L’Afrique est le continent le plus jeune du monde, avec plus des deux-tiers de sa population ayant en-dessous de 30 ans. La classe dirigeante africaine, elle, culmine à 63 ans d’âge moyen. Un véritable paradoxe.
Paul Biya, 89 ans. Yoweri Museveni, 77 ans. Ou encore Alassane Ouattara, 80 ans. La moyenne des âges des présidents africains dépasse largement les 60 ans. Une statistique qui explique, sans doute, le désintérêt de la jeunesse africaine pour la politique ?
En tout cas, pour le blogueur et activiste sud-africain William Shoki, en Afrique, l’implication de la jeunesse en politique ne cesse de régresser malgré quelques signes encourageants. Il estime que le statut des jeunes dans la chose publique ne dépasse pas celui d’un « fétiche » électoral. « Faire de la jeunesse un sujet politique, plutôt qu’un groupe démographique, est une mauvaise façon de faire de la politique », constate Shoki.
Et, en effet, les jeunes sont sous-représentés dans les hautes sphères des Etats africains. Ils ont pourtant été à l’origine des plus grands bouleversements politiques, voire géopolitiques. Entre 1965 et 1971, les mouvements estudiantins au Maroc, au Mali, au Sénégal, en Algérie, au Ghana, à Madagascar et au Togo ont provoqué des changements profonds dans l’establishment politique africain.
C’est d’ailleurs, lors de cette période, que les dirigeants africains des Indépendances, même les plus populaires, ont été contraints d’inclure des ministres plus jeunes dans leurs gouvernements. Ce mouvement estudiantin militant avait, certes, des origines européennes – France, Autriche, Royaume-Uni –, mais cela souligne surtout la vision très différente des jeunes vis-à-vis de la géopolitique.
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La manne pétrolière et minière africaine dans les années 1980 et 1990 a réduit le rôle des jeunes en Afrique. Les mouvements de jeunes, qui étaient majoritairement socialistes ou communistes, ont aussi subi la défaite du bloc de l’Est et la fin de la guerre froide comme des déroutes idéologiques.
C’est dans la même période que s’est installée la classe dirigeante africaine actuelle. Depuis, si des Etats africains ont été dirigés par certains des responsables les plus jeunes du monde, d’autres ont également les plus âgés à leur tête.
Pourquoi l’Afrique, où près de 60% de la population est âgée de moins de 25 ans, est-elle majoritairement dirigée par de “vieux présidents” ? pic.twitter.com/YTEZFTIigk
— AJ+ français (@ajplusfrancais) January 17, 2020
La jeunesse en Afrique est-elle mal représentée en politique ?
Les Nations unies se félicitent régulièrement du « vent nouveau qui souffle sur l’Afrique ». « De plus en plus de jeunes remportent les élections. Présidents, ministres ou gouverneurs, sénateurs ou députés, ils souhaitent être représentés à la table politique », lit-on dans un rapport du Centre d’informations des Nations unies (UNIC).
L’écart entre la moyenne d’âge continentale (19 ans) et celle des dirigeants africains (63 ans) est énorme. De surcroît, en 2022, il suffit de constater le traitement réservé aux dirigeants les plus jeunes sur la scène internationale. Le plus jeune d’entre eux est le président malien Assimi Goïta (39 ans). Mais ses relations sont houleuses avec les institutions régionales.
Autre jeune au pouvoir : le Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed (45 ans). Depuis le début de la guerre du Tigré fin 2020, entre 300 000 et 500 000 civils sont morts. Lorsqu’on évoque la gouvernance d’Ahmed, on ne parle plus désormais de son prix Nobel, ou du « miracle économique éthiopien », mais de la crise humanitaire, la famine et les crimes de guerre que connait encore le pays.
Derrière Abiy Ahmed, on trouve le président malgache Andry Rajoelina (48 ans). Après un mandat relativement tranquille entre 2009 et 2014, son second mandat, depuis 2019, est marqué par un boycott international d’envergure. Rien d’institutionnel, mais dans les faits, les idéaux souverainistes de Rajoelina sont mal perçus par l’Occident et, sans grande surprise, par l’Union africaine (UA).
Dirigeants militaires, jeunes et réformateurs, mais…
Ce n’est guère mieux pour le trio militaire d’Afrique de l’Ouest. Assimi Goïta du Mali (39 ans), Mamadi Doumbouya de Guinée (42 ans) et Paul-Henri Damiba (41 ans) sont sous les feux des projecteurs depuis leurs coups d’Etat dans leurs pays respectifs.
Les trois présidents de transition ont lancé de nombreuses réformes dans leurs pays. Projets de Constitution, initiatives environnementales, nouveaux accords militaires ou encore refonte du cursus d’éducation… Certainement plus à l’écoute de leurs populations.
Et pourtant, on n’en entend pas parler. Les trois pays subissent une si grande pression économique et financière que tout le reste passe en arrière-plan. Mais, justement, les transitions malienne, guinéenne et burkinabé ne font pas la une des médias internationaux, en tout cas pas pour les bonnes raisons. Et n’attirent donc pas les investissements étrangers, alors que les autres leaders, africains comme étrangers, ne cachent pas leur souhait de bouter les trois militaires hors du pouvoir.
Dans le cas du Mali, c’est le troisième pays africain depuis les Indépendances à subir un embargo de l’UA – après l’Afrique du Sud dans les années 1980 et le Libéria en 2005.
Mais c’est également en raison d’une démission politique généralisée que la jeunesse africaine ne voit plus la politique comme un vecteur crédible de prise de pouvoir.
Quelles attentes de la jeunesse ?
En effet, selon l’African Youth Survey 2022, paru le 13 juin, l’optimisme de la jeunesse sondée de 15 pays africains a décliné de 11 %. Certes, ce sondage annuel de la Fondation Ichikowitz Family est, comme il est souvent le cas, soigneusement subjectif. Mais avec 5 507 jeunes sondés, avec des questions plutôt efficaces, il n’existe pas d’autres références crédibles.
Ce qui saute aux yeux, c’est que ces milliers de jeunes semblent plus clairvoyants que leurs dirigeants. « L’appétit pour la démocratie à l’africaine, plutôt qu’en imitant les systèmes occidentaux, est fort. Par-dessus tout, la jeunesse africaine voit l’égalité de tous les citoyens devant la loi, la liberté d’expression et des élections libres et équitables en tant que piliers les plus importants de la démocratie ». Là est l’un des quatre points qui dominent les opinions exprimées par la jeunesse africaine.
Mais au-delà de ça, ces jeunes Africains, dont l’âge varie de 18 à 24 ans, dont 40 % sont des étudiants universitaires et dont la moitié est composée de femmes, se mettent d’accord quant à l’importance de l’entrepreneuriat. On est loin, donc, de la confiance absolue dans l’économie sociale, ou dans le rôle de l’Etat dans le développement économique.
Autres points de convergence : l’importance de la sécurité, la protection de l’environnement et l’implication des jeunes dans la diplomatie de leurs pays. Une grande partie des interrogés estime que les relations avec les anciennes puissances coloniales sont basées sur des rapports néocoloniaux. Ils disent d’ailleurs avoir plus confiance dans leurs présidents que dans les chefs d’Etat étrangers. Quant à la sécurité et l’écologie, ainsi que la transformation numérique, ces trois secteurs représentent des solutions pour la modernisation de l’économie africaine sur le long terme selon eux.
Des sujets peu abordés par les présidents les plus âgés
Cependant, il existe des indicateurs qui divisent plus. Par exemple, la confiance octroyée envers la politique de l’Etat et des instances continentales. Les jeunes Ghanéens, Mozambicains, Rwandais et Ougandais sont parmi les plus optimistes. Tandis qu’au Nigéria, en Zambie, au Malawi et au Soudan, les jeunes interrogés sont plutôt neutres ou pessimistes.
L’African Youth Survey 2022 met aussi en relief les domaines de développement immédiatement prioritaires pour les jeunes. La création d’emploi, la réduction de corruption au sein du gouvernement et la modernisation de l’éducation cumulent à 67 % des votes des interrogés. Le plus étonnant, c’est qu’en bas de la liste, on retrouve l’accès universel à internet et l’augmentation des aides étrangères et internationales !
72 % des jeunes africains seraient aussi préoccupés par le changement climatique. Un indicateur particulièrement inspirant, alors que la plupart des médias occidentaux affirment que la « génération Z et les millennials » se montrent « particulièrement nihilistes quant au changement climatique ».
En ce qui concerne le quotidien des jeunes Africains, plusieurs se plaignent surtout de la chute du pouvoir d’achat. Aussi, 35 % affirment dépenser plus du quart de leur argent… dans l’eau potable.