En plus d’un bon équipement, le M23 mène une guerre conventionnelle bien organisée en intimidant l’armée nationale congolaise. Delphin Ntanyoma liste quatre éléments essentiels à retenir sur le groupe rebelle, qui menace la stabilité régionale.
Les combats entre l’armée nationale de la République démocratique du Congo et le groupe rebelle M23 ont forcé des milliers de personnes à fuir leurs localités vers la ville de Goma, située à la frontière orientale. Formé il y a 10 ans, le Mouvement du 23 Mars (M23), soutenu par le Rwanda, s’est rapidement fait remarquer en occupant brièvement Goma, une ville abritant aujourd’hui au moins un million d’habitants. Les efforts menés par les pays de la région ont abouti à un cessez-le-feu et à la démobilisation du M23 – jusqu’à la récente reprise des hostilités en 2021.
1. Quel est le contexte historique de l’insurrection du M23 dans l’est de la RDC ?
La force actuelle est ce qui reste du Mouvement M23 original formé en avril 2012. Le M23 est né du Congrès national pour la défense du peuple, plus connu sous son acronyme français CNDP, un groupe rebelle qui a combattu le gouvernement de la RDC entre 2006 et 2009. Les deux groupes fondent leur revendication sur une discrimination à l’égard des Tutsis congolais et d’autres communautés ethniques du nord et du sud du Kivu qui sont considérés à tort ou raison comme étant d’origine Rwandaise et communément appelés “Rwandophones”. L’une des conséquences de cette discrimination à l’égard de de ces communautés est la présence de dizaines de milliers de réfugiés dans la région des Grands Lacs africains.
Le M23 a occupé la ville de Goma, dans l’est de la RDC, pendant 10 jours en 2012. Son ascension rapide et ses liens avec le Rwanda ont suscité l’inquiétude et déclenché des efforts internationaux pour un cessez-le-feu. Après des pourparlers menés par la Communauté de développement de l’Afrique australe, le M23 a mis fin à sa rébellion en 2013.
Des luttes intestines ont rapidement éclaté au sein du M23 entre deux groupes. Une aile composée d’environ 1 700 soldats a fui en Ouganda. L’autre aile, plus petite, composée de 700 combattants, a trouvé refuge au Rwanda. Beaucoup de ces combattants se sont par la suite démobilisés volontairement ou ont négocié individuellement leur intégration au sein de l’armée nationale de la RDC.
Début 2017, quelques centaines de vestiges de l’aile ougandaise ont quitté l’Ouganda pour la RDC, où ils ont parfois affronté l’armée nationale de la RDC. Mais il n’y a pas eu de signe de recrutement intense jusqu’en 2021, lorsque le groupe rebelle a repris ses attaques.
Il est extrêmement difficile d’estimer la taille actuelle du groupe M23. Toutefois, le Grands Lacs Africains est une région instable depuis des décennies, où d’innombrables griefs non résolus couvent sous la surface. Il y a des centaines, voire des milliers de jeunes hommes qui constituent un réservoir prêt à être recruté et mobilisé.
Néanmoins, la capacité du M23 à occuper et à contrôler plusieurs localités du Nord-Kivu avec sa capacité militaire limitée conduit de nombreux experts à penser que le groupe rebelle a reçu un soutien militaire du Rwanda et, dans une moindre mesure, de l’Ouganda. Le gouvernement de la RDC s’est fermement opposé à toute forme de pourparlers de paix avec le M23.
2. Quel territoire cherchent-ils à conquérir et pourquoi ?
La majorité des combattants rebelles du M23 sont originaires de la province du Nord-Kivu et plus précisément dans les territoires de Masisi et de Rutshuru. Ces territoires sont proches de la frontière du Rwanda où se déroulent actuellement les combats. Ces combattants sont extrêmement familiers avec ce terrain et pourraient bénéficier du soutien des populations locales. La ville de Goma se trouve également dans ces environs.
La superficie du seul territoire de Rutshuru est d’environ 5 300 km², soit l’équivalent d’un cinquième du territoire rwandais. La région occupée par le M23 est frontalière du Rwanda, de l’Ouganda et de la RDC et connaît un énorme trafic de camions commerciaux transportant des marchandises en provenance du port Kenyan de Mombasa vers Goma et Bukavu en RDC, en passant par l’Ouganda. Le contrôle de la ville frontalière de Bunagana – comme le fait actuellement le M23 – offre la possibilité de collecter des fonds supplémentaires par le biais de taxes informelles. La région est également riche en termes de ressources naturelles (forestières et minières). Par le passé, l’accès et le contrôle de ces ressources ont également motivé plusieurs acteurs à soutenir les groupes rebelles.
Tout en se rapprochant de la ville de Goma et sur la base de l’expérience de 2012, le M23 pourrait ne pas chercher à occuper militairement la ville. La ville abrite un million d’habitants, dont des centaines de milliers de déplacés internes. Les combats près de Goma exercent une pression sur le gouvernement congolais pour qu’il ouvre la voie vers un dialogue direct. Mais attaquer la ville augmenterait la pression internationale contre les rebelles et le Rwanda.
3. Qu’est-ce qui explique leur succès sur le champ de bataille contre l’armée nationale ?
Mathias Gillmann, porte-parole de la Mission de stabilisation de l’ONU en RDC, a fait allusion à la capacite militaire du M23 vers juillet 2022. Il a noté que le M23 était militairement plus fort que par le passé.
“le M23 opère de plus en plus comme une armée conventionnelle, s’appuyant sur des équipements beaucoup plus sophistiqués que par le passé.”
Bien que cela n’ait pas encore été vérifié de manière indépendante, le M23 est parmi des groupes que l’on croit avoir abattu un hélicoptère de la mission de l’ONU qui s’est écrasé dans leur fief en mars 2022. Des hélicoptères militaires de la RDC ont également été pris pour cible dans cette zone en 2017.
Des sources militaires ont laissé entendre que le M23 est actuellement capable d’opérer 24 heures sur 24, grâce à des dispositifs et équipements de vision nocturne. Il dispose également d’armes à plus longue portée, comme des mortiers et des mitrailleuses. Il est probable que ces armes aient été fournies par une armée bien organisée, raison pour laquelle les services de sécurité rwandais sont soupçonnés de soutenir le M23.
Outre l’équipement, le M23 mène une guerre conventionnelle bien organisée durant laquelle il a pris le dessus sur l’armée nationale Congolaise. Il a rapidement progresséde la réserve forestière de Sarabwe à Bunagana. Plus récemment, les rebelles étaient en action à moins de 20 km de la ville de Goma.
Cependant, il est également important de souligner que l’armée nationale de la RDC est extrêmement dysfonctionnelle, corrompue, mal équipée et a un faible moral. Il est bien connu que les rations des soldats disparaissent dans les mains des généraux. Dans de nombreux cas, les soldats peuvent passer des jours sans soutien logistique simplement parce que les officiers supérieurs et les généraux militaires sont plus préoccupés par l’accumulation de ressources, même aux dépens de leurs soldats de rang.
4. Que se passe-t-il ensuite ?
Commençons par le contexte. L’accord politique qui a mis fin à l’occupation de Goma par le M23 il y a dix ans n’a jamais été totalement appliqué. Les combattants du M23 auraient dû être intégrés dans l’armée nationale congolaise mais ne l’ont pas été. Et l’aile politique du M23 devait devenir un parti politique reconnu, mais ne l’a pas été non plus.
Le gouvernement de la RDC, d’abord sous le président Joseph Kabila et maintenant sous le président Félix Tshisekedi, a choisi d’engager politiquement le principal soutien du M23, le Rwanda, de manière formelle ou informelle. L’implication du Rwanda en RDC remonte à 1996, lorsqu’il a soutenu la rébellion qui a renversé le dirigeant de longue date Mobutu Sese Seko. Son implication ultérieure par le biais d’intermédiaires tels que le M23 a des motivations à la fois sécuritaires et économiques.
Les relations entre Kinshasa et Kigali se sont récemment détériorées après que Tshisekedi et le président ougandais Yoweri Museveni ont convenu d’opérations militaires conjointes le long de leur frontière et de la construction de routes. La RDC a également autorisé le Burundi voisin à poursuivre les rebelles au-delà de la frontière commune. Les rebelles burundais opérant en RDC ont reçu un soutien militaire et logistique des services de sécurité rwandais.
Le Rwanda semblait ainsi isolé dans cette région instable. En réactivant le M23, l’objectif du président Paul Kagame était de remuer le paysage politique régional dans lequel il se sentait de plus en plus isolé.
En raison de son rôle, le Rwanda a fait l’objet d’une pression diplomatique intense de la part de la communauté internationale. Celle-ci inclut des alliés occidentaux clés tels que les États-Unis, le Royaume-Uni et la France. Kagame n’a guère d’autre choix que de retirer son soutien militaire, logistique et politique et d’amener le M23 à quitter la vaste zone occupée par les rebelles. Cela s’est déjà produit auparavant. En 2009, le CNDP – le précurseur du M23 – a été démantelé lorsque Kigali a conclu un accord avec Kinshasa qui était avantageux pour le Rwanda mais préjudiciable au groupe rebelle. En 2013, Kigali a de nouveau été obligé de retirer son soutien au M23 sous la pression de la communauté internationale.
Cette fois-ci, Kagame pourrait chercher à obtenir des garanties que la force régionale de la Communauté d’Afrique de l’Est ne constituera pas une menace pour la sécurité du Rwanda, de la même manière qu’une opération conjointe de l’Ouganda et de l’armée de la RDC au Nord-Kivu aurait pu l’être.
Le prix à payer pour Kagame, une fois que le M23 est sommé de se retirer de zones conquises, serait la perte de crédibilité parmi ses partisans de moins en moins nombreux dans son cercle restreint rwandais. Cela affecterait également sa base de soutien, principalement parmi les Tutsis congolais en RDC qui comptent sur son soutien dans un contexte de violence les visant au Nord-Kivu.
Le Rwanda reste encore quelque peu isolé dans la région. En effet, le Kenya, la Tanzanie, l’Ouganda, le Burundi et le Sud-Soudan sont tous autorisés par la Communauté d’Afrique de l’Est et la RDC à envoyer leurs forces pour stabiliser l’Est de la RDC, alors que le Rwanda ne l’est pas.
Plutôt que de soutenir un groupe rebelle et d’agir par procuration, le Rwanda pourrait toujours intervenir directement à travers la frontière avec la RDC si sa sécurité est menacée. Mais cette option nécessite que ses services de sécurité montrent des preuves tangibles de ces menaces à l’intérieur des frontières du pays.
Delphin R. Ntanyoma, PhD Visiting Researcher, International Institute of Social Studies
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.