Le 24 juin, des dizaines de migrants sont morts en tentant de rallier Melilla. Une enquête de BBC prouve la responsabilité des gardes-frontières marocains et espagnols.
Le jeudi 10 mars au matin, des centaines de migrants subsahariens traversaient la frontière entre le Maroc et l’enclave espagnole de Melilla. Alors que les deux royaumes étaient en crise diplomatique ouverte, les violences policières avaient été mémorables. À l’époque, cela faisait plusieurs jours que l’enclave était le théâtre de violences.
Et cela allait se poursuivre : le 24 juin, toujours à Melilla, la tentative de traversée illégale de la frontière entre le Maroc et l’Espagne avait été meurtrière. Alors que 2 000 migrants tentaient de passer, environ une trentaine d’entre eux avaient été pris dans une bousculade et étaient morts — mais plusieurs autres dizaines de migrants sont restés introuvables. L’Organisation des Nations unies avait dénoncé un « usage excessif de la force » contre les migrants. L’Union africaine demandait l’ouverture d’une enquête.
Cinq mois plus tard, polices marocaine et espagnole continuent de se renvoyer la balle. Mais de nouveaux éléments pourraient bien enfin permettre de connaître les responsabilités des uns et des autres. La version espagnole de BBC indique en effet que la police espagnole « a vu et n’a pas empêché » les décès de migrants à Melilla.
Un no man’s land juridique ?
Pour rappel, des centaines de migrants avaient été pris au piège entre une barrière de plus de 7 mètres de haut et le poste des gardes-frontières marocains. Ces derniers avaient déployé des matraques et utilisé des gaz lacrymogènes.
À partir des vidéos et d’une enquête sur place, mais également de témoignages de survivants, les équipes de BBC ont reconstitué la scène. C’est avant l’arrivée à Melilla que tout se joue : des témoins affirment que, dans les camps de transit, dans la montagne marocaine, les migrants ont été attaqués par la police marocaine et ont reçu l’ordre de partir. Les autorités marocaines assure que ces migrants étaient armés « de bâtons, de pierres et d’objets tranchants ».
Après avoir escaladé la grille, qui s’est effondrée, les migrants ont assuré avoir été, en plein no man’s land, encerclé par la police marocaine.« Ils ont commencé à lancer des pierres et tirer des balles en caoutchouc. Beaucoup de nos amis sont tombés. S’ils vous attrapent, ils vous frappent à la tête, partout », assure un témoin.
Un autre résume la situation et l’attitude des gardes-frontières, qui a traité les migrants « comme des animaux » : « Nous devions entrer (en Espagne), mais ils ne voulaient pas que nous le fassions : ils voulaient que nous mourions », explique-t-il. Des centaines de blessés graves ont été laissés au sol du côté marocain de la clôture, sans avoir accès à des soins médicaux.
Les Espagnols démentent leur implication
L’enquête devrait donc logiquement condamner l’attitude des forces marocaines. Mais les forces espagnoles sont-elles, elles, exemptes de tout reproche ? Interrogé par le parlement espagnol, le ministre espagnol de l’Intérieur, Fernando Grande-Marlaska, avait fustigé le Maroc : « Les événements se sont produits sur le territoire national d’un pays souverain et ne se sont produits que de manière très tangentielle en Espagne », avait-il affirmé.
Problème : le no man’s land serait en réalité contrôlé par l’Espagne. Or, dans ce no man’s land, de nombreux cadavres jonchaient le sol le 24 juin dernier. L’enquête demande pourquoi l’Espagne n’a pas daigné ouvrir la grille contre laquelle des migrants ont été bloqués et écrasés. Un responsable estime que les gardes-frontières ont eu peur pour leur vie et indique que les décès ont eu lieu dans le no man’s land.
Ce que conteste le député espagnol Jon Iñárritu, qui affirme que la plupart des migrants tués l’ont été du côté espagnol. L’élu s’est basé sur des documents cadastraux. Reste que, pour les migrants qui ont réussi à atteindre l’Espagne, ils ont été renvoyés du côté marocain. Un « retour forcé » qui serait illégal.
En attendant la publication d’une enquête officielle, une autre question demeure : les responsables de ces événements tragiques seront-ils jugés ? Et, si oui, par qui ?