L’envoyé spécial de Jeune Afrique à Bamako doit être expulsé aujourd’hui du Mali. Une action symbolique contre la France ou une entrave à la liberté de la presse ?
Ce lundi, le journaliste de Jeune Afrique, Benjamin Roger, a été conduit dans les locaux de la Brigade malienne d’investigation judiciaire, quelques heures après être arrivé à Bamako. Il doit, selon le magazine panafricain, être expulsé du Mali ce mardi 8 février.
« Benjamin Roger était muni d’un visa d’entrée en règle et n’a pas dissimulé sa profession de journaliste ni le fait qu’il venait l’exercer – en toute impartialité – au Mali », écrit Jeune Afrique.
Si les autorités maliennes font fi de « la liberté d’informer », selon Jeune Afrique, il faut rappeler que le magazine n’a en réalité pas vraiment fait de la déontologie journalistique son credo. « Qu’on ait fait des compromis, qu’on ait tenu compte d’un certain nombre d’impératifs, bien évidemment », avouait en 2010 Béchir Ben Yahmed, fondateur du magazine.
Symbole de la « Françafrique »
Les autorités maliennes ont-elles, pour autant, raison de renvoyer en France le journaliste de Jeune Afrique ? « Invoquer la liberté de la presse lorsqu’on est Jeune Afrique, c’en est presque incohérent, car JA n’a rien d’un titre de presse comme les autres », explique un ex-salarié du titre.
Si, à ses débuts, Jeune Afrique était entré dans « l’histoire du combat tiers-mondiste et de l’Afrique indépendante », comme le décrivait L’Opinion au moment du décès de Béchir Ben Yahmed, le journal est rapidement devenu un outil de la « Françafrique ». Jacques Foccart, dont Jeune Afrique a co-édité les mémoires, dînait d’ailleurs une fois par mois avec Béchir Ben Yahmed, comme il l’avait révélé dans son autobiographie. « BBY » était également un habitué de l’Elysée, où il déjeunait parfois avec François Mitterrand.
A l’heure où le Mali tente de couper avec cette « Françafrique », l’expulsion du journaliste de Jeune Afrique apparaît presque comme un signal envoyé à Paris, plutôt qu’aux journalistes. Un signal également envoyé à un système.
Un soutien des systèmes en place
En Afrique, après les avoir dénoncés à ses débuts, Jeune Afrique a largement soutenu les présidents « à vie », comme Alassane Ouattara, malgré son troisième mandat illégal. Béchir Ben Yahmed admettait d’ailleurs lui-même, en 2010, que « Jeune Afrique coexiste avec des pays et des gouvernements qui ont beaucoup de pouvoir » et qu’il était « obligé de composer » avec ces derniers.
« Jeune Afrique tient plusieurs chefs d’Etat à la gorge », décrit l’ancien salarié du groupe. Il faut dire que le magazine a, ces dernières années, « changé de pratique » et tenté « de racketter les personnalités nationales et les hommes d’affaires en les menaçant de nuire à leur réputation s’ils ne leur payent pas des bakchichs », affirmait l’homme d’affaires et politique tunisien Slim Riahi.
Ce mot de « racket » revient régulièrement dans la bouche des différents présidents africains. L’un d’eux a confié au Journal de l’Afrique avoir déboursé plusieurs centaines de milliers d’euros pour faire la promotion de ses actions.
Le Mali réfute aujourd’hui les accusations concernant une éventuelle entrave à la liberté de la presse. En janvier dernier, le gouvernement de transition malien avait annoncé vouloir modifier le processus d’accréditation des journalistes étrangers.