ce vaccin n’a pas de conséquences sur la santé du nourrisson jusqu’à l’âge de 11 mois.
« Une pénurie de moins de 12 semaines pour un vaccin n’a pas beaucoup d’incidence. Surtout que le BCG peut se prendre entre la naissance et 12 mois. Donc, cela peut très facilement se rattraper », précise Shalom Tchokfe Ndoula.
Mais pour Jean Louis Abena, médecin-spécialiste de santé publique et ancien secrétaire permanent du Programme national de lutte contre la tuberculose, la conséquence directe de cette pénurie est « une désaffection des populations vis-à-vis de la vaccination et une demande non satisfaite de vaccins ».
Laquelle « donne lieu à une baisse de la performance du programme qui se verra obligé d’organiser des campagnes de communication pour rattraper les perdus de vue. Il faut savoir que la performance est liée à la confiance des populations envers le système de santé », ajoute-t-il.
Face à cette pénurie, les médecins se contentent de prodiguer des conseils aux mamans pour les aider à protéger leurs bébés.
« La vaccination contre le BCG étant conçue pour protéger les nouveau-nés contre les formes graves et non pour empêcher la contamination, la première chose c’est de garder le nouveau-né dans un environnement propre ; éviter le contact avec des personnes suspectes, c’est-à-dire celles qui toussent principalement », prescrit Patrick Ndoudoumou, médecin généraliste en service à l’hôpital de district de Meyomessala dans le sud du Cameroun.
Ensuite, « il faut les protéger contre les intempéries qui peuvent fragiliser son tractus respiratoire, principale porte d’entrée au bacille. Il faut convenablement l’allaiter au sein, pour lui donner une immunité maximale contre les agressions. Enfin, il faut amener le nouveau-né chez le médecin en cas d’altération de la santé », ajoute-t-il.
Procédure d’urgence
Les 300 000 doses de vaccin commandées en procédure d’urgence et en attente de livraison devraient arriver au Cameroun ce 15 septembre prochain. Elles permettront de répondre à la demande sur trois mois.
Entre-temps, un processus d’acquisition de 1,6 million de doses est en cours. Ce stock devrait couvrir une période de six mois, dont une partie de l’année 2023. En attendant, le PEV espère que la commande d’urgence va juguler la pénurie jusqu’à la fourniture des 1,6 million de doses commandées.
L’arrivée de ce nouveau stock mettra-t-elle définitivement le Cameroun à l’abri d’une éventuelle rupture de stock ? Non, répond Shalom Tchokfe Ndoula.
Pour lui, les États d’Afrique économiquement faibles comme le Cameroun, qui commandent ces vaccins auprès de firmes indiennes, restent fortement exposés aux risques de pénurie au regard de la rigidité des conditions de paiement.
Dans le long terme, « la seule solution idéale c’est de produire le BCG en Afrique. Là, nous serons certains de ne pas avoir de pénurie », conclut-il.
Cet article a été publié sur la version française de SciDev.net et est reproduit avec leur autorisation.