Pour comprendre le coup d’État au Burkina Faso, il faut apprécier les luttes de pouvoir internes au pays et leurs liens avec l’extrémisme violent.
La sous-région ouest africaine, située à l’extrémité sud du désert du Sahara, a récemment fait l’objet d’une attention particulière. Les principales raisons en sont la montée de l’extrémisme violent et ce qui semble être des manifestations de recul de la démocratie.
Les événements au Mali et en Guinée en sont des exemples. Dans ces deux pays, la gouvernance démocratique a été tronquée. Le pouvoir politique a été pris par la force militaire et la Constitution suspendue
Les événements qui se déroulent au Burkina Faso ont également des conséquences sur la paix, la stabilité et la sécurité dans une région très instable, caractérisée par la fragilité et le déclin des États.
Le dernier coup d’État au Burkina Faso, le 30 septembre 2022, était le deuxième en seulement neuf mois. Lors de ce second coup d’État, le capitaine Ibrahim Traoré, âgé de 34 ans, a démis le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba de ses fonctions.
Les signes sont clairs : une crise interne couve. Peu de temps avant le coup d’État, Damiba avait limogé son ministre de la défense et pris lui-même les rênes du pays. Il s’agissait apparemment d’une démonstration de force visant à consolider son emprise sur le pouvoir politique.
Les raisons de ce limogeage ne sont pas sans rapport avec l’incapacité persistante du pays à vaincre les groupes extrémistes violents. La plupart sont affiliés à Al-Qaïda et à l’État islamique et ont fait des percées importantes dans le pays depuis 2015.
Quelques jours seulement avant le dernier coup d’État, un convoi de 207 camions circulant sur la route nationale 22 à Gaskindé, une commune située dans la province du Soum, a été attaqué. Elle a coûté la vie à 37 personnes, dont 27 soldats, et 70 camionneurs sont toujours portés disparus. Al-Qaïda a depuis revendiqué la responsabilité de l’attaque.
Récemment, ces groupes extrémistes ont commencé leur incursion dans d’autres États d’Afrique de l’Ouest, comme le Togo et le Bénin. Si ces groupes établissent leur emprise sur le Burkina Faso, ils pourraient potentiellement former des recrues et lancer des attaques à partir de ce pays.
C’est pour mettre un terme aux activités des groupes extrémistes que Damiba a pris le pouvoir par un coup d’État le 24 janvier 2022. Il a décrit ce coup comme étant “nécessaire et indispensable”. Neuf mois plus tard, Traoré a donné des raisons similaires pour prendre le pouvoir à Damiba.
Pour comprendre le dernier coup d’État, il faut apprécier trois facteurs interdépendants. Le premier est la lutte interne pour le pouvoir dans le pays. Le deuxième est le lien entre ces luttes et la prévalence de l’extrémisme violent dans le pays. Enfin, le troisième facteur est l’enchevêtrement complexe des dynamiques régionales impliquant des acteurs étatiques extérieurs. Par exemple, la France avait apporté son soutien à Damiba. Mais Traoré a indiqué sa volonté de travailler avec la Russie.
La violence continue
Comme son prédécesseur, Traoré a pris le pouvoir en tant que “chef de l’État et chef des forces armées”. Il est désormais devenu”président de transition” et a promis de mettre un terme à l’extrémisme violent.
Mais Traoré ne semble pas avoir de stratégie pour mettre fin à cette violence, qui se poursuit sans relâche. À peine un mois après son arrivée au pouvoir, 10 soldats burkinabés ont été tués et 50 autres ont été blessés à la suite d’une attaque terroriste contre une base de l’armée à Djibo.
Les citoyens du Burkina Faso continuent de payer un lourd tribut à la violence. Ils vivent dans un État pauvre et enclavé qui, en 2021, était classé 184e sur 191 selon l’indice de développement humain. Un quart de la population de 22 millions d’habitants vit de l’aide d’urgence.
Mais l’État semble toujours se concentrer sur l’obtention d’une aide militaire plutôt que d’essayer de résoudre ces problèmes.
Soutien étranger
Un certain nombre de pays ont fourni une forme d’assistance militaire au Burkina Faso dans sa quête pour assurer sa survie contre les djihadistes.
Avant la destitution de Damiba, la France envisageait de soutenir le Burkina Faso à hauteur de 15 millions d’euros. Après son éviction, la France aurait reçu Damiba.
Pour sa part, Traoré a rendu la France responsable des avancées des djihadistes et a fait part de sa volonté de travailler avec la Russie pour vaincre cette menace persistante.
Il ne fait aucun doute que la Russie reste le principal État non occidental bénéficiaire du dernier coup d’État, dont elle s’est officieusement félicitée. La Russie cherche à combler le “vide policier” créé par la diminution de l’influence stratégique de la France dans la région après la fin récente de l’opération Barkhane..
Il est également significatif que de jeunes partisans du dernier coup d’État aient attaqué l’ambassade de France et brandi des drapeaux russes.
Les autres bénéficiaires sont les djihadistes, qui sont susceptibles d’intensifier leurs brutales campagnes de terreur en profitant de l’instabilité politique créée par les coups d’État et en exploitant les griefs et les frustrations locales.
L’implication pour les États-Unis et leurs alliés occidentaux, à l’ère de la concurrence entre grandes puissances, est la perte potentielle d’influence stratégique dans la région contestée.
Bien qu’il n’y ait aucune preuve évidente de l’implication de la Russie dans les événements qui ont conduit au coup d’État, il est clair que la dynamique géopolitique de la région évolue en sa faveur.
Comme les autres coups d’État récents, le dernier coup d’État au Burkina Faso a suscité les réactions de condamnation molles de la communauté internationale, notamment des Nations unies et de l’Union africaine.
La Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest a toutefois indiqué sa volonté d’envoyer une équipe de médiateurs à Ouagadougou. Il n’est pas certain qu’ils parviennent à un grand résultat, étant donné que les manifestants ont repoussé les efforts diplomatiques de l’organisme régional.
Effets d’entrainement
Peu après avoir pris le pouvoir, M. Traore a organisé un forum national de deux jours, dominé par les représentants de la junte.
Après 27 ans de dictature militaire qui n’a pris fin qu’en 2014, les difficultés du Burkina Faso ne font que commencer. Et ils pourraient avoir un effet d’entraînement dans toute la sous-région ouest-africaine.
Folahanmi Aina, Doctoral Candidate in Leadership Studies, King’s College London
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.