Au Kenya, la justice s’est déclarée compétente pour juger Facebook dans une affaire qui oppose le groupe Meta à un ex-modérateur du réseau social. Une première bien plus importante qu’il n’y paraît…
Jusqu’à aujourd’hui, l’équation était assez simple : le groupe Meta, propriétaire de Facebook, faisait ce qu’il voulait hors des États-Unis. D’après les conditions d’utilisation de Facebook, acceptées par tous ses utilisateurs, les plaintes contre le réseau social ne peuvent être portées que « devant un tribunal régional américain du Northern District de Californie ou devant un tribunal national du comté de San Mateo ». Ce qui limitait, forcément, les contestations.
Alors, quand Facebook a été épinglé dans une affaire de traite des personnes au Kenya, les recours n’ont pas été immédiatement possibles. L’affaire concernait un certain Daniel Motaung. Employé à l’époque des faits par Sama, un sous-traitant de Meta Platforms au Kenya, Motaung était l’un des salariés qui devait s’occuper des services de modération des contenus du réseau social Facebook. Le modérateur accusait alors le géant américain de traite humaine, mais également de travail forcé et de répression syndicale. Et même si Sama n’était que sous-traitant, il était prouvé que Meta et Sama avaient décidé ensemble des conditions de travail des modérateurs de Facebook.
Une loi taillée sur mesure pour Facebook
Reste qu’il semblait impossible de traîner le géant américain devant les tribunaux, hors de Californie. Mais la justice kényane semble en avoir décidé autrement. Un tribunal kényan s’est en effet déclaré compétent pour juger l’affaire Motaung. Meta a tenté de contester son implication dans l’affaire, rejetant la faute sur Sama et assurant ne pas opérer directement au Kenya, mais pour la première fois en Afrique, la justice entendra les responsables de Facebook.
« Si la tentative de Meta d’éviter la justice kényane avait réussi, cela aurait sapé les principes fondamentaux de l’accès à la justice et de l’égalité devant la loi en faveur du privilège étranger », a déclaré Irũngũ Houghton, directeur exécutif d’Amnesty International Kenya. La responsabilité de Facebook sera donc étudiée, alors que le groupe se soucie généralement peu des conditions des travailleurs et de ses utilisateurs en-dehors des États-Unis.
Au-delà du procès, c’est aussi tout un système qu’il faut revoir. Cité par The Guardian, Cori Crider, directeur de Foxglove, une ONG qui a soutenu Motaung dans cette affaire, estime que les réseaux sociaux ne devraient pas externaliser la modération de contenu. « C’est le cœur de métier de l’entreprise. Sans le travail de ces modérateurs, les réseaux sociaux sont inutilisables. Lorsqu’ils ne sont pas en mesure de faire leur travail en toute sécurité ou correctement, la sécurité des médias sociaux vacille brutalement », explique-t-il.
Facebook se fiche-t-il du continent africain ?
Les ONG locales reprochent en effet à Facebook d’avoir mal géré les discours de haine lors de la guerre civile dans le nord de l’Éthiopie. Elles reprochent à Facebook de n’avoir par recruté suffisamment de personnel de modération pour son centre régional de Nairobi. Plus globalement, c’est la modération de contenu hors des États-Unis qui étonne les plaignants, persuadés que l’impunité judiciaire dont bénéficie Meta jusqu’alors ne va pas dans le bon sens.
La décision prise ce lundi pourrait donc être un tournant. Leah Kimathi, coordinatrice du Council for Responsible Social Media, estime que les groupes comme Meta « ne devraient pas seulement considérer le Kenya comme un marché, mais devrait être responsable et consciente des nuances, des besoins et des particularités du Kenya, en particulier en ce qui concerne la modération de contenu ».
Voilà le sens de la décision de la justice kényane : mettre enfin Facebook face à ses responsabilités. Surtout lorsque l’on sait que 68 % des Kényans ayant accès à internet vont chercher l’information sur les réseaux sociaux.
Quelle sera désormais la suite ? Dans la décision rendue ce lundi, le juge Jacob Gakeri a tenu tête à Meta qui voulait simplement faire annuler les poursuites engagées par son ancien sous-traitant contre le groupe. Sont concernées deux entités : Meta Platforms et sa filiale Meta Platforms Ireland, qui seront toutes les deux poursuivies. Prochaine audience : le 8 mars.