Le football en Afrique, après les décolonisations, a été un vecteur d’unité, Il a constitué également un champ d’opposition et d’expression de la violence.
Alors que la 34e édition de la Coupe d’Afrique des nations (CAN) de football s’est terminée en Côte d’Ivoire et que le football est devenu le sport le plus populaire en Afrique, l’essor de cette discipline sportive sur le continent n’a pas été un long fleuve tranquille.
Le football en Afrique a été envisagé différemment selon les territoires et selon les pays coloniaux administrés. Si, dans les colonies britanniques (Rhodésie, Kenya, Ouganda), les Africains ont rapidement pu accéder à la pratique de ce sport dans les années 1900/1910, il n’en a pas été de même dans l’Empire colonial français. En effet, jusque dans les années 1920, le football a été réservé aux seuls colons. Cette mise à l’écart des populations autochtones était justifiée selon les colons eux-mêmes par des considérations à connotation fortement politique et raciste.
Nous sommes des chercheurs en activité physique et sportive et en sociologie du football. Cet article explique comment le football a été introduit en Afrique et les facteurs ayant contribué à son développement.
1. En Algérie
En Algérie, on comptait lors de la saison 1923-1924, 36 clubs dont quatre étaient musulmans. Leurs présences rompent l’hégémonie catholique dans ce qui concerne l’encadrement spirituel du sport. À Constantine, une Ligue est créée en 1927 et compte dès sa création quatre associations musulmanes sur 23 clubs. Ces clubs adoptèrent, jusque dans les années 1930, une ligne relativement discrète quant à leurs expressions identitaires.
Cependant, pour pallier tout risque de revendications, les autorités françaises cherchaient à limiter les rencontres entre Européens et musulmans. Surtout, dès 1930, un quota d’au moins trois joueurs européens était imposé pour la composition des équipes musulmanes, puis à cinq joueurs en 1935.
2. L’empire colonial belge
Dans l’Empire colonial belge, le football était au contraire fortement pratiqué par les populations indigènes. Le ballon rond se trouvait en effet au cœur d’un apostolat catholique : il était utilisé dans les colonies belges pour favoriser le développement de la religion.
En 1920, la première équipe africaine à être invitée à un grand tournoi international fut l’Égypte. Celle-ci participa aux jeux olympiques de 1924 à Paris et y décrocha une remarquable 4eme place. Néanmoins, les commentaires de la presse européenne furent fortement empreints de racisme et de dédain pour cette sélection. À titre d’exemple, même le compte-rendu officiel s’exprimait d’une manière ambiguë après la défaite de l’Égypte face à la Suède. Les termes de ce rapport étaient les suivants :
À la fougue des Africains, les Suédois opposèrent un jeu calme et raisonné qui affirma indiscutablement leur supériorité. Le Congo belge fut également l’un des premiers territoires à voir la création d’une réelle fédération sportive en direction du football.
Par exemple, l’Association sportive congolaise (ARSC)) créée en 1919, comptait, au début de la seconde guerre mondiale, 815 joueurs de football répartis dans 53 patronages.
3. Les colonies françaises
Cette forme d’apostolat, qui avait précédemment été développée dans les colonies britanniques par les églises anglicanes, l’a été également dans les colonies françaises, par l’église catholique, à partir des années 1920/1925. L’Association sportive et culturelle Jeanne d’Arc a été créée en 1921 par le Père Lecocq. Mais cette “ouverture” par des pionniers avait ses limites. En effet, malgré cette innovation socio-politique, les autorités religieuses cherchaient à contrôler la pratique sportive et celle du football en particulier.
Quand l’Union Sportive des Indigènes (USI), exclusivement composée d’Africains, avait été créée en juillet 1929 à Dakar, le Père Lecocq menaçait les joueurs de l’USI d’excommunication, s’ils venaient à rencontrer les joueurs du club la Jeanne d’Arc. Pourtant ceux-ci vont essaimer jusqu’au Gabon notamment dans la paroisse de Saint Pierre de Libreville dont le révérend Père René Lefebvre fut le curé de 1931 à 1951. Il fut dans les années 1930, le créateur de l’une des premières équipes gabonaises, la Jeanne d’Arc de libreville
Si l’essor du “football confessionnel” s’est poursuivi — le club de Saint Louis du Sénégal est fondé en 1933, celui de Conakry dans les années 1930 également, celui de Bamako en 1939 – une forme de ségrégation perdura. Les “blancs” jouaient contre d’autres blancs et les “noirs” contre d’autres noirs. En effet, il existait un “entre-soi” qui visait à éviter tout incident politique susceptible de contester l’autorité des colon.
Au Cameroun aussi, pays d’Afrique centrale francophone, le club de football a été conçu, pendant cette période comme un élément de divertissement et de loisir colonial. C’était aussi un moyen de contrôler les indigènes. L’un des premiers clubs de football de Yaoundé, le Canon Sportif, né le 11 novembre 1930 à l’instigation de l’administration coloniale, pour servir de partenaire à l’Etoile Sportive était un club composé uniquement d’Européens.
Par ailleurs, la pratique en club permettait l’amélioration des conditions physiques des noirs et surtout des soldats et des ouvriers. C’est ainsi qu’au Cameroun, des équipes de football et de discipline proche du rugby actuel, se sont créés dans plusieurs zones du nord du pays, par la Compagnie française pour le développement des fibres textiles (CFDT).
4. Les colonies italiennes
Cette ségrégation trouva son paroxysme dans les colonies italiennes où le Comité olympique national italien cherchait à favoriser la pratique du football par les colons et aussi à limiter l’essor du football indigène.
Ainsi en Érythrée, les six équipes “indigènes” furent rassemblées dans une ligue spéciale, de façon à éviter d’éventuelles défaites d’équipes de colons. En Éthiopie, les équipes “indigènes” devaient adopter un nom à consonance italienne. Surtout, comme en témoigne Ydnekatchew Tessema, le premier grand footballeur éthiopien, et ensuite président de la Confédération africaine du football (CAF) de 1972 à 1987 dans la période des années 1937/38. Après l’invasion par le Duce Mussolini, les footballeurs locaux devaient parfois jouer pieds nus de manière à épouser l’image de l’Africain, véhiculée par la propagande fasciste.
A cette époque, les colonialistes et fascistes italiens qui méprisaient les “races inférieures” (juifs et noirs ) manifestaient leur dédain pour l’équipe de France de football. En effet, celle-ci, depuis 1931, alignait dans ses championnats des joueurs africains.
La place des joueurs africains en Europe
Le devenir sportif des peuples africains sous la domination coloniale restait l’affaire des capitales européennes et de leurs grandes métropoles. Celles-ci étaient prêtes à intégrer dans leurs clubs des joueurs indigènes sans se soucier de leur couleur de peau, tant qu’ils pouvaient apporter une plus-value et enrichir leur palmarès.
En effet, la signification politique de matches mixtes de football se renforçaient en France, en Italie, en Belgique, en Allemagne, et en Angleterre.
Dès la fin des années 1930, en Europe des rencontres sportives mélangeant Blancs et Noirs avaient tempéré les théories nationalistes de la pratique séparée du football dans des Ligues distinctes pour les Européens et les Africains.
Dès 1931, Raoul Diagne, étudiant en droit,né en 1910, fils de Blaise Diagne maire de Dakar, député du Sénégal, fut le premier joueur de couleur à porter le maillot de l’équipe de France de Football, face à la Tchécoslovaquie.
Africanisation du football
D’abord étroitement encadrée par les autorités coloniales, la pratique du football est devenue peu à peu une tribune d’expression et d’opposition à la colonisation. La décolonisation a accéléré le développement du football africain, tant au niveau sportif qu’au niveau de ses institutions. A l’aube de l’indépendance, à la fin des années 50, la quasi-totalité des pays ont récupéré le sport en général et le football, en particulier pour en faire un moyen d’affirmation, d’identification, et d’émancipation.
Cette émancipation politique par le football a pris diverses formes. En général, presque tous les États ont ainsi créé des équipes nationales de football et de grands stades au rôle symbolique : stade de l’indépendance ou stade de la réunification avec le nom d’un dirigeant politique, par exemple à Abidjan le stade Houphouët Boigny. Cette africanisation du football s’est aussi manifestée par les noms donnés aux grands clubs. Beaucoup s’inspirent de la nature exotique avec ses animaux les plus prestigieux (le lion, la panthère, la gazelle) ses forêts immenses, ses fleuves et la mer.
Tous les noms de ces clubs de football avaient une signification et une connotation particulière. Ces appellations étaient porteuses d’une tradition profonde. Ainsi La Coupe d’Afrique des nations de football aujourd’hui encore fait allusion de manière symbolique à une bataille rangée des animaux occupant la forêt, la savane ou la mer.
Modification du paysage footballistique
Les équipes sont toutes devenues les identités nationales et les édifices du football actuel ou en cours de réalisation continuent la pérennisation des stigmates anciens et coloniaux : des noms de baptême en référence avec les guerres d’indépendance et leurs héros sont en effet proposés aux stades de football en lieu et place par exemple des villes et collectivités locales bénéficiaires.
Aujourd’hui, les prestations des équipes africaines lors des coupes du monde, l’ouverture des frontières, l’affaiblissement de certains nationalismes sont en train de modifier le paysage paysage footballistique africain. Toutefois, il existe toujours un football africain continental souvent politisé, peu regardant sur le respect des règlements sportifs. Et à côté, un football expatrié qui accueille les élites professionnelles ou des migrants économiques.
Aujourd’hui, l’attractivité des clubs européens de football
professionnel, notamment par le niveau de rémunération proposée continue à entraîner une importante migration de jeunes joueurs au détriment des clubs africains locaux et continentaux.
Pierre Chazaud, enseignant-chercheur, Université Claude Bernard Lyon 1 et Tado Oumarou, enseignant-chercheur, Institut National de la Jeunesse et des Sports (INJS)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.