Ce jeudi 1er juin a eu lieu une audience du procès qui oppose la société tunisienne Ureputation à Facebook. Avec, en trame de fond, la question de la souveraineté numérique de la Tunisie.
Tunisie, France, Etats-Unis… Trois ans après la très médiatique « Opération Carthage », lors de laquelle la société tunisienne Ureputation a vu Facebook fermer des centaines des comptes de ses employés après un rapport affirmant qu’elle avait mené « des opérations d’influence lors d’élections présidentielles africaines », le fondateur de la société, Lotfi Bel Hadj, contre-attaque dans plusieurs pays. L’homme d’affaires sort en effet l’artillerie lourde, en mettant les meilleurs cabinets d’avocats face au géant des réseaux sociaux, habitué à n’avoir, face à lui, que peu de résistance. Dans l’entourage de Bel Hadj, on confirme que ce dernier « se concentre sur cette bataille judiciaire » et qu’il « ne lâchera rien ».
Les experts indépendants accablent Facebook
Et c’est en Tunisie, le pays où tout a commencé, qu’a débuté la charge judiciaire de celui que l’on surnomme « LBH ». Ce jeudi 1er juin s’est ouvert, devant la 23e chambre du tribunal de première instance de Tunis, une audience inédite. Il est en effet très rare, voire impossible, de voir les avocats de Facebook plaider sur le fond des affaires en Afrique. Récemment, au Kenya par exemple, la défense du groupe Meta a simplement contesté la forme, dans le procès avec son sous-traitant Sama. L’entreprise de Mark Zuckerberg affirme que la justice kényane n’est pas compétente pour juger de ce dossier. Mais à Tunis, la procédure semble déjà bien avancée et l’avocat tunisien du groupe américain, Me Sami Kallel, est confronté à deux rapports d’expertise qui accablent le réseau social. Et le renvoi du procès au mois de septembre montre que, cette fois, Meta devra faire face à ses responsabilités.
Le message lancé par Ureputation est clair : la société tunisienne estime que le réseau social n’a pas respecté les conditions de service qu’il propose. En trame de fond, il est également question de « souveraineté numérique », un concept défendu par Bel Hadj depuis plusieurs années. Si, devant les juges tunisiens, Ureputation déplore le fait que Facebook, comme l’indique un rapport rédigé par un des deux experts judiciaires indépendants, ait mis fin de façon « abusive » aux « liens contractuels » entre Facebook et UReputation — le préjudice est estimé à 12,5 millions de dinars, soit environ 4 millions d’euros —, Lotfi Bel Hadj demande également, notamment au travers d’une tribune dans la publication française La Tribune, de nouveaux cadres juridiques pour éviter les « vols de données par les géants du numérique ».
Des procédures en Tunisie, en France et aux États-Unis
Le procès qui se déroule en Tunisie n’aura duré que quelques minutes. Mais force est de constater que Lotfi Bel Hadj n’a rien laissé au hasard. Face à l’avocat de Facebook, l’homme d’affaires a envoyé plusieurs avocats, dont Me Simon Le Wita, l’homme d’affaires français s’étant adjugé les services du célèbre cabinet britannique Charles Russell Speechlys. Créé en 1891, le cabinet dispose de bureaux partout en Europe, au Moyen-Orient et en Asie, et est connu pour avoir défendu des grosses sociétés comme Nec ou encore Nike. Prochaine étape très attendue de ce procès, le 28 septembre prochain. En attendant, « LBH » est bien décidé à faire valoir ses droits, également hors de la Tunisie.
Car l’offensive judiciaire tous azimuts de Lotfi Bel Hadj contre Facebook, comme la presse définit les multitudes procédures lancées par l’entrepreneur contre le géant californien, est plus que jamais d’actualité. Outre la Tunisie, Bel Hadj semble décidé à aller chasser Facebook jusque sur ses terres. Selon nos informations, du côté de Washington, plusieurs cabinets d’avocats prestigieux font actuellement les yeux doux à l’homme d’affaires pour lancer un procès aux États-Unis, qui s’annoncerait retentissant. En France, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), qui vient tout juste d’infliger une amende record de 1,2 milliard d’euros à Facebook pour des transferts illégaux de données, a jugé recevable la demande de Lotfi Bel Hadj pour le même motif. Les mois prochains s’annoncent délicats pour Facebook dans cette affaire qui se joue aux quatre coins du monde.
Mongi Khadraoui est journaliste et ancien secrétaire général du Syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT).