La diaspora sénégalaise transfère 2 562 millions de dollars US de fonds par an, représentant 10,5 % du Produit intérieur brut du pays.
Les transferts de fonds, les investissements et l’expertise de la diaspora africaine forte de 160 millions de personnes sont vitaux pour la croissance future du continent.
C’est la conclusion à laquelle la Banque africaine de développement est arrivée lors d’un forum organisé en décembre 2022 à Abidjan, en Côte d’Ivoire.
De plus en plus, des maires africains expriment leur souhait de se tourner vers les diasporas pour le financement du développement local.
Cet article vise à expliquer comment l’investissement des émigrés peut contribuer au financement du développement des collectivités au Sénégal.
Dans le contexte de la décentralisation et de la territorialisation des politiques publiques, les migrants et le secteur privé pourraient jouer un rôle de premier plan dans vis-à-vis des les collectivités territoriales affectées par les migrations. En effet, les autorités locales se retrouvent en première ligne pour gérer les impacts, à la fois positifs et négatifs, de la migration.
Les collectivités territoriales du Sénégal ont en commun d’être confrontées à deux phénomènes majeurs qui structurent et déstructurent les dynamiques économiques. Il s’agit du changement climatique et de la mondialisation dans un contexte de mobilité permanente liées aux migrations.
Inscrire les dynamiques territoriales dans nos objectifs de développement revient à envisager ces entités spatiales et humaines comme porteuses de nouvelles économies plus adaptées.
Les fonds des migrants comme alternatives
En effet, selon la Commission économique pour l’Afrique, les transferts des migrants vers le continent ont atteint 41 milliards de dollars en 2021. Cela représente ainsi plus du double de l’aide publique au développement accordée à l’Afrique.
Il s’agit de trouver des financements adaptés dans un contexte où les transferts de fonds des migrants, bien encadrés, constituent des alternatives solides.
Au Sénégal, selon un rapport publié par l’Afford (2021), la diaspora est forte de 642 654 personnes, soit 3,7 % de la population. Si les flux d’émigration des Sénégalais se font majoritairement au sein du continent africain, 47,6 % d’entre eux sont établis dans les pays de l’Union européenne.
La diaspora sénégalaise, c’est aussi 2 562 millions de dollars US de transferts de fonds par an, représentant 10,5 % du Produit intérieur brut (PIB) du pays, selon le même rapport. C’est considérable ! Grâce à ces transferts, la diaspora joue un rôle de premier plan dans le relèvement du niveau et du cadre de vie des familles restées au pays. Elle contribue ainsi aux efforts entrepris par les gouvernements pour lutter contre la pauvreté et favoriser l’inclusion économique des populations, y compris les plus vulnérables.
Les associations de migrants sont actives dans la prise en charge des effets adverses du changement climatique par le financement et l’investissement dans les infrastructures, les moyens de production et l’outillage agricole. Elles contribuent également au financement et au développement d’activités génératrices de revenus, à l’adoption d’activités non agricoles, à la diversification des activités agricoles.
Ainsi, bien encadrés, les transferts de fonds des migrants peuvent permettre de trouver des financements adaptés et constituer des alternatives solides par rapport au renforcement des ressources financières des collectivités territoriales. En effet, chaque année, une allocation minimale de 12 millions de francs CFA (environ 19 000 dollars US) est versée à chacune des 557 collectivités locales. Le Fonds de dotation de la décentralisation qui est très faible pour une meilleure territorialisation des objectifs de développement durable est en cours de restructuration. Il constitue une réforme ambitieuse qui vise à recentrer les ressources sur les vrais objectifs du fonds.
Transferts non financiers
Les associations de la diaspora et les migrants en tant qu’individus contribuent en permanence au dynamisme de l’économie à travers des transferts monétaires et des transferts non financiers. En réalité, les migrants transfèrent plus que de l’argent. Ils ramènent un engagement pour le développement, des réseaux de partenariat, des moyens de production et des outils et machines pour répondre aux effets adverses de l’incertitude climatique.
En outre, les migrants peuvent investir dans l’immobilier dans les villes comme Dakar ou dans les villages. Les retombées de ces investissements sont destinées au financement d’alternatives face aux effets liés à l’aridité et à l’incertitude climatique.
Les aides d’urgence aux populations sont financés ainsi par des sources plus stables et moins soumises aux impacts des changements climatiques sur le capital naturel et les activités économiques des zones rurales. Dans le même temps, ces flux financiers contribuent à connecter l’économie locale au système national et global.
L’habitat constitue un secteur de prédilection de l’investissement des migrants sénégalais. Cette appropriation foncière et immobilière entraîne des effets multiples sur la société et le tissu urbain. Face aux risques climatiques, il est nécessaire de tenir compte des opportunités et incertitudes liées au climat.
L’amélioration des articulations entre l’investissement des émigrés avec les priorités de l’encadrement (collectivités territoriales, organisations non gouvernementales, projets de développement…) devrait se faire par une prise en compte effective du potentiel de l’émigration.
Mieux canaliser les investissements
En d’autres termes, les plans de développement des collectivités territoriales devraient être plus sensibles à ces deux paramètres déterminants du développement territorial. Les migrants et associations de la diaspora doivent de leur côté pouvoir profiter des dispositifs et plateformes d’appui pour mieux canaliser leurs investissements.
Avec l’installation des antennes des Bureaux d’accueil, orientation et suivi des Sénégalais de l’extérieur au niveau des Agences régionales de développement, plusieurs opportunités sont offertes aux migrants qui veulent investir dans leurs terroirs.
Ces bureaux vont contribuer aux efforts visant à mettre en œuvre une politique migratoire sénégalaise adaptée aux évolutions nationales et internationales et orientée vers une logique de développement. Les projets d’appui aux migrants de retour ayant atteint des succès notables ont beaucoup mis l’accent sur une bonne diffusion de l’information autant au Sénégal que dans le pays de provenance des migrants de retour.
Il s’agira, dans le futur, de privilégier une information centrée sur les opportunités destinées aux Sénégalais porteurs de compétences pouvant être investies au Sénégal (valorisation de l’expertise de la diaspora). Elle devra également inclure ceux désireux d’être accompagnés pour la mise en œuvre de leurs projets d’investissement sur place.
Par exemple, il serait intéressant que les responsables des différents secteurs professionnels agissant au Sénégal puissent dire de manière précise leurs attentes vis-à-vis des migrants de retour ainsi que les opportunités d’emploi et d’investissement qu’ils pourraient prendre en charge. Autrement dit, il s’agit de rendre « pratique » l’information en direction de migrants de retour pour qu’ils puissent très vite être en situation d’investir voire de produire.
Le gouvernement du Sénégal reconnaît la contribution des migrants si bien que l’expertise de la diaspora est inscrite dans le Plan Sénégal Emergent, le référentiel de développement du pays, qui intègre une utilisation souple et optimisée des ressources techniques et scientifiques de la diaspora.
La place de la diaspora dans le développement économique et social national trouve également, dans la mise en œuvre de l’Acte III de la décentralisation, une formidable opportunité. En effet, les réseaux de la diaspora sénégalaise pourraient constituer à moyen et long termes des leviers du développement durable avec l’avènement des pôles territoriaux tels qu’ils sont envisagés par l’Acte III de la décentralisation.
Cheikh Tidiane Wade, Professeur de Geography, Université Assane Seck de Ziguinchor
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.