Dans une nouvelle déclaration, le président français Emmanuel Macron rejette la demande du Mali de retirer les soldats de l’opération Barkhane « sans délai ». Ce qui prouve, une nouvelle fois, l’attitude colonialiste du chef de l’Etat français vis-à-vis de l’Afrique, et du Mali en particulier.
« Nous avons annoncé la réarticulation du dispositif (Barkhane, ndlr) et il s’appliquera en bon ordre afin d’assurer la sécurité de la mission des Nations unies et de toutes les forces déployées au Mali. Je ne transigerai pas une seconde sur leur sécurité ». Au moment d’évoquer l’opération Barkhane, le président français Emmanuel Macron a une nouvelle fois cherché à avoir le dernier mot.
Cette déclaration intervient en réponse à celle, auparavant, du porte-parole du gouvernement malien Abdoulaye Maïga, qui a dénoncé les « manquements répétés aux accords de défense » de la France au Mali. « Le gouvernement invite les autorités françaises à retirer, sans délai, les forces Barkhane et Takuba du territoire national, sous la supervision des autorités maliennes », a exhorté Maïga.
Une passe d’armes qui n’en finit plus. Car le porte-parole du gouvernement malien répondait à la décision de la France et de ses alliés européens de retirer leurs militaires du Mali.
Depuis plusieurs semaines, autorités maliennes et françaises se renvoient la balle. Les relations franco-maliennes n’ont cessé de se dégrader. Les autorités françaises se font un malin plaisir à rappeler que le Mali, désormais gouverné par le pouvoir militaire qui a mis fin à la présidence d’Ibrahim Boubacar Keïta (IBK), est la cause principale du départ précipité des forces de Barkhane.
Mais le manque de tact de Macron et de ses ministres — Jean-Yves Le Drian en tête —, et l’attitude arrogante de Paris vis-à-vis de l’Afrique et du Mali, donnent raison aux militaires de Bamako.
La souveraineté pour les nuls
Lors du sommet Afrique-France d’octobre dernier, un échange entre Emmanuel Macron et une activiste malienne, Adam Dicko, avait interpellé les internautes africains. Adam Dicko qualifiait le discours de Macron de « paternaliste » et lui rappelait que, « sans l’Afrique, la France n’existerait pas ».
L’activiste malienne avait également fustigé l’intervention de la France en Libye, qui a donné lieu, selon elle, à une extension de la présence française au Sahel. « La France a ignoré l’Union africaine, (…) vous êtes au Sahel pour corriger l’erreur que vous avez commise en Libye. Et en corrigeant cette erreur, vous êtes en train de commettre d’autres erreurs », dénonçait très justement Adam Dicko.
Emmanuel Macron avait alors admis que la France « n’a pas respecté la souveraineté du peuple libyen ». Mais cinq mois après cette réponse qui avait pris la forme d’un mea culpa, le président français se rappelle à ses vieilles habitudes, en refusant tout simplement de retirer ses soldats du Mali. Pourtant, quelques semaines plus tôt, le président français avait lui-même décidé le retrait de ses militaires. Mais Macron semble vouloir garder la main sur le planning qu’il s’est fixé.
Un manque de respect flagrant envers la souveraineté malienne. Comment le chef de l’Etat français en est-il venu à commettre autant de fautes grossières vis-à-vis du Mali et de l’Afrique en général ?
Le bilan de Barkhane au Mali
L’échec de Barkhane au Mali est pourtant une évidence. Emmanuel Macron dit toutefois « récuser complètement ce terme ». Il assure, non sans honte, que Barkhane aurait « consolidé très fortement les armées africaines de la région » dont « la situation est très différente de celle d’il y a neuf ans ».
Dans une note du chef d’état-major français Thierry Burkhard, annonçant le retrait des forces françaises du Mali, le militaire met l’accent sur ce constat. « Nous avons renforcé notre partenariat de combat au profit des forces armées maliennes (FAMa). Avec ces militaires maliens qui, chaque jour sur le terrain, font preuve de courage et d’engagement, nous avons tissé des liens de confiance et de respect mutuels, de ces liens qui naissent des combats menés côte à côte et du sang versé ensemble », assure le général français.
Lire : Retrait de Barkhane du Mali : ces leçons que la France n’a pas retenues
L’historien et ancien militaire français, Michel Goya, lui, a dressé le véritable bilan de Barkhane dans une analyse publiée le 6 février dernier. Il y assure que le bilan purement mathématique des pertes dans les rangs des groupes terroristes, en neuf années de Barkhane, ne dépasse que de peu celui dressé au mois de janvier 2013, lors de l’opération Serval.
Les rangs d’Aqmi et de l’EIGS ont perdu tous leurs bastions lors de la première intervention française, et plus de 700 combattants — au prix de dizaines de vies de militaires tchadiens et de quatre soldats français. En contrepartie, l’opération Barkhane s’est distinguée par un manque d’efficacité militaire flagrant, en plus d’une stratégie inadaptée.
« La stratégie générale française a peu évolué, sinon dans le sens d’une plus grande pression militaire. À la fin de l’année 2018, le taux mensuel de pertes ennemies est passé à presque 20, sans que cela ait changé fondamentalement la situation. L’année 2019 a été une année noire. La violence a doublé par rapport à l’année précédente. Les armées locales ont subi des coups très forts de la part des groupes djihadistes et se sont trouvées au bord de l’effondrement. Dans le même temps, l’image de la France, accusée simultanément d’impuissance, de protéger les séparatistes de l’Azawad, de soutenir des gouvernements corrompus et de s’être associée à des groupes d’autodéfense ou des armées coupables d’exactions, s’est dégradée », écrit Michel Goya.
Le Franc CFA, paravent de la « Françafrique »
Ces erreurs que l’Elysée n’admettra probablement jamais sont loin d’être les seules. Beaucoup d’analystes accusent Emmanuel Macron d’avoir déployé une stratégie africaine « malavisée ». Les bourdes françaises se multiplient sur tous les plans, pas uniquement sur le volet militaire.
Il suffit de rappeler l’annonce faite par Macron, avec le « président Françafrique » par excellence, Alassane Ouattara, pour claironner la fin du franc CFA et son remplacement par la monnaie Eco. L’objectif ? Mettre d’autres pays africains disposant de leur propre monnaie sous le joug de la tutelle financière française. L’Eco n’a rien à envier au CFA : la parité entre l’euro et l’Eco sera imposée par Paris et le quota de devises des pays africains transitant par le Trésor français auront augmenté au lieu de baisser.
Un projet qui a suscité la colère d’une majorité écrasante des populations ouest-africaines, qui étaient opposées à ce maquillage du franc CFA. De plus, l’adoption de l’Eco par l’UEMOA a provoqué la colère des banques centrales du Ghana, de la Guinée, du Nigéria, de la Gambie, du Libéria et de la Sierra Leone. Les gouverneurs de ces banques centrales et les ministres des Finances des six pays ont dénoncé la portée du projet et ont renoncé à adopter la nouvelle monnaie commune, préférant garder leurs propres monnaies nationales.
Emmanuel Macron, trop mal conseillé
Un ambassadeur ouest-africain, contacté par Le Journal de l’Afrique, estime que « la politique africaine de Paris se limite aujourd’hui à distribuer les ‘bons points’ aux Africains. Cela fonctionne peut-être avec les présidents Françafrique comme Ouattara, Sall ou Bazoum, mais l’intérêt des Africains est rarement pris en compte ». Pour notre source, Emmanuel Macron pourrait bien être « celui qui va faire rompre la France avec l’Afrique », pour quatre raisons.
Tout d’abord, à cause du « manque d’expérience africaine » d’Emmanuel Macron. Le président français est mal conseillé —Franck Paris, le « Monsieur Afrique » de l’Elysée, est un technicien pur et dur, éloigné des réalités du terrain. Un constat partagé par Antoine Glaser, ancien directeur de la rédaction d’Africa Intelligence, dans son livre « Le piège africain de Macron ». Le journaliste estime que « la génération Macron » a raté sa politique africaine en cherchant à la dépoussiérer.
De plus, il existe, pour Emmanuel Macron, un souci d’interlocuteurs. Le président français ne fait que s’appuyer sur des relations avec « les derniers des Mohicans à défendre les intérêts français en Afrique comme à l’international » selon les expressions d’Antoine Glaser. Même lorsqu’il a tenté, à l’instar du sommet de Montpelier, de discuter avec de « jeunes Africains » — en excluant les chefs d’Etat —, ces membres de la société civile ont dû d’abord être filtrés par les ambassades françaises. Et malgré tout, Macron n’a pas réussi à passer entre les gouttes.
Lire : De quoi la France est-elle le nom dans le monde… et en Afrique ?
Il existerait également une fracture entre le ministère — non pas le ministre — français des Affaires étrangères et la présidence française. Un contexte qui se manifeste alors que les « diplomates » français, Jean-Yves Le Drian en chef de file, durcissent le ton avec les autorités africaines. Le diplomate en chef de Macron, Le Drian, ne cesse, avec l’aide de sa ministre des Armées Florence Parly, d’attaquer ouvertement les autorités de transition dans les pays ayant subi des coups d’Etat depuis l’année dernière.
Enfin, dernier problème de l’Elysée : les discours colonialistes d’Emmanuel Macron. En 2017 déjà, il déclarait à la tribune du G20 que « le défi de l’Afrique est beaucoup plus profond, il est civilisationnel aujourd’hui ». Et de poursuivre : « Quand des pays ont encore aujourd’hui 7 à 8 enfants par femme, vous pouvez décider d’y dépenser des milliards d’euros, vous ne stabiliserez rien ».
Force est de constater, que cinq ans plus tard, le discours de celui que ses ministres surnomment « Jupiter », n’a pas évolué. Et que son bilan africain se résume à des sorties qui font le buzz, bien loin des réalités du continent, alors que la jeunesse africaine se désolidarise de plus en plus de l’ancien empire colonial.