Au Soudan, les deux généraux en guerre se partagent les raffineries du pays. Contrôler ces positions est toujours stratégique. Explications.
Début août 2011. Alors que le régime de Mouammar Kadhafi est sur le point de tomber, les rebelles libyens s’attaquent à la raffinerie de Zawiyah, à l’ouest de Tripoli, et en prennent le contrôle. À l’époque, il s’agit de prendre les raffineries pour limiter les sources d’approvisionnement du régime en pétrole et en gaz, et ainsi l’asphyxier. Quelques jours plus tard, Kadhafi quittera sa position, avant d’être visé par un avis de recherche. En Libye, le pétrole a toujours été au cœur des divisions.
Douze ans plus tard, le pétrole est une nouvelle fois au cœur, cette fois d’une autre guerre, au Soudan. Comme l’indique Africa Intelligence ce jeudi matin, les Rapid Support Forces (RSF) conservent le contrôle de l’une des deux raffineries du pays. Pour le moment, le Greater Nile Oil Pipeline est épargné : l’oléoduc, qui permet d’importer le pétrole depuis le Sud-Soudan jusqu’à Port-Soudan, en passant par Khartoum, pourrait cependant être rapidement un enjeu pour les RSF et l’armée régulière.
Le pétrole, pour financer Daech
Car contrôler les raffineries et, plus globalement, l’approvisionnement en pétrole est, en temps de guerre, un enjeu de taille. Et pas seulement en ce début de siècle. En 1940 déjà, au moment de l’opération Dynamo, le général anglais Wavell écrivait dans une note que « le pétrole, le transport maritime, la puissance aérienne, la puissance maritime sont les clés de la guerre, et ils sont interdépendants. L’arme aérienne et l’arme navale ne peuvent fonctionner sans le pétrole. Le pétrole, sauf en quantités très limitées, ne peut être transporté vers sa destination autrement que par transport maritime. Le transport maritime a besoin de la puissance navale et de la puissance aérienne ».
Autrement dit, sans pétrole, difficile de gagner la guerre qui ne se résume plus à de simples affrontements entre deux armées sur le terrain mais qui entre désormais dans le cadre d’une stratégie globale. Et c’est le cas dans la plupart des guerres. En Ukraine, les forces de Zelensky se félicitaient de plusieurs prises de positions stratégiques, parmi lesquelles l’entreprise de raffinage de pétrole Ukrtatnafta. Au-delà d’éviter l’étouffement, le contrôle des raffineries répond à une stratégie plus large.
Car le pétrole permet également de financer sa guerre, pour les organisations à la recherche de fonds. Ce fut le cas de l’organisation État islamique qui, au début des années 2010, se finançait en majeure partie grâce au pétrole. En 2015, malgré des pertes conséquentes de puits pétroliers, Daech réussissait à s’assurer le quart de ses revenus avec les puits restants, accumulant ainsi près de 600 millions de dollars de gains annuels.
Les RSF ont déjà la main sur les mines du Darfour
Et comme dans chaque conflit, pour les ennemis des détenteurs de la manne pétrolière, difficile de tirer sur les positions stratégiques : car couper l’accès au pétrole, c’est priver les civils de ressources vitales. Or, s’il est possible de limiter d’appauvrir un peu plus les populations locales, bombarder les raffineries sera une solution ultime. D’autant que la communauté internationale, elle aussi, verrait d’un mauvais œil les destructions de raffineries.
Au Soudan, le partage des raffineries, entre les forces du général Dogolo et celles d’al-Burhane arrange donc, pour le moment, tout le monde. Car, les deux généraux le savent : le conflit risque d’être long et de s’enliser. Pour les RSF, c’est l’assurance de pouvoir tenir, alors que les forces de Hemeti avaient, en 2017, réussi à mettre la main sur une autre manne financière importante du pays : les mines d’or artisanales de Jebel Amer, au Darfour.