Il est courant pendant le printemps et l’été, en France métropolitaine, de retrouver sa voiture recouverte d’une couche fine des poussières blanches ou jaunâtres, dont leur origine est justement une tempête de poussières au Sahara.
Les tempêtes de poussières se forment lorsque des vents forts soufflent sur des sols composés de matériaux « érodables » et « mobilisables », c’est-à-dire sensibles à l’érosion par le vent. Il s’agit d’un phénomène très courant dans les vastes régions désertiques, telles que le Sahara, où les tempêtes s’étalent sur des centaines à des milliers de kilomètres.
En fait, dans les déserts, ce ne sont pas les grains de sable qui sont emportés par le vent sur de longues distances, car les grains sont relativement lourds et retombent au sol pas très loin de l’endroit de soulèvement. En effet, le vent soulève les grains de sable de quelques centimètres à quelques mètres d’altitude pour ensuite retomber au sol. Cela génère un impact avec les grains présents au sol, qui les fractionnent en plus petites particules. Ce processus, dit de saltation, produit des grains de poussière désertique beaucoup plus légers, qui redescendent très lentement par effet de la gravité.
Suite au soulèvement, les poussières peuvent donc rester suspendues dans l’air pendant plusieurs jours et voyager ainsi avec le vent sur plusieurs milliers de kilomètres et même atteindre les pôles.
Les tempêtes de poussières ont des effets importants
Les très grosses quantités de poussières soulevées au Sahara ont un rôle majeur sur le climat et le système terrestres. Elles modifient fortement les bilans énergétiques terrestres en réfléchissant et absorbant la lumière solaire et le rayonnement infrarouge. L’absorption de la lumière peut réchauffer significativement l’air où se situent les poussières, modifiant ainsi la circulation des vents.
Lorsqu’elles se déposent au sol, les poussières sont aussi un apport essentiel des minéraux pour les écosystèmes marins et terrestres. Par ailleurs, les tempêtes de poussières désertiques dégradent fortement la qualité de l’air et la visibilité en Afrique du Nord, pouvant affecter significativement la santé des populations dans ces régions suite à l’aggravation des maladies respiratoires.
Comment les tempêtes naissent et évoluent
Au centre du Sahara, c’est en été que les poussières soulevées dans l’atmosphère sont les plus abondantes. Les conditions atmosphériques durant cette période sont fortement influencées par l’apport d’humidité depuis le golf de Guinée par les vents associés à la mousson africaine.
Ces masses d’air humide remontent en altitude lors qu’elles rencontrent des obstacles, tels que des montagnes, ou lorsqu’elles passent au-dessus de sols très réfléchissants qui produisent des courants d’air ascendants. Cela déclenche la formation d’orages de très grande magnitude, dont les précipitations refroidissent brusquement l’air en s’évaporant au contact de l’air très chaud du désert. Des poches d’air froid se retrouvent dans un environnement très chaud – la différence abrupte de densité de l’air entre les zones chaudes et froides induit des vents très violents.
Ce sont ces vents qui soulèvent les poussières mobilisables au sol et forment de gigantesques murs de poussière. En somme, ce sont des orages tropicaux dans le désert qui sont à l’origine de ces tempêtes de poussières, que l’on appelle « haboobs », qui vient de l’arabe et signifie « vent fort ».
Comprendre ces tempêtes depuis l’espace
On connaît encore assez mal la naissance de ces tempêtes : d’une part, elles ont un caractère sporadique et sont déclenchées par des mécanismes dynamiques complexes ; d’autre part, les conditions atmosphériques rendent les observations difficiles et les moyens d’investigation sont souvent très limités dans les régions désertiques.
Dans ces régions, les observations satellitaires jouent un rôle majeur, permettant d’observer les quantités des poussières soulevées dans l’atmosphère et leur parcours vers d’autres régions. Cependant, jusqu’à présent, les observations satellitaires classiques caractérisent uniquement la répartition bidimensionnelle des poussières désertiques via une cartographie horizontale effectuée grâce aux sondeurs passifs, qui fonctionnent de manière similaire aux appareils photographiques très performants. Une information verticale, dans l’épaisseur de la tempête, peut-être obtenue en utilisant un laser embarqué sur le satellite, mais cela fonctionne uniquement sous le passage du satellite – chaque acquisition étant écartée d’environ 2000 km en longitude.
L’importance des phénomènes 3D dans l’évolution des tempêtes
Les tempêtes de poussières atteignent des régions très différentes selon leur altitude, car l’intensité et la direction du vent varient fortement sur la verticale. De même, les impacts des poussières sur l’environnement dépendent aussi fortement de leur étendue verticale. Seules les poussières proches de la surface affectent directement les conditions de vie des populations par dégradation de la qualité de l’air et de la visibilité.
Les poussières peuvent se déposer sur la surface, soit à cause de la gravité quand elles sont en contact avec le sol, soit à cause du lessivage par des gouttes de pluie. Les impacts sur le bilan énergétique terrestre et sur la circulation atmosphérique se localisent principalement aux altitudes où se trouvent les poussières : ces dernières absorbent la lumière solaire et donc réchauffent l’air autour d’elles.
Par ailleurs, notre connaissance des mécanismes de mélange vertical des poussières désertiques au Sahara est limitée, vu le manque d’observations et les difficultés à les modéliser via des équations ou des outils numériques.
Des recherches scientifiques récentes ont permis de mesurer la distribution tridimensionnelle de poussières lors de la naissance des tempêtes au cœur du Sahara, pour la première fois depuis l’espace, notamment de la vaste tempête de poussières sahariennes survenue en juin 2020 qui a atteint les Caraïbes puis les États-Unis.
Ces travaux s’appuient sur une méthode innovante développée au Laboratoire Interuniversitaire des Systèmes Atmosphériques utilisant des observations satellitaires du sondeur passif IASI, qui mesure l’intensité de la lumière dans l’infrarouge thermique, de manière très précise et détaillée en fonction de longueur d’onde, c’est-à-dire de la couleur de la lumière. Le grand avantage de IASI est sa couverture spatiale : ses mesures couvrent la surface entière de la terre deux fois par jour, tandis qu’un laser sonde l’atmosphère uniquement sous des traces écartées d’environ 2000 km en longitude.
Ces mesures sont sensibles à la répartition verticale des poussières, tout en étant très détaillées sur l’horizontale. On obtient ainsi une vue 3D de l’étendue des poussières, qui permet de mieux comprendre les mécanismes dynamiques à l’origine des tempêtes de poussières au Sahara durant l’été. Elles offrent un vaste potentiel pour étudier les mécanismes de mélange vertical des poussières désertiques, ainsi qu’un moyen original pour améliorer la précision des modèles numériques de la distribution 3D des poussières.
Juan Cuesta, Maître de Conférence en Physique, Laboratoire Interuniversitaire des Systèmes Atmosphériques (LISA), Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.