Malgré une dénonciation de la discrimination qui frappe les étudiants francophones voulant s’établir au Canada, notamment les Africains, le gouvernement fédéral ne semble pas vouloir agir.
La discrimination d’Immigration Canada à l’égard des étudiants noirs d’Afrique francophone est connue, documentée et dénoncée par des chercheurs et des observateurs de la politique québécoise et canadienne depuis plusieurs années.
Encore cette semaine, on apprend dans une étude de l’Institut du Québec (IDQ) que le fédéral refuse la moitié des demandes de permis d’études aux étudiants étrangers sélectionnés par le Québec et acceptés par une université québécoise. Ce chiffre augmente à 72 % chez les étudiants africains.
La dénonciation de cette discrimination et de l’inaction du gouvernement fédéral dans ce dossier va bien au-delà du cercle des experts sur l’immigration. Elle a mobilisé les dirigeants d’institutions d’enseignement supérieur francophones, des acteurs de la scène politique et de la société civile.
En tant que chercheurs dans les domaines de la sociologie politique et de l’étude sociologique et ethnologique des nationalismes et des relations interethniques, nous nous intéressons aux transformations sociales au Québec et au Canada, ainsi qu’aux représentations sociales de l’immigration.
À l’échelle globale, cette discrimination envoie un bien mauvais message aux partenaires du Canada dans la francophonie. À l’échelle canadienne, elle a un impact sur la vitalité des institutions des communautés francophones hors Québec.
À l’échelle québécoise, elle a un impact sur la vitalité des programmes des institutions collégiales et universitaires en région. Enfin à l’échelle montréalaise, elle a aussi un impact sur la vitalité des institutions d’éducation supérieure francophones et en particulier sur la capacité de l’Université du Québec à remplir sa mission sociale.
Québec a fait ses devoirs
Cette situation était connue lors de la victoire du gouvernement minoritaire du Parti libéral du Canada en 2019. Elle l’était encore lors de la victoire du même gouvernement en 2021, toujours minoritaire. Et les données qui viennent d’être publiées par l’IDQ sont sans appel, la situation a perduré en 2022.
Des améliorations modestes à quelques endroits n’inversent pas une tendance de fond qui est aussi têtue que tenace. Les données démontrent qu’en dépit des avertissements, des mobilisations et des enquêtes de nombreux journalistes, Immigration Canada se traîne les pieds.
Dans ce dossier, le gouvernement du Québec n’a pas toujours été à l’abri des critiques. La réforme de l’immigration pilotée en 2020 par Simon Jolin-Barette s’était attiré les critiques pour un ensemble de raisons. L’une d’entre elles était une modification du programme de l’expérience québécoise qui venait ralentir, voir entraver, l’obtention de l’accès à la citoyenneté pour les étudiants étrangers faisant leurs études au Québec.
Or, la nouvelle ministre de l’Immigration du Québec, Christine Fréchette s’est montrée beaucoup plus clairvoyante, informée et pragmatique. Sa promesse de réorientation de la politique d’immigration du gouvernement caquiste est au diapason avec les milieux de l’enseignement supérieur. Ces milieux reconnaissent depuis longtemps l’importance de construire un TGV vers la citoyenneté pour les étudiants bénéficiant d’une expertise acquise à travers leurs études, leurs stages et leurs réseaux développés durant leur séjour au Québec.
L’inaction d’Immigration Canada est incompréhensible
Ce virage de la ministre de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration est au diapason avec les avis éclairés des institutions d’enseignement supérieur québécoises. Il apporte également de l’espoir au milieu de l’éducation supérieure francophone montréalais qui dénonce depuis plusieurs années le fait qu’il ne lutte pas à armes égales avec les institutions d’enseignement supérieur anglophones.
Ces dernières évoluent sur un marché complètement différent de celui des universités francophones. Depuis le déplafonnement des frais imposés aux étudiants étrangers, les institutions d’enseignement supérieur anglophones engrangent ainsi des revenus nettement supérieurs à ceux des institutions francophones. Comme l’ont dénoncé de nombreux acteurs du milieu de l’éducation, cette inégalité systémique affecte grandement l’attrait des institutions francophones et la capacité du réseau de l’Université du Québec à remplir sa mission universitaire et d’intégration sociale.
Face à cet important changement de cap du gouvernement du Québec, l’inaction d’Immigration Canada ne peut faire autrement que de susciter encore plus d’incompréhension.
Après avoir blâmé les pratiques discriminatoires de son ministère sur des erreurs algorithmiques, sous-contracté le travail de ses propres fonctionnaires à la firme McKinsey, avoir reconnu un problème de discrimination systémique au sein même de son organisation, et s’être engagé à s’attaquer à ce problème, les chiffres pour l’année 2022 du ministère de Sean Fraser témoignent des mêmes ratés et de la même dynamique discriminatoire que durant les années précédentes.
Lors d’un moment gênant, la secrétaire parlementaire du ministre a été chargée de défendre son bilan. La légère hausse des acceptations qu’elle a alors évoquée ne répond pas aux attentes légitimes des étudiants dont les dossiers ont été acceptés par une institution québécoise.
Le ministre Fraser n’a plus la légitimité requise
Ottawa doit tirer des conclusions de ces nouvelles données. Si le gouvernement Trudeau ne se faisait pas le champion de la lutte contre le racisme systémique sur toutes les tribunes, ce manque de crédibilité de son ministre passerait peut-être. Mais à ce stade-ci, le ministre fédéral de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté, Sean Fraser, n’a plus la légitimité requise pour conserver ce dossier.
Cette inaction du Parti libéral fédéral sur un enjeu aussi important pour le Québec et la francophonie canadienne est regrettable. Elle jette une ombre sur l’importante réussite qu’a été la mise à jour de la Loi sur les langues officielles qui a été célébrée avec raison à Ottawa, comme à Québec.
Car, si l’on veut célébrer la nouvelle mouture de la Loi sur les langues officielles, il faut être conséquent et donner accès aux institutions d’enseignement supérieur francophones à l’ensemble des étudiants qui veulent faire vivre cette francophonie.
Il faut se réjouir du fait que ce message ait été compris à Québec. Il est plus que regrettable qu’il tarde autant à se faire entendre à Ottawa.
Frédérick Guillaume Dufour, Professeur en sociologie politique, Université du Québec à Montréal (UQAM) and Madeleine Pastinelli, Professeur de sociologie, Université Laval
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.