La junte au pouvoir au Mali, qui a déjà obtenu la fin de l’opération française Barkhane, veut désormais le départ de la Minusma, mission de l’ONU dans le pays. L’avis du chercheur Boubacar Haidara.
Le 29 juin, le Conseil de sécurité de l’ONU a décidé de renouveler pour une année supplémentaire le mandat de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma).
Créée en avril 2013, cette mission, forte de 13 000 soldats, avait pour objectifs, entre autres, de faciliter l’application de l’accord de paix issu du processus d’Alger, signé entre l’État malien et les groupes représentant la rébellion touareg déclenchée l’année précédente, de renforcer l’autorité de l’État dans le centre du Mali et de protéger les civils. Neuf ans plus tard, il n’est pas certain que ces objectifs aient été atteints.
La Minusma dans le viseur d’un mouvement malien pro-junte et pro-Russie
Le mouvement panafricaniste et pro-russe « Yèrèwolo, debout sur les remparts » est conscient de ces faiblesses et pourrait être sur le point de faire regretter sa décision au Conseil de sécurité.
Moins d’un mois après le renouvellement du mandat, le 20 juillet 2022, son « sulfureux » porte-parole Adama Ben Diarra – qui est par ailleurs membre du Conseil national de transition, l’organe législatif de la transition malienne – s’était déplacé en personne au quartier général de la Minusma afin de remettre à ses responsables une lettre leur demandant de quitter le Mali avant le 22 septembre, date commémorative de l’Indépendance du Mali.
Le 5 août 2022, le mouvement a tenu un meeting à Bamako pour réitérer sur ses revendications.
Ces développements n’auraient pas eu une grande importance, ni retenu notre attention, si le mouvement Yèrèwolo (qu’on pourrait traduire du Bambara par « dignes fils ») ne nous apparaissait pas comme ayant été le fer de lance de la dénonciation de la présence militaire française au Mali.
Cette dynamique a donné lieu à ce que beaucoup ont appelé un « sentiment anti-français » qui s’est étendu à d’autres pays de la région ouest-africaine et qui s’est soldé par la fin prématurée de l’opération Barkhane (commencée en 2014, comprenant 5 100 soldats) et la task force Takuba au Mali (commencée en 2020, comprenant 900 soldats). En conséquence, les relations franco-maliennes s’en sont trouvées très fortement détériorées.
D’où la question suivante : face à l’opposition populaire, et aux contraintes qui lui sont imposées par le gouvernement malien, était-il raisonnable de renouveler le mandat de la Minusma ? Ou bien la mission de maintien de la paix des Nations unies est-elle sur le point d’être la proie de Yèrèwolo, comme l’ont été les opérations militaires françaises ?
L’influence de Moscou au Mali
Il est important de rappeler que Yèrèwolo a été formé en 2019 dans le but explicite de pousser la France hors du Mali et de laisser la place à la Russie. Depuis le sommet Russie-Afrique qui s’est tenu en octobre 2019 à Sotchi, il aurait reçu des fonds pour soutenir la propagande russe dans le pays.
Il a notamment cherché à le faire en organisant régulièrement des manifestations anti-françaises (et pro-russes). Dès janvier 2019, Diarra a remis à l’ambassade de Russie au Mali une pétition qui aurait recueilli 9 millions de signatures, réclamant l’intensification de la coopération militaire entre son pays et la Russie. Lors des manifestations qu’il organisait, il a également vendu à son public l’idée très séduisante que les Russes étaient les seuls à pouvoir mettre fin à la guerre au Mali en six mois.
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À l’époque, les revendications de Yèrèwolo – qui relevaient quelque peu de l’utopie – n’étaient pas assez prises au sérieux. Il reste à savoir si le rapprochement actuel avec la Russie résulte réellement d’une volonté stratégique de réorientation du partenariat dans le domaine de la sécurité et la défense ; ou s’il est le résultat de la pression populaire, à un moment où le soutien de la population apparaissait comme la seule ressource politique dont dispose la junte malienne face à une classe politique nationale, et à une Cédéao (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest) hostiles au maintien au pouvoir des militaires.
Le gouvernement pousse-t-il les partenaires occidentaux hors du Mali ?
Suite au « coup d’État dans le coup d’État » du 24 mai 2021, et après que la décision de concrétiser le partenariat militaire avec la Russie a été actée par la junte, il semble que cela ne pouvait s’appliquer qu’en poussant définitivement la France – devenue dès lors encombrante – hors du Mali.
Le gouvernement de transition a cherché à atteindre cet objectif par une série d’actes inamicaux à l’égard de la France, parmi lesquels : l’expulsion de l’ambassadeur français, l’expulsion de journalistes français, l’interdiction pour un avion-cargo allemand transportant des soldats de Takuba de survoler le territoire malien, l’expulsion du contingent danois venu également dans le cadre de Takuba et l’interdiction des chaînes de radio (RFI) et de télévision (France 24) françaises accusées d’être des instruments de propagande contre la junte.
Nous voyons très bien que les conditions du maintien de Barkhane et Takuba n’étaient plus réunies, d’où la décision contrainte de la France et ses partenaires européens de déclarer leur fin.
La question des droits de l’homme
L’indésirabilité’ de la Minusma serait en partie due à la différence profonde de lecture entre celle-ci et le gouvernement malien sur la question cruciale des droits de l’Homme, et du droit international humanitaire, à un moment où la stratégie militaire malienne sur le terrain a changé en devenant beaucoup plus offensive. Il s’agit là d’une importante remarque que l’on a pu faire à partir de la fin 2021, depuis l’arrivée des soldats russes au Mali (sans égard au fait qu’ils soient mercenaires ou instructeurs de l’armée régulière).
Des rapports de témoins ont par ailleurs confirmé que les deux partenaires opèrent ensemble sur le terrain, et cela a visiblement conduit à un changement de doctrine, sans que l’on sache toutefois clairement comment il se traduit en des résultats concrets.
Par exemple, nous savons que les soldats maliens n’attendent plus passivement dans leurs camps, en position défensive, que les djihadistes viennent les attaquer.
Dans plusieurs cas, ils sont à l’origine d’opérations visant à débusquer les djihadistes, comme celles de Maliko, Kèlètigui, et Farabougou Kalafia. Les autorités militaires ont qualifié ces opérations de « montée en puissance » des Forces Armées Maliennes (FAMA). Elle se traduit par des opérations souvent très meurtrières contre des personnes présentées comme djihadistes par les FAMA, mais que la Minusma et les organisations de défense des droits de l’homme qualifient souvent de civils.
Dans de telles situations, il incombe à la Minusma d’entreprendre des enquêtes sur d’éventuelles violations des droits de l’homme et du droit international humanitaire, ce à quoi la junte s’oppose systématiquement lorsque les accusations portent sur l’armée.
En outre, le gouvernement a refusé à la Minusma l’autorisation de patrouiller dans certaines localités et, depuis l’arrivée des Russes, lui a imposé une vaste zone d’exclusion aérienne. Cela fait que la force onusienne ne peut faire voler ses avions sans demander l’autorisation et sans préavis, ce qui complique ses opérations.
Le 20 juillet 2022, le gouvernement de transition est allé jusqu’à expulser le porte-parole de la Minusma pour des commentaires qu’il avait faits sur le réseau social Twitter au sujet de l’arrestation par le Mali de 49 soldats ivoiriens le 10 juillet. Cette décision a été immédiatement suivie de la suspension immédiate de « toutes les rotations des contingents militaires et policiers de la Minusma, y compris celles déjà programmées ou annoncées ».
Plus récemment, en août 2022, malgré « d’intenses négociations entre les ministres de la Défense allemand et malien », le gouvernement malien a de nouveau refusé d’autoriser la Bundeswehr à effectuer un vol devant acheminer dans le nord du Mali « une solide unité d’infanterie de montagne » pour protéger l’aéroport de Gao, dont la sécurisation incombait auparavant à Barkhane. Cette énième manifestation d’hostilité poussa le gouvernement allemand à suspendre la mission de la Bundeswehr au Mali le 13 août 2022.
Selon le journaliste français Wassim Nasr, le gouvernement malien est allé jusqu’à demander à la Minusma de ne pas communiquer publiquement sur l’aide qu’elle apporte aux FAMA, notamment en matière d’évacuation des blessés de guerre. Une manière de ne pas afficher l’utilité de la mission onusiennne auprès du public malien.
Une telle hostilité envers la Minusma n’est guère surprenante. Lors des discussions du Conseil de sécurité de l’ONU sur le renouvellement du mandat, l’ambassadeur du Mali auprès de l’ONU, Issa Konfourou, a été très clair, expliquant que son « gouvernement ne pouvait pas garantir la liberté de mouvement des Casques bleus qui se déplacent dans le pays pour enquêter sur les violations des droits de l’homme… Le Mali ne permettrait pas à la mission renouvelée de remplir son mandat ».
Le Mali pourrait-il (immédiatement) se passer de la Minusma ?
En tout état de cause, un retrait prématuré et désordonné de la Minusma aurait un impact négatif sur la vie de nombreux Maliens vivant dans les zones où elle est déployée. En effet, les recherches que nous avons menées montrent que si la majorité des habitants estiment que la force de maintien de la paix est inefficace dans la protection des civils, ils la trouvent utile dans son implication dans des projets socio-économiques et de développement.
Par exemple, les projets à impact rapide destinés aux groupes vulnérables, mais surtout les programmes d’insertion professionnelle pour les jeunes, permettent d’éviter que ces derniers ne soient tentés de rejoindre les groupes armés moyennant rétribution. À travers ces actions, la Minusma remplit des fonctions que l’État malien seul ne semble pas pouvoir assurer à court terme.
En conclusion, il apparaît insensé d’avoir renouvelé la mission sans obtenir au préalable la garantie du gouvernement malien qu’il travaillerait en étroite collaboration avec la Minusma. Maintenant que le Conseil de sécurité de l’ONU n’a pas réussi à le faire, l’avenir de la mission semble très précaire.
Deux hypothèses principales émergent : soit le gouvernement de transition malien souhaite mettre fin à la Minusma, soit sa stratégie consiste à transformer la Minusma en quelque chose de plus sobre, moins pointilleux sur les questions de droits de l’homme et de droit international. Idéalement, une mission qui serait vidée des partenaires occidentaux plus regardants sur ces questions.
Au-delà de l’influence de Yèrèwolo, il convient de chercher à savoir qui cherche en définitive à affaiblir ou à évincer la Minusma. Ces décisions du gouvernement de transition sont-elles souveraines ou dictées de l’extérieur, notamment par le nouveau partenaire russe ? Si l’on considère la façon dont les relations avec les partenaires occidentaux se sont détériorées avec l’arrivée d’individus russes qui ont été présentés par le gouvernement de la junte comme des instructeurs militaires et par la communauté internationale comme des mercenaires de Wagner, la deuxième option ne semble être qu’une possibilité trop réelle.
Boubacar Haidara, Chercheur sénior au Bonn International centre for conflict studies (BICC) ; Chercheur associé au laboratoire Les Afriques dans le Monde (LAM), Sciences-Po Bordeaux., Université Bordeaux Montaigne
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.