Malgré les promesses de Bassirou Diomaye Faye et d’Ousmane Sonko d’opérer une refondation de la démocratie au Sénégal, le pouvoir continue de traquer les anciens responsables politiques et les critiques.
Voilà une semaine que plusieurs dizaines de recommandations ont été faites lors d’une concertation nationale organisée par le pouvoir sénégalais. Objectif annoncé : la « refondation » de la démocratie au Sénégal. Mais le « dialogue national » du président Faye n’en était pas vraiment un : si 700 représentants de partis, de la société civile et de syndicats ont été annoncés à Diamniadio, près de Dakar, les principaux partis, parmi lesquels l’Alliance pour la République, la formation de Macky Sall, ont boycotté la rencontre. Une absence remarquée, car en filigrane de ce dialogue national, c’était bien de l’APR dont il était question.
Sonko, la vengeance plutôt que la paix ?
Les quelques formations d’opposition présentes ont profité de la volonté affichée du gouvernement sénégalais de réformer la justice pour appeler le président Faye à « poser des actes de concorde et de réconciliation nationale » en libérant notamment les jeunes détenus actuellement en détention pour « délit d’opinion ». Elles ont également demandé « la fin de toutes les détentions provisoires » qui concernent les anciens responsables politiques. Car si Faye a promis de « tendre la main à toutes et à tous pour rassurer, rassembler, apaiser et réconcilier afin de conforter la paix et la stabilité indispensable au développement économique de notre pays », les actes du pouvoir en place laissent à penser l’inverse.
En effet, alors que le duo Faye-Sonko avait promis qu’il n’y aurait « pas de vengeance » après l’élection présidentielle, assurant qu’il n’aurait « pas le temps de faire une chasse à la sorcière », la politique a bel et bien laissé place à la vendetta : contre les membres de l’ancien pouvoir, tout d’abord, mais aussi contre toute critique notamment de la part des journalistes. Les opposants ne s’y sont pas trompés : dans une tribune publiée début juin, ils ont déploré « la convocation régulière des journalistes à la police de même que la fermeture illégale de leurs organes ». En octobre dernier, une véritable campagne contre les journalistes avait été lancée par Ousmane Sonko, provoquant l’ire des organisations internationales.
Un glissement dangereux vers l’autoritarisme
« Cette chasse aux sorcières est pernicieuse : à l’international, Sonko et Faye se positionnent comme des chevaliers blancs, mais au Sénégal, tout le monde sait qu’ils sont là pour mener une opération de vengeance », estime un diplomate installé à Dakar. Alors qu’Ousmane Sonko avait bénéficié d’une amnistie, celui-ci avait promis de supprimer le délit d’offense au chef de l’État, consacré par l’article 254 du Code pénal. Finalement, le Premier ministre et le président s’en sont servi pour mettre en prison plusieurs personnalités qui les avaient critiquées, comme Ameth Suzanne Camara, responsable de l’APR, qui avait dénoncé des mensonges de la part du duo au pouvoir. L’ex-commissaire Cheikhna Keita avait lui aussi été arrêté.
À ces arrestations s’ajoutent celles d’anciens responsables politiques, sur des bases aujourd’hui discutables : c’est à partir d’un rapport contesté de la Cour des comptes que le pouvoir a lancé une guerre de tranchées contre les ex-alliés de Macky Sall. Mais surtout, le binôme Faye-Sonko n’a pas hésité à contourner les règles démocratiques pourtant bien ancrées au Sénégal : ainsi, la vice-présidence de l’Assemblée nationale n’est plus promîtes à l’opposition. Le pouvoir a également mis la main sur la télévision publique, en désignant un proche à sa tête, et a fait fermer les journaux qui le dérangeait, comme Dakaractu, qui a dû se délocaliser pour continuer d’informer.
Et la politique dans tout ça ?
Ces faits pourraient être anecdotiques si la politique gouvernementale était efficace. Or, « on a l’impression que le pouvoir passe son temps à chasser ses anciens adversaires plutôt que de gouverner », indique un opposant sous couvert d’anonymat. Avec des cibles de choix, Macky Sall en tête, mais aussi quelques autres cibles plus surprenantes, comme Barthélémy Dias, pourtant ancien compagnon politique de Sonko, qui est aujourd’hui traqué par les autorités en place. Les conséquences ne sont pas des moindres : le rapport très controversé de la Cour des comptes, qui n’a servi qu’à rejeter la faute de la crise économique sur Macky Sall, a notamment mis à mal Dakar vis-à-vis du Fonds monétaire international et des agences de notation. Les mesures sociales ont du mal à se mettre en place et l’on assiste, aujourd’hui, à une guerre de communication contre l’ancien pouvoir qui ne bénéficie à personne.
Et pendant que le pouvoir Sénégal fustige les anciens responsables politiques, Dakar perd de son aura : au niveau continental, le pays n’est plus une référence. Les critiques incessantes contre Macky Sall, apprécié par les présidents africains, gênent les pays voisins. Le FMI et les institutions mondiales ont quant à eux indiqué au Sénégal leur mécontentement ces derniers jours. Enfin, via le député Cheikh Bara Ndiaye, Ousmane Sonko a tenté de séduire la France, qui avait pourtant été la cible de ses critiques avant que celui-ci ne devienne Premier ministre. Le pouvoir en place tente de colmater les brèches en attaquant Macky Sall et les personnalités qui le critiquent. Mais s’il ne prend pas rapidement des mesures, il ne fera pas longtemps illusion.