Dans le cas de conflits armés ou diplomatiques, la médiation a une importance vitale, comme le conflit russo-ukrainien en témoigne. Mais en quoi consiste-t-elle exactement et comment peut-elle aider ?
En deux mois et demi de guerre, on dénombre déjà plusieurs tentatives de médiation dans le conflit russo-ukrainien : la Turquie, Israël, ainsi que plusieurs États arabes et européens, sans oublier l’UE en tant que telle ou encore l’ONU ont envoyé des représentants à Moscou, à Kiev, ou dans les deux capitales ; récemment, le pape a également fait offre de médiation.
La médiation est au cœur de l’action diplomatique. Mais de quoi s’agit-il exactement ?
La médiation est l’intervention d’un tiers dans la recherche du règlement d’un différend. Elle ne se contente pas, en général, d’amorcer un dialogue entre les États (ou entre un État et un mouvement d’opposition armé) : elle propose aussi des solutions. Toute médiation suppose que les parties concernées s’accordent sur le choix du médiateur et s’en remettent pour tenir ce rôle à une tierce partie.
Il convient de bien choisir le moment de la médiation : si elle survient trop tôt, elle sera considérée comme une forme d’ingérence ; si elle intervient trop tard, elle sera de peu de secours.
La médiation expose le médiateur. Mais qui est-il ? Il peut être le représentant d’une puissance qui est étrangère aux enjeux en présence ; il peut émaner d’une puissance impériale qui veut imposer une forme de pression morale pour qu’une solution émerge ; ou encore, il peut être une autorité morale ou scientifique (le Saint-Siège, une académie…).
On peut classer les médiateurs en deux groupes. Le premier groupe est constitué des États, qu’ils agissent seuls ou collectivement, notamment via les organisations internationales qui en sont largement l’émanation. Le second est composé des acteurs privés et des ONG.
Pourquoi un État fait-il de la médiation ?
La médiation des États peut s’expliquer par trois raisons, qui ne sont pas mutuellement exclusives :
- La volonté de régler les crises qui menacent la stabilité mondiale. C’est en particulier le cas des nombreuses médiations tentées depuis des décennies dans les conflits du Moyen-Orient.
- Le prestige lié à la médiation. Un chef d’État peut retirer une grande satisfaction personnelle à offrir une médiation. Souvenons-nous du prestige que retira l’ancien président Clinton de sa médiation en Irlande du Nord.
- Le souci de régler les différends « entre soi » : les puissances médiatrices veulent en quelque sorte écarter toute offre de médiation externe ; c’est ce qui explique que les trois médiateurs dans le différend sur la Transnistrie (république autoproclamée située dans l’est de la Moldavie) étaient la Russie, l’Ukraine et l’OSCE, les États-Unis et l’UE n’étant qu’observateurs. Mais oserait-on encore parler de médiation pour ce territoire voisin de l’Ukraine alors que la sécurité de la Moldavie est devenue très fragile ?
Les États médiateurs
Certains États se sont spécialisés dans la médiation. C’est le cas, notamment, de l’Autriche et de la Suisse. Sans doute est-ce dû à leur statut de neutralité, même si l’Autriche est membre de l’UE et est donc liée par la clause de solidarité du Traité de l’Union. La Suisse a accompagné, ces dernières décennies, plus de trente processus de paix dans plus de vingt États. Elle a notamment accueilli des médiations entre l’Arménie et la Turquie et entre la Géorgie et la Russie.
D’autres États ont également fait œuvre de médiation. C’est le cas, par exemple, de l’Algérie lors de la crise des otages de l’ambassade des États-Unis à Téhéran ou encore de la Norvège dans le conflit israélo-palestinien, qui aboutit à la reconnaissance mutuelle d’Israël et de l’OLP ainsi qu’à la signature des accords d’Oslo en 1993. La Norvège en a retiré une expérience précieuse, qu’elle mit à profit, par exemple, dans ses offre de médiation pour régler les troubles internes au Guatemala (accords en 1995), ou encore pour mettre fin à la guerre civile au Sri Lanka (2000).
Le rôle du secrétaire général de l’ONU
Le secrétaire général de l’ONU joue un rôle croissant en matière de médiation. Cela fut le cas au sujet du Timor oriental (différend entre l’Indonésie et le Portugal) ou encore au sujet de Chypre.
Un exemple qu’il est intéressant de mentionner est celui de l’intervention du secrétaire général Perez de Cuellar dans l’affaire du Rainbow Warrior (1985). On se souvient que ce bateau de l’organisation écologique Greenpeace, qui s’apprêtait à mener une action dirigée contre les essais nucléaires français dans le Pacifique, avait été coulé par des agents des services secrets français dans le port d’Auckland, en Nouvelle-Zélande. Le différend entre la France et la Nouvelle-Zélande fut réglé grâce à la médiation du secrétaire général de l’ONU qui élabora une solution prévoyant le transfert et la détention des deux agents secrets sur une base militaire française du Pacifique.
La diplomatie parallèle
Le second groupe de médiateurs est celui constitué par des individus privés ou des ONG, dans le cadre de ce que l’on appelle en anglais la « Track II diplomacy ». On y trouve un ensemble hétéroclite d’individus motivés par des intérêts politiques, le prestige ou encore une certaine forme d’altruisme.
On peut citer tout aussi bien le richissime homme d’affaires Armand Hammer que la communauté de Sant’Egidio joliment qualifiée par Dominique de Villepin de « véritable ONU du Trastevere », qui œuvra pour la paix tant au Mozambique qu’au Niger et en Guinée-Conakry. On pourrait encore citer l’ancien président Jimmy Carter, qui s’est beaucoup dépensé pour offrir sa médiation dans des conflits en Afrique.
Si la médiation a été longtemps l’œuvre d’un seul État, elle est aujourd’hui souvent menée par un groupe d’États, que ce soit le Quartet (UE, É.-U., Russie, ONU) pour le Moyen-Orient ou par un groupe d’organisations internationales comme le Groupe de contact international sur la Libye qui regroupe l’ONU et l’Union africaine.
La médiation idéale dépend des conflits
Quelles sont les qualités du médiateur idéal ? Plusieurs cas de figure doivent être distingués :
- La médiation du Saint-Siège, bien adaptée aux différends opposant deux États traditionnellement chrétiens (par exemple en 1984 entre l’Argentine et le Chili au sujet du canal de Beagle ou entre Cuba et les États-Unis).
- La médiation offerte par des petits États, parce que ces derniers ne concurrencent évidemment pas les grandes puissances et que suivre une proposition de médiation émanant d’un petit pays peut être vu comme une manière de rehausser le prestige de la grande puissance. Pensons, par exemple, à la médiation, déjà évoquée, de l’Algérie dans la crise des otages de l’ambassade des États-Unis à Téhéran.
- Une forme réussie de médiation est celle de l’ONU dans des cas de différends complexes mais qui ne sont pas des enjeux pour les grandes puissances (par exemple, au Timor oriental).
- Enfin, les médiations menées par des individus ou organisations privées sont particulièrement adaptées aux situations où une des parties en conflit craint qu’une médiation par un État tiers donne trop d’influence à son rival. Aussi Jimmy Carter put intervenir avec succès dans le conflit opposant l’Éthiopie à l’Érythrée à la fin des années 1980. Même si les pourparlers n’aboutirent pas immédiatement à la paix, il y eut un cessez-le-feu de plus d’un an. Cette médiation conduisit à l’organisation d’un référendum sous l’égide de l’ONU et à l’indépendance de l’Érythrée en 1993.
Les qualités pour une médiation réussie
On attend un certain nombre de qualités du médiateur.
En premier lieu, il doit être impartial et n’exprimer aucune préférence, même s’il n’éprouve pas la même affection pour chacune des parties en conflit. L’impartialité est la condition sine qua non pour bénéficier de la confiance des parties. C’est d’autant plus important qu’il doit pouvoir offrir un compromis qui soit d’un bénéfice égal pour les États en présence.
En second lieu, le médiateur doit être capable d’exercer de l’influence. Celle-ci peut trouver son origine dans les succès déjà engrangés par le médiateur dans le passé et le fait qu’il n’existe pas d’alternative viable à un moment donné ; c’est ce qui a sans doute valu à l’Algérie d’être choisie comme médiateur durant la crise des otages américains à Téhéran en 1980. L’influence peut provenir du rayonnement spirituel du médiateur, comme dans le cas du Saint-Siège. Mais elle est vraiment efficace lorsqu’elle est fondée sur la capacité d’offrir des compensations ou des sanctions tangibles, notamment la réduction de l’aide économique et militaire, comme ce fut le cas dans les négociations de Camp David en 1978. Tant Israël que l’Égypte reçurent des compensations financières des États-Unis en échange de leur flexibilité. En outre, l’influence du médiateur peut être démultipliée si une série d’autres acteurs internationaux (États, organisations internationales) soutiennent cette médiation.
Il est une autre condition d’une médiation réussie : pouvoir la mener sur un temps relativement long. Une implication prolongée permet de se familiariser avec le différend, et évite les fausses attentes. De ce point de vue, les organisations internationales ont l’avantage de pouvoir travailler sur le long terme, leur médiation n’étant pas soumise aux cycles électoraux (qui affectent le travail des gouvernements).
L’exemple de la médiation entre le Nord et Sud-Soudan
Le politologue américain Zartman a formulé à ce sujet la théorie de l’« impasse dommageable pour tous » (« mutually hurting stalemate »). Si les deux parties en conflit sont dans une impasse, c’est le « bon moment » pour faire œuvre de médiation.
À titre d’illustration, on peut citer le conflit entre le nord et le sud du Soudan au début des années 2000. Le médiateur américain (Colin Powell) a pu convaincre les parties en conflit qu’elles ne pouvaient l’emporter. Les États-Unis ont ainsi poussé le processus de médiation en faisant miroiter au gouvernement de Khartoum la possibilité de lever les sanctions économiques américaines.
Les dirigeants soudanais décidèrent alors de s’engager dans la voie d’un accord de paix négocié avec le Sud. Le levier américain mêlait les incitatifs diplomatico-économiques à la menace d’intensifier le régime des sanctions en cas de refus de Khartoum de négocier un compromis. Ou inversement, la promesse de lever des sanctions si le gouvernement soudanais faisait preuve de flexibilité et entrait dans une vraie négociation de paix.
Les formes de médiation
À ce propos, on relèvera que la médiation est souvent aussi une affaire d’incitants utilisés par le médiateur. Ceux-ci peuvent être d’ordre économique. Aussi lors de négociations dites de Lancaster House sur l’indépendance du Zimbabwe en 1979, le Royaume-Uni et les États-Unis ont utilisé des incitants financiers (promesses de soutien économique au nouvel État et levée de sanctions de l’ONU) pour convaincre la minorité blanche (qui reçut des garanties en matière foncière) et la délégation conduite par Mugabe à parvenir à un accord. La levée des sanctions dans le cas de la négociation sur la capacité nucléaire de l’Iran relève de la même logique.
La médiation nécessite souvent un « forcing » diplomatique. Il s’agit d’exercer une pression maximale sur les parties. À Dayton, en 1995, les Américains avaient enfermé les acteurs du conflit bosniaque jusqu’à l’obtention d’un accord à l’arraché.
Enfin, rappelons que la médiation est un processus ponctuel. Elle n’est pas appelée à durer. Elle ne se substitue pas aux mesures de rétablissement de la paix et de reconstruction du cadre normatif.
Raoul Delcorde, Professeur invité d’études européennes, Université catholique de Louvain (UCLouvain)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.