En Libye, depuis la nomination de Fathi Bachagha par le parlement de Tobrouk, le 10 février dernier, en tant que Premier ministre à la place d’Abdel Hamid Dbeibah, le pays est plus divisé que jamais.
A Tripoli, c’est un remake de « Un fauteuil pour deux » qui se joue. En effet, deux Premiers ministres occupent actuellement cette fonction. Et le calme qui règne sur place n’est que très précaire. Les deux responsables alignent leurs partisans et leurs milices. Mais étonnamment, la situation est paisible, en attendant que le nouveau Premier ministre Fathi Bachagha annonce ses choix pour son futur gouvernement. D’ici là, les pourparlers entre l’est et l’ouest patinent.
Le 10 février dernier, le chef du gouvernement libyen, Abdel Hamid Dbeibah, échappait à une tentative d’assassinat dans la matinée, au dernier jour officiel de ses fonctions. Quelques heures plus tard, le parlement de Tobrouk, dirigé par Aguila Salah, désignait l’ancien ministre de l’Intérieur Fathi Bachagha nouveau Premier ministre. Dans la soirée, Bachagha atterrissait dans la capitale Tripoli et exhortait son « prédécesseur » à passer la main.
Mais Dbeibah, qui peut aujourd’hui se targuer d’être soutenu par la Turquie et, plus timidement, par l’Organisation des Nations unies (ONU), a annoncé l’accélération de la préparation des élections. Il a aussi affirmé qu’il ne cèderait le pouvoir qu’à un chef du gouvernement élu.
Ainsi donc, pendant plus d’une semaine, les partisans des deux Premiers ministres libyens ont entamé des opérations de lobbying, qui n’ont toujours rien donné. Certains parlent d’une future division de la Libye ou d’un conflit armé à Tripoli. Mais aucune des parties intéressées par la transition politique libyenne ne souhaite en arriver là.
Bachagha et Dbeibah bombent le torse
Quoi qu’il en soit, Bachagha et Dbeibah avancent leurs pions. Du côté de Bachagha, qui s’était récemment allié avec l’homme fort de l’est, Khalifa Haftar, son séjour à Tripoli est facilité par plusieurs milices de la Tripolitaine. Des milices dont il s’était assuré l’allégeance en 2019, lorsqu’il avait commandé les forces gouvernementales contre son actuel allié, Khalifa Haftar. Bachagha est aussi ouvertement soutenu par les Emirats arabes unis (EAU) et l’Egypte, et plus implicitement par la France.
De son côté, Dbeibah a fait appel aux milices de Misrata — la ville d’origine des deux Premiers ministres rivaux — et de Sabratha, le bastion des forces turques en Libye. Le président turc Recep Tayyip Erdoğan a annoncé mercredi qu’un gouvernement parallèle « serait néfaste pour la Libye » et que la Turquie, bien qu’« en bons termes avec Bachagha », continuera « à soutenir le gouvernement libyen pour arriver à des élections ».
L’ONU, elle, a adopté une position encore plus ambiguë. Après que le porte-parole du secrétaire général des Nations unies Stéphane Dujarric a annoncé le soutien de l’organisation internationale à Dbeibah, la cheffe de la mission de l’ONU (Manul), Stephanie Williams, dit « prendre acte de la désignation de Bachagha comme Premier ministre ».
« Exercer le pouvoir indéfiniment et sans rendre de comptes »
Pour le gouvernement de Dbeibah, Williams aurait retourné sa veste. « Elle contredit ses déclarations favorables à la tenue d’élections rapides en Libye en soutenant des parties qui souhaitent les reporter (Bachagha, ndlr) », a déclaré le porte-parole du gouvernement Mohammed Hammouda.
Bachagha avait, lors de son discours à Tripoli, promis la désignation d’un gouvernement avant le 25 février, mais aussi annoncé que cette « nouvelle transition » pourrait durer jusqu’à quatorze mois.
En contrepartie, Abdel Hamid Dbeibah avait ordonné, le lundi 14 février, la nomination d’un organe qui doit promulguer une loi électorale en vue des élections législatives. Une commission qui doit être annoncée « au bout de trois semaines », lit-on dans le texte du décret.
Pour Wolfram Lacher, expert en Libye à l’Institut allemand des affaires internationales et de sécurité (SWP), « en réalité, c’est une lutte entre deux parties qui cherchent à exercer le pouvoir indéfiniment et sans rendre de comptes à personne ».
Si, visiblement, l’ONU s’est mise en retrait, restant simple spectatrice de l’impasse politique libyenne, au même titre que la Russie d’ailleurs, qui n’a pas officiellement pris position, et que la Turquie, qui se pose en arbitre entre les deux hommes qui furent autrefois ses alliés, c’est au niveau national que sont actuellement menés les pourparlers.
En effet, le président du Conseil présidentiel, Mohammed el-Menfi, a rencontré Dbeibah dimanche dernier, et Bachagha le lendemain. Le président libyen aurait exhorté les deux rivaux à régler leur différend « entre Misratis », de négocier directement et d’éviter un conflit armé entre leurs partisans.
Dans l’est du pays, en revanche, Khalifa Haftar espère, sans doute, une victoire de Bachagha qui pourrait lui permettre d’obtenir une place de choix au sein d’un futur gouvernement.