L’accès à l’électricité reste problématique en Afrique où, selon l’Agence internationale de l’énergie, près de 600 millions de personnes, soit 43 % de la population, n’en bénéficiaient toujours pas en 2021. La qualité de l’approvisionnement par le réseau est en outre limitée, avec de fréquentes coupures de courant, notamment dans les zones rurales.
Les bénéfices apportés par l’accès à l’électricité paraissent pourtant évidents, que ce soit pour l’éclairage public et privé, les conditions sanitaires ou les activités économiques. Substituer l’électricité à l’usage de combustibles traditionnels participe aussi à la protection de l’environnement.
Ainsi, l’amélioration de l’accès à l’électricité fait maintenant partie des priorités du développement, à travers l’objectif du développement durable (ODD) n°7 des Nations unies : garantir l’accès de tous à des services énergétiques fiables, durables et modernes, à un coût abordable.
Pendant longtemps, les politiques d’électrification menées dans les pays en développement ont été calquées sur celles des pays développés, à savoir la construction de grands réseaux électriques nationaux, voire continentaux. Cette politique apparaît inadaptée pour les zones rurales des pays en développement, en raison des coûts démesurés de l’extension des réseaux liée à la dispersion de la population mais aussi du fait de la faible qualité de services qu’ils sont à même d’offrir.
La solution préconisée face à ces défis a été pendant un temps la diffusion de solutions individuelles isolées, dont les plus connues sont les solar home systems (SHS). Mais ces solutions, même parées des mérites de l’utilisation de ressources locales renouvelables, ont trouvé leurs limites, car apportant une puissance électrique trop faible pour soutenir des usages productifs significatifs. L’éclairage électrique apporte du confort, mais ne crée que peu d’impacts favorables avérés.
Manque de données
Les espoirs pour l’avenir reposent à présent sur le développement de mini-réseaux, c’est-à-dire des installations comprenant un générateur électrique de puissance modérée (le plus souvent moins de 1 MW), et fournissant du courant à travers un réseau câblé local. Quand la source d’énergie est intermittente (solaire, éolien), on lui adosse des batteries, voir un générateur auxiliaire le plus souvent diesel. Cela facilite aussi l’équilibrage du mini-réseau, à savoir la réalisation de l’équilibre indispensable à tout moment entre la charge appelée et la charge produite.
Ainsi, en 2019, la Banque mondiale a estimé que le développement massif de projets de mini-réseaux pourrait apporter l’électricité à un demi-milliard de personnes d’ici 2030. D’autres agences de développement comme l’Agence française de développement et la Banque africaine de développement lui ont emboité le pas dans le soutien aux programmes mobilisant cette technologie.
Cette volonté est louable et doit être soutenue. Cependant, comme souvent, la réorientation des politiques menées a été décidée sans évaluation approfondie des impacts que l’on peut en attendre. Grâce à Abhijit Banerjee, Esther Duflo et Michael Kremer, récipiendaires du prix « Nobel » d’économie en 2019 pour leurs travaux sur l’évaluation des politiques de développement, la préconisation d’évaluation d’impacts préalable à la généralisation de nouvelles politiques reste admise par la plupart des chercheurs, mais n’est clairement pas toujours mise en œuvre par les décideurs opérationnels dont le discours face aux interrogations des chercheurs est de dire : nous, nous agissons, nous évaluerons après.
Pourtant, suffisamment de mini-réseaux ont déjà été installés pour que cette politique puisse être évaluée. Ce qui manque, ce sont des données évaluatives solides, répétées et pertinentes.
Luminosité nocturne
Notre proposition pour relever ce défi est simple : elle consiste à utiliser des données distantes, provenant d’images satellitaires, qui sont largement disponibles et qui ont déjà été utilisées dans d’autres domaines de la recherche en économie.Par exemple, les données de luminosité nocturne (dites NTL pour Night-time light) qui fournissent une indication pertinente de l’accès à l’énergie.
Ces données ont aussi le grand mérite d’être observables presque en temps réel, et donc de permettre de suivre l’évolution dans le temps des localités électrifiées. La précision de ces données est telle qu’on peut mesurer l’évolution de la NTL après l’arrivée de l’électricité à un niveau de granularité très fin, celui de petits villages ruraux de quelques centaines à quelques milliers d’habitants.
Considérons à titre d’exemple le village de Ziga, dans la province de Yatenga dans le nord du Burkina Faso. Ce village de quatre milliers d’habitants en 2006 a bénéficié de la construction d’un micro-réseau alimenté par une centrale de production électrique de source solaire d’une puissance maximale de 69kW. Il s’agit donc d’un projet de taille modeste, mais décisif localement.
L’installateur SINCO a publié des témoignages d’habitants de Ziga et de responsables du mini-réseau confirmant tout le bien que cette installation a apporté au village. En 2019, une enquête de terrain indépendante de l’équipe PROGREEN du Burkina Faso dans plusieurs projets dont celui de Ziga a révélé que les gains ressentis par la population ne sont pas seulement associés à l’éclairage électrique mais aussi au développement de petits usages productifs et à l’alimentation électrique de pompes à eau pour l’agriculture. Néanmoins, le prix de l’électricité reste cher, ce qui entrave son accès par les plus pauvres.
Les gains de croissance économique cités sont parfaitement corroborés par l’évolution de la NTL, qui part de pratiquement 0 en 2014-2016 puis augmente régulièrement, à la fois de manière extensive et intensive.
Les données de NTL permettent ainsi de mesurer les progrès dans l’accès à l’énergie, et les progrès économiques qui leur sont associés, pratiquement à tout moment et en tout lieu, y compris, et même surtout, dans des localités isolées.
Un taux d’échec élevé
Nous avons réalisé, dans le cadre d’un programme de recherche de la FERDI soutenu par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), une première tentative concluante de mobilisation de ces données pour étudier l’impact potentiel d’une politique d’électrification rurale par mini-réseau. Nous avons à cet effet exploité une base de données originale de la FERDI, la CoSMMA – Collaborative Smart Mapping of Mini-grid Action, qui recense de nombreuses données évaluatives sur des projets d’électrification décentralisée. Nous avons pu identifier la localisation précise de ces projets pour une cinquantaine d’entre eux, et ainsi mettre en face les données d’évolution de la NTL dans leurs localités respectives.
Malgré un nombre d’observations encore limité, elle révèle des premiers résultats prometteurs. Dans l’ensemble, la construction de mini-réseaux a un impact positif sur l’a réalisation de l’ODD n°7 ; mais une proportion élevée des projets étudiés, proche de la moitié, a échoué au regard du critère de croissance de la NTL. La politique envisagée aujourd’hui est donc tout sauf une panacée, même si les taux d’échec sont à la baisse.
Il faudra rassembler plus de données pour identifier de manière rigoureuse les causes des échecs. Quelques conclusions, en accord avec des observations de terrain factuelles, s’imposent néanmoins.
D’abord, il n’est pas toujours possible de construire pour ces projets un modèle économique viable. On ne peut pas montrer d’impact positif dans des localités caractérisées par une grande pauvreté énergétique ou fortement isolées, alors que des impacts positifs sont observés dans des situations inverses ; il faut donc concevoir des modèles intermédiaires de pré-électrification dans ces circonstances, qui sont plus souvent la norme que l’exception dans les zones rurales en Afrique.
En outre, même si le modèle économique du projet est viable, sa gouvernance est un facteur décisif de son impact. Il n’est pas possible de trouver un impact positif des projets de mini-réseaux quand les projets sont conçus et gérés sans une approche inclusive, prenant en compte toutes les parties prenantes. À l’inverse, les projets à gouvernance inclusive présentent un impact positif. Ce point de vue n’est pas toujours, loin s’en faut, partagé par les grandes agences de développement habituées, surtout dans le secteur de l’énergie, à une approche de type « top-down ».
Jean-Claude Berthelemy, Professeur émérite d’économie, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.