Le président tunisien Kaïs Saïed envisage de créer, comme sous Ben Ali, un ministère de l’Information. De quoi inquiéter les journalistes tunisiens…
Pour les journalistes tunisiens, c’est un retour à la propagande d’État qui s’annonce. Ces dernières semaines, le président Kaïs Saïed a relancé une idée qui lui tient à cœur : créer au sein de son gouvernement un ministère de l’Information. Depuis la chute de Zine el-Abidine Ben Ali, le bureau de l’information et de la communication dépend du ministère de l’Intérieur. Mais avant 2011, le gouvernement avait un ministère entièrement dédié à l’Information.
Et ce dernier avait un pouvoir important : le ministre de l’Information avait le droit de vie et de mort sur les médias. Il lui était notamment possible d’interdire la diffusion de journaux étrangers, sans qu’il n’ait à se justifier. La Tunisie de Ben Ali avait même bloqué toutes les publications de l’opposition et plusieurs sites d’information en ligne.
En octobre 2012, alors que la formation islamiste Ennahdha était au pouvoir, Reporters sans frontières dénonçait la tentative de mise sous tutelle des médias par les autorités tunisiennes. Christophe Deloire, directeur général de l’organisation, craignait alors le retour d’un « ministère de l’Information », comme à l’époque du président Ben Ali.
La fin de la liberté d’informer ?
Ce ministère avait été supprimé le 17 janvier 2011. Le gouvernement provisoire d’union nationale avait alors prôné, notamment par la voix du blogueur Slim Amamou, la liberté totale d’information et d’expression en tant que principe fondamental. Mais l’ONG Reporters sans frontières estimait que cette liberté ne pouvait être valable que si un Code de la presse adapté était adopté.
Ce que fit, en juillet 2011, la commission chargée des réformes. Le nouveau Code de la presse permettait, en théorie, des avancées pour les publications, en modifiant le régime des entreprises de presse, le statut du journaliste professionnel ou encore en permettant « la confidentialité des sources du journaliste » et en interdisant la poursuite des journalistes « pour des opinions exprimées ou informations diffusées ». Le ministère de l’Intérieur n’avait, alors, plus le pouvoir de bloquer l’édition d’un journal.
Un peu plus de dix ans plus tard, tout a changé. En novembre dernier, le directeur du média en ligne Business News a été convoqué par la justice après un article critique concernant le bilan de la cheffe du gouvernement. Avant cela, plusieurs blogueurs avaient été convoqués par la justice tunisienne, comme l’auteur de la page « Hay Ettadhamen ». Pour ce faire, le pouvoir s’appuyait sur le « décret 54 » relatif à la cybercriminalité et aux fake-news.
De la propagande à la censure
Désormais, si un ministère de l’Information voit le jour, la presse, notamment critique à l’encontre du pouvoir, a du souci à se faire. Kaïs Saïed, « par son coup à l’état, a confisqué avec sa nouvelle Constitution l’ensemble des trois pouvoirs qui constituent les institutions. Avec cette nouvelle mesure, c’est le quatrième et dernier pouvoir qu’il mettrait sous sa coupelle, dans un silence assourdissant », déplore un patron de média tunisien.
Car, par le passé, le ministère de l’Information a montré qu’il agissait en outil de propagande et, surtout, en censeur. Un ministère qui s’appuyait sur l’Agence tunisienne de communication extérieure (ATCE), un organe créé en 1990 pour, officiellement, « renforcer la présence dans les médias étrangers de la Tunisie et de sa politique nationale dans tous les domaines ». Dans les faits, il s’agissait surtout de maîtriser l’information qui sortait de Tunisie. Le ministre Abdelwahab Abdallah était devenu, en termes de propagande et de désinformation, un maître en la matière, selon l’Instance vérité et dignité (IVD).
Reste désormais à savoir, s’il décide de le créer, quel ministre Kaïs Saïed placera à la tête de ce ministère. Et surtout quelles seront ses prérogatives officielles. Quoi qu’il en soit, ce projet inquiète d’ores et déjà les responsables de médias. D’autant que, comme l’indique RSF, la liberté de la presse n’a cessé de reculer en Tunisie.
🚨 La #Tunisie 🇹🇳 dégringole au 121e rang sur 180 au classement mondial de la liberté de la presse de @RSF_inter. Pour illustrer cette chute sans fin de la liberté d’expression, nous avons perdu 48 places 😵💫 en deux ans, soit depuis le coup d'état de Kaïs Saïed.😨 pic.twitter.com/MxOTWE6EPN
— 10Millions2Po (@10Millions2Po) May 3, 2023