De nouvelles manifestations ont secoué N’Djaména, la capitale du Tchad, samedi. Contrairement aux attentes, la mobilisation a été massive. Les médias évoquent un « sentiment antifrançais », mais la raison de ce mouvement n’est-elle pas plus profonde ?
Lorsque le mouvement Wakit Tama avait appelé à de nouvelles manifestations au Tchad le week-end dernier, peu d’observateurs s’attendaient à une présence aussi massive. Des milliers de Tchadiens ont manifesté samedi 14 mai, dans certaines parties de la capitale N’Djaména, les manifestations se sont transformées en confrontation avec les forces de l’ordre.
Les manifestants ont également attaqué sept stations-service de la major française Total. Les images montrent aussi des drapeaux français brûlés, des banderoles avec des slogans anti-français, et même des drapeaux russes et chinois hissés.
Naturellement, la presse a salué ou condamné un « sentiment antifrançais » des manifestants tchadiens. De quoi diluer le message de la société civile et une large partie de la classe politique, ainsi que des manifestants eux-mêmes, pour ces manifestations.
Des soupçons de corruption autour du dialogue national au Tchad
En effet, si les organisateurs des manifestations assument leur opposition à l’influence française au Tchad, leur sortie aujourd’hui ressemble beaucoup plus à un ras-le-bol du régime Déby. Mais également à une consternation vis-à-vis des retards répétitifs du dialogue national inclusif.
Maître Max Loalngar, porte-parole du mouvement Wakit Tama, avait déclaré : « Il est clair que le Conseil de transition a un agenda caché ». Loalngar parle de négociations parallèles portant sur « l’achat des consciences » et la « corruption ».
Le porte-parole du gouvernement, Abderaman Koulamallah, a répondu : « Pour avoir un agenda caché, il faut déjà que nous puissions avancer dans le processus de façon profonde. Nous n’avons même pas tenu le dialogue, ils nous parlent d’agenda caché. Le dialogue est un dialogue national inclusif que nous avons voulu souverain ».
A qui est la faute ? Les représentants du gouvernement du Tchad dans les pourparlers, tenus le mois dernier au Qatar, ont éliminé de facto toutes les parties qui pourraient être en désaccord avec le Conseil militaire de transition (CMT). Ce dernier, présidé par le fils d’Idriss Déby Itno, Mahamat Déby, prend de plus en plus de pouvoir. Au point que le gouvernement civil, installé sous la pression de Paris, n’est plus qu’une administration fantoche.
Pour le moment, le dialogue national qui devait se tenir le 10 mai est reporté sine die. Quant à l’opposition, elle en a marre, tout simplement.
Gérer Wakit Tama, le casse-tête de Déby
Un état des choses qui pourrait empirer avec la confrontation entre Wakit Tama et les décideurs tchadiens devenue inévitable. En effet, ce lundi, les Renseignements généraux ont convoqué le coordinateur du mouvement, Max Loalngar. Ce dernier dit qu’il ne se présentera pas.
« Je ne vais pas. Je vais être à la maison, vous pouvez venir me ligoter et prendre, me tuer et amener mon cadavre pour auditionner. Les lois ne sont pas faites pour les chiens. On a la loi 33 (régissant la profession d’avocat, ndlr). On ne peut pas venir prendre un avocat comme ça et l’amener. C’est parce qu’on a un ordre qui n’est pas réactif, sinon on aurait pu dénoncer pour demander la libération de notre camarade », a déclaré Loalngar. Le militant a précisé que les manifestations reprendront le 28 mai prochain.
Depuis les dernières élections au Tchad, remportées en avril 2021 par le défunt Idriss Déby, une semaine avant son décès, Wakit Tama est devenu un acteur incontournable de la politique tchadienne. Contrairement aux groupes rebelles et partis politiques, le mouvement est, justement, bien installé à N’Djaména, avec une large capacité de mobiliser. Une popularité qu’Idriss Déby avait lourdement réprimée en son temps. Toutefois, pour Mahamat Déby, les choses ne sont pas aussi simples.
En effet, le jeune putschiste tchadien tente depuis sa prise de pouvoir de s’attirer les faveurs de l’opposition, mais aussi de rester proche des bons offices de Paris. D’un côté, donc, il ne peut adopter les méthodes de son père. De l’autre, son adoubement par la France ressemble beaucoup à une volonté de Paris de le maintenir au pouvoir.