La tournée africaine de la secrétaire d’État américaine au Trésor ouvre une nouvelle ère de diplomatie économique et offre l’occasion de redéfinir les termes de l’échange.
La récente tournée africaine de Janet Yellen représente à la fois une invitation pour une nouvelle ère de diplomatie économique ou écodiplomatie, et l’occasion de redéfinir les termes de l’échange. Que le voyage de la secrétaire au Trésor des États-Unis ait commencé au Sénégal avec une visite de l’île de Gorée rappelle que toute relation transatlantique est entachée de ses origines esclavagistes dont il faut à la fois reconnaître la trame et la dépasser. Qu’il ait continué par un dialogue sur les enjeux climatiques et le rôle d’incubateur d’entreprises pointe vers la nécessité d’investir dans l’humain – et non l’humanitaire. En cela, le Sénégal et les États-Unis partagent plus qu’un passé douloureux : ils ont en commun leur foi en la résilience et l’ingéniosité humaine.
La construction d’un parc éolien considéré comme de l’un des plus grands de l’Afrique de l’Ouest dans la périphérie de Dakar, symbole de cette coopération sénégalo-américaine célébrée par Janet Yellen, rayonne ici comme la promesse d’un futur riche en mégawatts.
L’enjeu est de ne pas la réduire en une simple production énergétique reléguant les humains qui la produisent au seul rang de consommateurs – et l’Afrique comme seule terre de ressources. “Notre engagement n’est pas transactionnel”, dit Jannet Yellen. Mais devrait-il l’être? Ne devrait-il pas y avoir de transaction équitable entre deux pays coopérant pour la sauvegarde de la planète? Le continent a déjà souffert de ne pas avoir reçu la juste transaction de ses richesses trop longtemps exploitées. Le défi n’est pas d’épargner l’Afrique de la compétition énergétique. Il est d’équiper les compétiteurs africains pour le développement d’une justice climatique, c’est-à-dire une juste redistribution des ressources énergétiques pour l’indépendance durable du continent et de ses habitants.
La transition énergétique comme axe de coopération
Comment y parvenir? Tout d’abord, par l’élargissement d’un cadre transnational de responsabilité qui réunit secteurs public et privé. La transition énergétique est, ici, un axe de coopération stratégique majeur entre le Sénégal et les Etats-Unis. Si le premier possède un capital naturel inégalé, le second dispose de capitaux financiers virtuellement illimités.
Contrairement au pétrole et au gaz dont l’exploitation dépend des eaux territoriales par lesquelles on y accède, la matière première de l’énergie solaire ou éolienne dépasse le cadre national. Là où un gisement de pétrole est « saoudien » ou « écossais », un rayon de soleil n’est ni « américain » ni « sénégalais ». C’est sa transformation en énergie qui donne naissance à son potentiel géopolitique: échanges commerciaux, réserves stratégiques, développement socio-économique. Le voyage de Janet Yellen ouvre donc une opportunité pour le Sénégal d’accéder à ce potentiel transformatif. D’une part, il signale aux investisseurs privés le support diplomatique des Etats-Unis –rappelons que la tournée de Yellen suit celle du secrétaire d’Etat, Anthony Blinken. D’autre part, il presse Dakar d’accroître le cadre public gouvernant la juste redistribution de nouvelles ressources énergétique en des termes choisis par et pour le continent.
Élargir la capacité étatique
Deuxièmement, ce potentiel ouvert par une coopération sénégalo-américaine doit être plus que bilatéral : il va bénéficier d’une approche transnationale et régionale. De fait, nombre de partenaires privés opèrent déjà en multinationales, se jouant des frontières limitantes des Etats-nations. Rappelons ici que le Sénégal est historiquement l’un de Etats les plus actifs dans la création et l’évolution d’institutions dont l’objectif justement est de dépasser les limites de l’action au niveau national.
De telles institutions, en particulier dans le domaine des politiques climatiques et énergétiques existent déjà. L’Organisation pour la mise en valeur du fleuve Sénégal (OMVS) et l’Agence panafricaine de la grande muraille verte en sont des exemples. Elles transcendent les frontières nationales tout en étant ancrées dans un moule étatique, devenant plus que la somme de leur parties grâce à la coordination de leurs efforts multipartites. Le défi – que l’OMVS a relevé avec succès – est d’élargir la capacité étatique sans menacer la souveraineté des Etats, notamment en se fondant sur une approche multi-sectorielle.
*Créer une écodiplomatie africaine
Il reste enfin un troisième défi, moins économique qu’idéologique, sous-jacent dans les remarques de la secrétaire au Trésor : « L’investissement américain » a dit Janet Yellen, « est un meilleur moyen, plus fiable, d’assurer croissance et prospérité partagées pour tous sur tout le continent ». Invités à choisir entre la Chine et la Russie d’un côté et les Etats-Unis de l’autre, les pays du continent restent enfermés dans le faux choix entre Ouest et Est, neutralisant un choix plus conséquent – bien que tout aussi problématique – entre Nord et Sud. L’Afrique n’est pas un simple pion sur l’échiquier, même si ce pion en est la reine. Il est temps de créer une diplomatie fondée sur le futur économique et écologique du continent: une écodiplomatie.
L’enjeu, ici, n’est pas d’isoler naïvement le continent d’une situation internationale complexe et incontournable. Il est de minimiser l’exposition de l’Afrique à un échec et mat géopolitique tout en maximalisant l’élaboration de politiques énérgétiques africaines. Cela nécessite, d’une part, de multiplier les partenariats élaborés lors de la visite de Janet Yellen, de sorte qu’aucun ne devienne un point névralgique. D’autre part, il consiste à réorienter leurs cadres vers une écodiplomatie continentale ayant comme porte d’entrée les Etats qui la composent.
Que Dakar soit idéalement située à la pointe ouest du continent, tout aussi proche du port de Miami que de Djibouti, représente un avantage stratégique et géopolitique dont le potentiel reste entier. Avec pour horizon la visite annoncée du Président Biden en 2023, le Sénégal dispose d’une occasion unique de s’ériger en porte d’entrée naturelle du continent et de faire fructifier les jalons posés par la secrétaire au Trésor en une nouvelle politique étrangère fondée sur une écodiplomatie renforçant l’indépendance durable de l’Afrique.
Yohann C. Ripert, Assistant Professor of French and Francophone Studies, Stetson University
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.