Energies propres, secteur pharmaceutique, commerce, fintech… La coopération entre l’Egypte et l’Arabie saoudite dépassera les 30 milliards de dollars cette année. Le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane est bien décidé à investir massivement dans les pays nord-africains.
Le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane — alias « MBS » — a commencé sa tournée diplomatique par l’Egypte. Le dirigeant arabe a signé quatorze accords de coopération avec le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi, le tout pour une valeur de 7,7 milliards de dollars.
Un montant qui s’additionne au dépôt, en mars dernier, de 5 milliards de dollars à la Banque centrale égyptienne au titre d’« aides au développement ». Et en main, 3 milliards de dollars avaient été avancés au Caire pour soutenir l’économie égyptienne contre le choc provoqué par la crise alimentaire.
L’Egypte, hautement dépendante des importations, est le pays africain qui a le plus souffert des pénuries de céréales à la suite du conflit russo-ukrainien.
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Dans une déclaration conjointe, MBS et al-Sissi ont annoncé que « l’Arabie saoudite est résolue à injecter des investissements en Egypte d’une valeur de 30 milliards de dollars ». Pour le moment, la première tranche de ce montant concerne l’investissement dans une nouvelle centrale éolienne, un nouveau terminal dans le port de Damiette, dans le nord égyptien, mais ce n’est pas tout : l’Egypte et l’Arabie saoudite lanceront également une « ville pharmaceutique », ainsi qu’un fond de soutien pour les fintechs égyptiennes.
Une immense bouée de sauvetage lancée par le prince saoudien en direction de l’Egypte, dont les problèmes économiques ne datent en réalité pas du conflit en Ukraine. Après son passage au Caire, le prince saoudien est parti en direction de la Jordanie et de la Turquie.
Quelle contrepartie pour Le Caire ?
Malgré les relations privilégiées entre l’Egypte d’al-Sissi et l’Arabie saoudite, le décaissement de MBS est pour le moins une surprise. Le dirigeant saoudien a mis l’accent sur « le rôle primordial de l’Egypte dans la sécurité et la stabilité de la région ». Un investissement qui précède le prochain Sommet arabo-américain, qui se tiendra à Riyad en novembre.
Selon MBS, sa visite en Egypte visait également à « coordonner les positions » des uns et des autres avant le fameux sommet. La réunion, où sera présent le président américain Joe Biden, devrait aborder les relations arabo-iraniennes, la colonisation israélienne de la Palestine, la Libye et les énergies fossiles, entre autres.
Les milliards saoudiens pour l’Egypte ne sont cependant pas gratuits. Il y a lieu de supposer que Riyad attend, contre son aide substantielle, un soutien égyptien sur un ou plusieurs dossiers à l’ordre du jour du Sommet arabo-américain. On le sait, MBS cherche également à pousser certains pays africains arabo-musulmans à intégrer l’axe diplomatique émirato-saoudien depuis des années déjà.
L’Afrique du Nord en ligne de mire
Certains pays nord-africains y sont d’ailleurs enclins. Lors de la 13e session de la Commission mixte maroco-saoudienne, la semaine dernière, le ministre marocain des Affaires étrangères Nasser Bourita a explicitement demandé aux « agences saoudiennes compétentes de soutenir les réformes au Maroc ».
Plus précisément, le chef de la diplomatie du Maroc a demandé une contribution de l’Arabie saoudite en direction du Fonds d’investissement Mohammed VI.
L’Algérie, elle, attend une visite de MBS « vers la fin du mois de juillet ». La première depuis 2018. Les autorités algériennes étaient hésitantes à recevoir le prince héritier, depuis l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi en Turquie. D’autant que la société civile algérienne est en majorité opposée à MBS en raison de la guerre au Yemen.
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Ce sont ces raisons, entre autres, qui ont provoqué la crise diplomatique arabe et l’isolement du Qatar, qui entretient de bonnes relations avec les pays maghrébins. Seulement voilà, depuis quelques mois, la Turquie, l’Arabie saoudite, le Qatar et les Emirats arabes unis (EAU) ne cessent de se rapprocher.
Avec la crise économique qui a mis à genoux les économies nord-africaines, les aides saoudiennes restent une solution comme une autre.
Les étoiles sont alignées pour MBS, mais…
Autre facteur qui encourage une éventuelle poussée saoudienne en Afrique du Nord : les défaites du mouvement des Frères musulmans dans tous les pays nord-africains. En Egypte, puis en Libye, ensuite en Tunisie, au Maroc et enfin en Algérie, le mouvement islamiste et ses réseaux affiliés ont été, pour la plupart, boutés hors des gouvernements et des parlements, voire du jeu politique.
Et il semblerait que, pour cette raison, le Qatar et la Turquie se soient résignés à faire la paix avec les EAU et l’Arabie saoudite. Afin de rétablir ensuite leur influence en Afrique du Nord. En jeu : ne pas gâcher les investissements du Qatar et de la Turquie en Afrique du Nord entre 2011 et 2018.
Avec les Frères musulmans défaits, et Khalifa ben Zayed Al Nahyane mort, un accord possible avec l’Iran et un cessez-le-feu en cours au Yemen, les intérêts de tous les Arabes qui s’alignent au Tchad, dans la Corne de l’Afrique et en Libye… MBS semble pressé de saisir sa chance afin d’intégrer l’axe diplomatique turco-arabo-africain.
Deux électrons libres, l’Algérie et la Tunisie, ont cependant encore des positions difficiles à définir. Si les deux pays maghrébins améliorent leurs relations avec l’Arabie saoudite, rien ne garantit leur alignement avec MBS sur certains dossiers. En l’occurrence : le soutien de Benghazi en Libye, ou encore la normalisation avec Israël, plus qu’hypothétique.
De plus, Alger est plutôt intransigeant sur le Sahara occidental et sur son leadership africain. La Tunisie, elle, malgré la crise économique et la fragilisation de son alignement sur l’Algérie, est plutôt imprévisible sur le plan diplomatique. Si le président Kaïs Saïed peut risquer de fragiliser ses rapports avec l’Europe et l’Algérie, rien ne garantit qu’il rentrera dans le rang, contre des pétrodollars saoudiens.