Depuis 2016, le Maroc tente de faire concurrence à la candidature de l’Algérie pour l’inscription du raï au patrimoine de l’UNESCO. Du côté algérien, le débat est déjà tranché.
L’intégration des acquis culturels sur la liste du patrimoine de l’UNESCO est devenue une lutte politique. Et, entre l’Algérie et le Maroc, rien que l’exemple du couscous fait encore débat, malgré l’inscription conjointe du plat au patrimoine de l’humanité. Cependant, dans le cas du raï, les médias marocains ont probablement poussé le bouchon un peu loin. Bien que le royaume chérifien et l’Etat algérien partagent une rancœur diplomatique de longue date, les acquis culturels transcendent généralement la politique.
La musique du raï, par exemple, revêt facilement cette gravité, de par sa popularité. Rappelons que lorsqu’il s’agit de l’Algérie, le raï chante aussi des symboles historiques de la Résistance, comme l’émir Abdelkader. Et en Algérie, les chanteurs de raï sont, pour certains les héros d’une génération, comme Cheb Hasni, assassiné lors de la décennie noire. Sans oublier, évidemment, le groupe Raïna Raï, qui a lutté contre l’obscurantisme du FIS et du GIA durant la même période.
Pour le comité du Festival de Oujda, trois facteurs pour la revendication de la « marocanité » du raï existent. Premièrement, la franco-marocaine, Audrey Azoulay, dirige l’UNESCO depuis 2017. Cette ancienne conseillère du président français François Hollande aurait toutes les raisons du monde pour provoquer le blocage que subit le dossier algérien. Elle est aussi la fille du conseiller royal André Azoulay, un lobbyiste qui a créé plusieurs médias marocains. Deuxièmement, le festival du raï d’Oujda, une ville marocaine à la frontière avec l’Algérie, est une importante manifestation du genre musical. Troisièmement, certains chanteurs de raï algériens contemporains ont été naturalisés marocains. A l’instar de Cheb Khaled et de Faudel.
Pourtant, pour les Algériens, le raï n’est pas seulement une propriété absolue de l’Algérie. C’est encore plus spécifique, car le raï est… oranais. Les chanteurs historiques de raï sont tous issus d’Oran, une ville incontestablement algérienne. A commencer par les pères du raï, Cheikh Khaldi et Cheikha Remitti, issus de la grande Oranie. Cependant, le raï n’est devenu réellement le chant plus populaire de l’Afrique du Nord qu’à partir des années 1990, et les protagonistes de l’âge d’or du raï sont aussi Oranais.
Cheb Hasni – Le Rossignol du raï🇩🇿#Wahran #Oran #Raï pic.twitter.com/3vcUvSwMBs
— 𝐖𝐀𝐇𝐑𝐀𝐍 🇩🇿🇵🇸 (@DiscoverGharbDz) September 15, 2020
Le Raï et l’Algérie : Oran la radieuse
Lorsque le raï a atteint son format connu aujourd’hui, ses chanteurs, en Afrique du Nord comme en Europe, étaient tous de « la radieuse ». Cheba Fadila, Khaled, Cheb Hasni, Cheb Mami et Zahouania… Tous en provenance d’Oran. Et même Faudel, qui né en France, est fils de parents oranais. Quant à Nasro, il est né à Aïn Témouchent, dans l’Ouest algérien. Le producteur légendaire de tout ce petit monde n’était nul autre que l’Algérien Rachid Baba.
S’il plait aux médias marocains de rappeler que la défunte Haja El Hamdaouia était une Marocaine pure et dure, elle se revendiquait rappeuse, et non chanteuse de raï. Quant à Cheb Amrou, ses sons électro et sa reprise de plusieurs titres de Hasni ont provoqué une polémique inédite dans le milieu du raï. On ne peut pas non plus dire que Nasro ait exporté le raï dans le monde, malgré sa popularité au Maghreb.
Ce sont surtout les thèmes abordés dans les textes de raï qui sont algériens. A l’image de la culture des quartiers populaire, où chaque chanteur dédie une chanson à son quartier ou sa ville. Même le rythme de la musique est plus proche du « chaâbi » algérien que du « moughrabi » marocain. Et le fait que le journal marocain Le360 nuance encore ce facteur est dépréciatif d’un art ancien et populaire.
Et si l’on prend en compte les références internationales du raï, on pense évidemment à la tournée et à l’album du trio 1,2,3 soleils. Sans oublier les tubes « Abdel Kader », en référence au héros algérien du même nom, l’émir Abdelkader, ainsi que l’incontournable « Ya Rayah », issue du patrimoine algérien et interprété par le chanteur Dahmane El Harrachi. Quoi de plus algérien que ces deux références ?
Les légendes du raï ne chantent que de l’Algérie
Avant d’être un simple style musical, le raï était politique. La discographie de l’icône du raï, Hasni, mort assassiné par la GIA, a fait de l’artiste un symbole pour la jeunesse algérienne.
Mais pour les fans actuels de raï, un nom résonne avant les autres : celui de Cheb Khaled, qui reste indiscutablement l’un des chanteurs de raï les plus célèbres sur la planète. Ses chansons « Didi », « Melha », « Aïcha » et « Bakhta » sont issues de sa culture urbaine oranaise. Et bien longtemps avant qu’il ne se lie d’amitié avec Mohammed VI, il chantait « Wahrane » et « Wahrane Wahrane ». Les deux airs portent le nom de sa ville d’origine, Oran.
Une autre légende du raï, pour n’en citer que trois, est Cheb Mami. Né à Saïda en Algérie d’une famille oranaise, Mami représentait un nouveau style de raï, plus cosmopolite. Et il fit partie du même groupe que Khaled. Ces deux-là ont exporté le raï algérien vers l’Occident. Mami a chanté « Meli Meli », « Au Pays des Merveilles », « Desert Rose » et « Ena Ouaâlach ». Et ses albums ont rencontré d’énormes succès, même avant qu’il ne chante en France pour la première fois.
Aucun Algérien n’en voudra aux Marocains d’apprécier, d’écouter et de chanter le raï. Voire de le faire évoluer. Toutefois, la tentative du Festival d’Oujda de s’approprier ce genre musical entier risque d’attiser un peu plus les tensions politiques algéro-marocaines. Or, le raï est par essence le chant du peuple. Les Algériens pourraient se montrer très contrariés par toute tentative de les priver de la paternité de ce genre musical.
Je vous laisse ça ici pour ne pas oublier que le 29 Septembre 1994, ça fait aujourd’hui 26 ans, le roi de raï sentimental, Cheb Hasni est assassiné à Oran. ربي يرحمو و يوسع عليه ❤️❤️ pic.twitter.com/3rrIIWyIbw
— FREE PALESTINE (@lindamez2) September 29, 2020