Très présente dans le secteur énergétique en Afrique, la Chine peut-elle vraiment proposer au continent un modèle de développement durable, interroge l’économiste Julien Gourdon ?
Le huitième Forum sur la coopération sino-africaine (FOCAC), qui s’est tenu en novembre 2021 à Dakar, poco x3 pro prix tunisie , s’est conclu par l’annonce de l’ouverture d’une « nouvelle ère » de la coopération Chine-Afrique dans divers domaines, dont celui de l’énergie. Objectif annoncé : orienter cette coopération vers un développement « de qualité » associant soutenabilité financière et environnementale <.
Aujourd’hui, la présence chinoise dans le domaine énergétique en Afrique est avant tout concentrée dans les énergies fossiles et hydrauliques. Quels pourraient être les contours d’une mutation vers des projets moins risqués et moins polluants ? Et quels sont les enjeux d’une telle évolution pour les banques et investisseurs chinois ?
Un engagement dans l’énergie hydraulique et fossile
La ventilation des financements des banques dans le secteur de l’énergie sur la dernière décennie montre la prédominance de l’hydroélectricité (principale énergie renouvelable), suivie par les énergies fossiles (pétrole puis charbon) et les projets de transmission et de distribution (T&D) (Graphique 1). La forte présence de la Chine dans le secteur de l’hydroélectricité s’explique notamment par le fait que les entreprises et bailleurs chinois aient profité du vide laissé par les autres bailleurs étrangers au tournant des années 2000.
La présence chinoise dans le pétrole et le gaz s’est développée dans les années 1990, avec la stratégie « Going Out ». Les deux objectifs poursuivis par celle-ci étaient l’apprentissage dans la conduite de projets d’énergie en Afrique pour les entreprises chinoises et la sécurité énergétique, le continent africain représentant 20 % des importations de gaz et de pétrole de la Chine. Cependant, la présence de l’Empire du Milieu s’est manifestée surtout en amont, au stade de l’extraction, faute d’expertise sur certaines composantes des centrales thermiques.
Depuis les années 2000, les incitations à l’investissement du secteur privé chinois dans les énergies se succèdent. L’ambition portée par les Nouvelles routes de la soie(Belt and Road Initiative – BRI) est d’inciter le secteur privé à investir dans la production des énergies renouvelables – en particulier solaires et éoliennes, dans lesquelles la Chine est le leader mondial.
Cependant, sur la dernière décennie, on constate que les investissements dans le domaine de l’énergie en Afrique sont restés peu diversifiés (Graphique 2). Ceux alloués aux projets pétroliers et gaziers des entreprises d’État chinoises dominant largement en volume et en nombre de projets.
Les financements des banques dirigés vers d’autres énergies renouvelables que l’hydraulique ne dépassent pas 3 % des volumes engagés. Les investissements des entreprises dans ces énergies renouvelables ne représentent aussi que 3 % de l’investissement total. Bien que la Chine soit numéro un sur la planète pour la production d’énergie solaire ou éolienne, il n’existe pas de consortium spécialisé dans le développement à l’étranger de projets de cette nature, et la RPC agit principalement en tant qu’équipementier (fourniture de panneaux photovoltaïques).
Des engagements chinois en baisse
Les engagements pour des prêts chinois en Afrique, tous secteurs confondus, se réduisent. Les données disponibles de la Boston University ou celles de John Hopkins utilisées dans le graphique 3 attestent de cette diminution depuis 2017.
Ce ralentissement s’explique par plusieurs facteurs : endettement croissant des pays africains, qui a limité leur capacité à emprunter pour financer de grands projets d’infrastructures ; ralentissement de la croissance domestique de la Chine, qui impose une évolution de sa projection à l’étranger ; changement de stratégie énergétique et de mobilisation des instruments de financement de la Chine dans les différents secteurs énergétiques.
La fin du financement de projets d’envergure peu rentables ou polluants
Récemment, la stratégie de projection chinoise a évolué et l’on distingue deux mutations qui sont déjà enclenchées en Afrique. Tout d’abord, une inflexion vers une politique de gestion des risques plus restrictive. Ensuite, la conscience croissante de l’importance de promouvoir le développement vert et de relever les défis de la protection de l’environnement et du changement climatique.
En Afrique, cela se matérialise par un ralentissement des financements publics et l’abandon des projets d’envergure polluants aux profils de risques trop marqués. Ces décisions ont naturellement des implications majeures sur les contours de la coopération énergétique avec le continent.
La Chine a annoncé en septembre 2021 souhaiter se désengager du charbon. Le minerai est devenu moins rentable, indésirable politiquement, et l’Afrique n’est qu’un fournisseur secondaire.
Il reste cependant à définir les modalités de ce retrait. Les succès mitigés dans le secteur pétrolier sur la décennie écoulée (chute des cours) ont fait subir quelques déconvenues aux entreprises pétrolières nationales sur le continent. Ainsi, l’approvisionnement de la Chine en pétrole africain décroît (de 30 % des importations totales en 2008 à 18 % en 2018) – une tendance qui devrait se poursuivre avec la raréfaction des projets sur les années à venir.
En revanche, les enjeux stratégiques autour du gaz augmentent, dans un contexte où vingt pays occidentaux se sont engagés dans le cadre de la COP26 à ne plus financer de projets dans le domaine des énergies fossiles. La déclaration du FOCAC de Dakar soutenant des investissements et financements verts pour des projets gaziers l’illustre parfaitement.
La Chine pourrait combler le vide créé. Car l’Afrique dispose des plus importants gisements de gaz découverts sur la décennie, une donnée à mettre en parallèle avec les chiffres de la consommation chinoise de gaz, en augmentation constante.
Mutations dans le secteur des énergies renouvelables
La dernière décennie a vu le financement de grands projets hydrauliques risqués, généralement d’une capacité de plus de 50 MW. Le verdissement de la BRI pourrait amener à réduire leur dimensionnement. En effet, ces grands projets mettent du temps à se mettre en place, et l’appréhension de plus en plus forte des conséquences environnementales et sociales leur fait perdre de leur attrait.
Cependant, l’hydraulique d’envergure continuera d’être au cœur de la présence chinoise en Afrique. En attestent les prévisions de l’Agence internationale de l’énergie (IEA) qui anticipe que 70 % des capacités hydrauliques additionnelles sur la période 2021-2030 en Afrique devraient être le fait d’opérateurs chinois. L’enjeu dans ce secteur est donc de garantir des études environnementales et sociales préliminaires solides, et des mécanismes de transparence crédibles pour réduire le profil de risque de ces projets.
Les rares projets d’énergies renouvelables chinois sont portés par le secteur privé. La taille réduite des projets coïncide parfois avec celle des entreprises, tandis que leurs coûts de transaction sont rédhibitoires pour les larges entreprises d’État chinoises, qui privilégient les projets d’envergure hydrauliques.
Cependant, un rapprochement de terrain entre entreprises privées et entreprises d’État peut parfois être observé, et la multiplication des initiatives de verdissement de la BRI, l’application plus drastique des normes environnementales et sociales devrait aider les entreprises publiques et privées chinoises à mieux se projeter dans les secteurs des énergies renouvelables non hydrauliques.
Impliquer davantage les banques commerciales et les entreprises privées chinoises
Deux banques de politique stratégique dominent le secteur du financement, et six entreprises d’État celui de l’investissement. Sur les 43,4 Mds USD de financements énergétiques chinois recensés sur la décennie 2010-2020 en Afrique, la China Eximbank et la China Development Bank pèsent respectivement 60 % et 37 %. Les banques commerciales seules ont une part marginale (3 %, avec 3,3 Mds USD).
Les entreprises d’État sont les autres acteurs économiques chinois majeurs, à la fois bénéficiaires des financements des banques comme contractants, mais aussi présentes dans l’investissement sur des projets d’envergure (30Mds USD depuis 2010). Le gouvernement table aussi sur la participation des entreprises privées comme investisseurs ou contractants, principalement pour les projets éoliens et solaires, mais les projets restent confidentiels jusqu’à présent (2Mds USD depuis 2010).
La plupart de ces prêts souverains suivent le modèle dit projet clé en main. Le contractant s’occupe de l’ensemble de l’ingénierie, du design jusqu’à l’installation, en passant par le choix des matériaux. Il s’adresse ensuite aux banques chinoises pour le financement, mais cela n’implique pas une présence de l’entreprise sur la phase d’opération.
Or ce modèle est en perte de vitesse pour deux raisons. Tout d’abord, parce que cette situation est vecteur d’aléas moraux, puisque les entreprises ont intérêt à « survendre » l’intérêt des projets, exploitant le manque de visibilité des banques. Ensuite, parce que ce système de prêts accordant peu d’importance à la viabilité des projets comprend généralement une clause contraignant les développeurs à souscrire une assurance coûteuse. Ces dernières sont taillées à larges montants de financement pour les énergies fossiles, car les primes d’assurance n’évoluent pas graduellement, mais pas pour les énergies renouvelables.
Ce qui est en jeu, c’est l’entrée dans un « nouvel âge de l’internationalisation » des entreprises d’État et des entreprises privées chinoises. Du statut de constructeurs, elles devraient évoluer vers celui de développeurs-investisseurs avec des capacités d’évaluations du risque et des impacts environnementaux et sociaux accrues, pour ne plus dépendre de garanties très coûteuses.
La faible incitation du modèle existant à la création de capacités d’analyse, et les préférences pour les accords de gouvernement à gouvernement, ont limité leur capacité d’évaluation des risques, et donc de compétitivité sur ces projets. Pour monter en compétence, les acteurs chinois doivent s’ouvrir davantage à des co-financements extérieurs ou à des sources de financement multiples.
Le verdissement de la BRI comme tremplin
Avec la multiplication des initiatives de verdissement de la BRI, les publications incitant au respect de normes environnementales et sociales plus strictes ont essaimé. Afin d’attirer des investisseurs et de développer les co-financements, ces mesures doivent maintenant être opérationnalisées.
Le verdissement de la BRI, mais surtout du mix énergétique et de la politique industrielle de la Chine, redéfinit la diplomatie des ressources menée par Pékin et devrait soutenir sa transition vers un modèle moins carboné. Ce tournant vers des « Nouvelles routes de la soie » plus durables, qui suppose des évolutions importantes, pourrait ouvrir la voie à un dialogue et à une coopération renforcée entre les acteurs financiers chinois et leurs homologues dans le secteur de l’énergie.
Matthys Lambert et Achille Macé sont co-auteurs de cet article.
Julien Gourdon, Economiste, Agence française de développement (AFD)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.