Le président français a lutté pour maintenir l’influence que son pays a acquise en Afrique grâce au colonialisme, sans vraiment réussir.
L’Afrique occidentale française a connu cinq coups d’État au cours des trois dernières années. La plupart de ces coups d’État reposent sur une hostilité à l’égard de la France, ancienne autorité coloniale. La chute de Mohamed Bazoum du Niger en juillet 2023 intervient après les coups d’État du Mali en août 2020, du Tchad en avril 2021, du Burkina Faso en septembre 2022 et du Gabon en septembre 2023.
Les auteurs de ces coups d’État ont évoqué parmi leurs justifications l’influence prépondérante de la France et de son président, Emmanuel Macron, dans leurs affaires. L’influence de la France dans les affaires militaires et le maintien de sa position dominante dans le monde des affaires ont été des éléments clés de l’agenda de Macron. Contrairement à d’autres anciennes puissances coloniales, la France possède toujours des bases militaires en Côte d’Ivoire, au Sénégal et au Gabon.
Dans le même temps, M. Macron a mis en avant l’esprit d’entreprise comme la meilleure forme d’aide au développement. Ce pivot stratégique qui s’éloigne des relations personnelles avec les dirigeants africains est ancré dans les convictions néolibérales de M. Macron. Il s’agit d’une approche politique qui favorise le capitalisme de marché, la déréglementation et la réduction des dépenses publiques.
Je suis un historien qui a fait des recherches sur les relations entre la France et ses anciennes colonies.
En Afrique, le virage néolibéral de Macron a dépouillé la France du mythe de longue date selon lequel elle était en quelque sorte un colonisateur plus bienveillant en raison des liens culturels qu’elle a établis avec les élites africaines. L’approche de Macron n’a fait qu’accroître la méfiance et la colère, car une présence militaire importante n’a pas été remplacée par un nouvel ordre économique international, mais par des accords commerciaux pour les petites entreprises et des start-ups. Ce n’est pas ce que les Africains voulaient, mais c’est ce qu’ils ont obtenu.
Les valeurs néolibérales sont des valeurs françaises
Plutôt que de refaire l’infrastructure économique et financière, Macron a fait de l’entrepreneuriat une aide au développement : il a encouragé la création d’entreprises et la formation des jeunes Africains. L’Agence française de développement (la principale institution française chargée de la mise en œuvre des politiques) continue d’investir dans l’éducation, l’agriculture et les infrastructures. Mais ce que Macron veut que les observateurs remarquent, c’est que, de plus en plus, l’aide française au développement en Afrique doit être gérée par des entreprises françaises.
Les entreprises françaises ne gagnent plus d’argent en secret, comme à l’époque de la Françafrique. À cette époque, les présidents français soutenaient les dictateurs africains pour conserver leur influence. Les discours de Macron mettent plutôt en avant les activités commerciales et les valeurs néolibérales comme des valeurs françaises bénéfiques pour le continent.
Ce recours à la culture et aux valeurs françaises peut être considéré comme la poursuite d’une stratégie qui a débuté avec le projet colonial français. Les valeurs de Macron, cependant, sont celles du néolibéralisme. Sur le plan intérieur, il a fait adopter un plan de retraite visant à limiter la dette de l’État français. À l’étranger, il souhaite que la politique française de développement soit menée par des initiatives privées.
À la lumière de cette stratégie, il apparaît clairement que les sentiments des Africains ne sont pas devenus plus anti-français. Au contraire, en élevant l’économie au rang de valeur centrale de sa relation avec l’Afrique, Macron a joué avec une vision du monde africaine largement acceptée, selon laquelle le sous-développement est le produit de la dépendance à l’égard de l’Europe et de l’exploitation néocoloniale.
Tous les visiteurs qui discutent avec les chauffeurs de taxi ou les vendeurs à Dakar comprennent rapidement que les Français sont perçus comme des colonisateurs d’abord, et puis éventuellement comme des amis. Ce qui a changé, c’est que Macron a confirmé involontairement les soupçons des Africains quant à ses intentions : il n’a jamais voulu changer les structures économiques. Au lieu de cela, les Africains reçoivent des miettes sous forme d’argent pour les start-up.
Le marché libre comme ligne de démarcation en Afrique de l’Ouest
L’esprit d’entreprise ne fait pas l’unanimité sur le continent. La croyance dans l’économie de marché comme moteur de développement a redessiné les lignes de bataille en Afrique de l’Ouest. Les pays de la Cedeao, comme le Ghana, le Nigeria et le Sénégal, qui ont connu une forte croissance économique au cours de la dernière décennie, jurent d’avec le Niger, le Mali et le Burkina Faso, qui ont connu une aggravation de la pauvreté.
Alors que d’autres pays africains comme le Kenya sont confrontés à des débats similaires sur la manière de stimuler le développement – le président kenyan croit en sa fameuse “ nation des débrouillards”ou ”hustler nation“ – le changement climatique et le terrorisme ont conduit à un cocktail plus explosif dans le Sahel.
Les juntes qui sont arrivées au pouvoir ne se présentent donc pas seulement comme des intérimaires. Elles prétendent également vouloir donner une nouvelle orientation idéologique à leur pays.
Ibrahim Traoré au Burkina Faso s’est présenté comme le successeur de Thomas Sankara, Assimi Goïta s’est présenté comme un réformateur et non comme un révolutionnaire.
Dans le passé, les feux de l’instabilité africaine et du sentiment anti-français ont été attisés par le non-respect par les Français de leurs promesses – parfois cyniques – de grands changements structurels. Aujourd’hui, c’est l’inverse qui alimente l’instabilité. Ce sont les dirigeants africains qui réclament de grands changements structurels, mais ils se heurtent aux efforts des petites entreprises pour maintenir l’influence française à moindre coût.
Frank Gerits, Research Fellow at the University of the Free State, South Africa and Assistant Professor in the History of International Relations, Utrecht University
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.