Le président tunisien promet un grand nettoyage. Des enquêtes sur 20 000 hauts responsables vont être diligentées pour savoir si ces derniers se sont enrichis ou non de façon illicite.
Cela ressemble fort à un des 12 travaux d’Hercule, dont le cinquième était le nettoyage des écuries d’Augias en détournant l’eau de deux fleuves. En Tunisie, Kaïs Saïed va s’attaquer à la corruption, qui ressemble à s’y méprendre aux écuries d’Augias.
Selon Chawki Tabib, ancien président de l’Instance nationale de lutte contre la corruption — depuis mis en cause dans plusieurs affaires —, en 2018, le coût de la corruption en Tunisie, si l’on intègre le commerce informel et la contrebande, était « estimé à 54 % du PIB ».
Si la corruption en Tunisie est difficilement quantifiable, de son côté, la Banque mondiale affirmait en 2015 que, au sein de la fonction publique, elle engendrait des coûts pour les entreprises tunisiennes équivalant à 15 % de leur chiffre d’affaires.
De 460 hommes d’affaires à 20 000 responsables
Or, ces dix dernières années et malgré la chute de l’empire Trabelsi, la classe politique a été aussi inefficace que sans vision. Si elle était endémique sous Ben Ali, la corruption est restée omniprésente depuis la Révolution de 2011.
Alors qu’il avait promis une « réconciliation pénale » pour 460 hommes d’affaires qui avaient « spolié le pays », le président de la République tunisienne a tardé à lancer son opération mains propres. Près de six mois après avoir pris les pleins pouvoirs, Kaïs Saïed promet désormais de s’occuper de la corruption au sein de l’Etat.
Alors que l’Algérie voisine vient d’acter la création d’une Haute autorité de transparence, de prévention et de lutte contre la corruption, cela semble avoir inspiré le chef de l’Etat tunisien, qui a annoncé vouloir demander des comptes aux personnalités qui ont, ces vingt dernières années, occupé des postes à responsabilités. Objectif : savoir si celles-ci se sont enrichies ou non de façon illicite.
Selon des sources proches du palais de Carthage, le président tunisien a déjà, entre les mains, une liste de 20 000 anciens responsables, aussi bien issus de la fonction publique que d’entreprises privées. Jeune Afrique affirme que « les PDG des banques publiques et privées, les responsables gouvernementaux étatiques, dont les ministres et les gouverneurs, mais aussi tous les grands noms du secteur privé » sont concernés par ces enquêtes.
Kaïs Saïed peut-il compter sur l’appui de la magistrature ?
Que va-t-il se passer pour eux ? Selon les médias tunisiens, Kaïs Saïed a décidé d’inverser la charge de la preuve. En effet, ce sera aux personnalités visées par des enquêtes de prouver leur innocence. Jusqu’à ce que la licéité de l’enrichissement de ces hauts responsables soit prouvée, leurs avoirs seront gelés.
Reste désormais à savoir quelles seront les sanctions prononcées contre les personnes s’étant rendues coupables de corruption. Le président a déjà évoqué, alors qu’il voulait s’attaquer à 460 hommes d’affaires, sa volonté de demander des promesses de financement de projets dans toutes les délégations, notamment les plus pauvres, de la part des contrevenants.
Autre question qui se pose : comment Kaïs Saïed peut-il faire juger des personnalités alors qu’il a émis le souhait de dissoudre le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) ? Selon des sources proches de la présidence, ce projet de dissolution pourrait bien tomber à l’eau dans les jours à venir. Dans ce cas, le président tunisien pourrait compter sur l’appui de la magistrature.