Alors que la devise du Nigéria, le Naira, ne cesse de dégringoler, sa cryptomonnaie nationale, lancée en octobre dernier, l’eNaira, est également en chute libre.
C’est une mauvaise nouvelle pour la Banque centrale du Nigéria (CBN), le président Muhammadu Buhari, et l’Etat nigérian. La cryptomonnaie nationale — la sixième dans le monde à être adoptée par un Etat — continue à faire fuir les utilisateurs. Plusieurs facteurs expliquent la chute rapide de l’eNaira, et celle-ci ne doit rien au hasard.
Tout a commencé par la suppression de l’application eNaira Speed Wallet, le portefeuille électronique de la cryptomonnaie, de google Play Store deux jours seulement après le lancement de l’eNaira. Un quiproquo dû aux avis négatifs des utilisateurs, loin d’être anecdotique. Car le bad-buzz initié par les internautes pour dénoncer la monnaie a été délibéré. Il s’agissait, pour les Nigérians, de signaler que l’eNaira « représente le gouvernement ».
Un malentendu qui a été réglé par Google 24 heures plus tard. Trop tard, probablement, car la CBN prévoyait la souscription de plus d’un million de personnes à l’eNaira dès son lancement. Or, on dénombrait à peine 448 000 acheteurs à ce moment-là. Depuis, la cryptomonnaie a cependant réussi à séduire les Nigérians, qui sont aujourd’hui 738 000 à détenir de l’eNaira, pour une valeur totale atteignant 300 millions de dollars.
Autre problème : l’eNaira n’est accessible qu’au Nigéria ou via les banques nigérianes. Or, cela défie l’essence même d’une cryptomonnaie. D’autant que la création de l’eNaira par la CBN avait pour but de proposer une alternative aux autres cryptomonnaies, interdites au Nigéria. Malgré cela, plus de 34 millions de Nigérians utilisent toujours le Bitcoin ou l’Ethereum. Et le gouvernement ne dispose pas des compétences, ni des moyens, pour les en empêcher.
Les nombreuses limites de l’eNaira
Le pays de plus de 200 millions d’habitants est extrêmement connecté, et composé d’une population jeune. Et justement, la jeunesse est intrinsèquement en désaccord avec l’Etat fédéral sur toutes les questions relatives au digital. Si les avis étaient plutôt mitigés lors de la passe d’armes entre le président Muhammadu Buhari et le patron du réseau social Twitter l’année dernière, l’interdiction des cryptomonnaies, elle, semble faire l’unanimité contre elle.
Pour la CBN, la restriction des transactions en cryptomonnaie relevait de la lutte contre « plusieurs activités criminelles, incluant le financement du terrorisme et l’évasion fiscale ». Insuffisant, semble-t-il, pour convaincre les populations jeunes et les entrepreneurs d’abandonner leurs portefeuilles en Bitcoin — quand bien même illégaux — pour une cryptomonnaie limitée à l’utilisation nationale. Car pour les échanges de devises, les utilisateurs d’eNaira doivent soumettre des demandes à leurs banques respectives, même pour la réception de fonds.
Selon la directrice du bureau nigérian de Web3 technologies, Jennifer Echenim, « l’adoption de l’eNaira ressemble à un échec avant qu’elle n’ait commencé ». L’ingénieure explique cela, surtout, par la dévaluation du Naira. La monnaie nationale valait 1 dollar pour 360 nairas en 2020. Depuis vendredi dernier, le taux de change se situe à 600 nairas pour 1 dollar.
« Aucune recherche appropriée n’a été conduite avant le lancement de l’eNaira », déplore Echenim. « Pour qu’une monnaie soit valorisée, il faut qu’il y ait de la demande. C’est essentiellement ce qui motive les cryptomonnaies aujourd’hui. Or, personne ne cherche à acquérir l’eNaira. Ce n’est même pas acceptable ou utilisable en-dehors du Nigeria. Construire une monnaie numérique là-dessus est définitivement un échec », analyse Jennifer Echenim, qui estime que ce qui se passe avec l’eNaira n’est que « le résultat des restrictions imposées aux autres cryptomonnaies ».