Après le report de l’élection présidentielle libyenne du 24 décembre dernier, comment va se dérouler la transition ? Dimanche dernier, le chef du Parlement Aguila Salah et son homologue du Sénat Khaled al-Michri se sont rencontrés au Maroc, en catimini.
Ce fut une rencontre très discrète. Un rendez-vous qui a réuni, dimanche 2 janvier au Maroc, le président du parlement de Tobrouk, Aguila Salah Issa, et le chef du Haut Conseil d’Etat libyen, Khaled al-Michri. La raison de la réserve des parties prenantes saute aux yeux : les deux hommes sont politiquement aux antipodes. Mais surtout, le royaume chérifien n’assume pas vraiment cette seconde rencontre organisée entre al-Michri et Salah.
Tout d’abord, la position officielle du Maroc, au risque que le royaume se contredise, est de soutenir une solution intra-libyenne. Mais dans les faits, la diplomatie marocaine tente coûte que coûte d’empêcher que le gouvernement d’unité nationale (GNU) d’Abdel Hamid Dbeibah ne s’accroche au pouvoir.
C’est uniquement pour cette raison que les deux ennemis politiques, qui représentent le pouvoir législatif de l’est et de l’ouest libyens, ont été réunis par le Maroc.
Le parlement libyen, avec ses deux chambres, assume aux yeux de l’opinion publique le fiasco du processus électoral. Conséquence : Khaled al-Michri et Aguila Salah sont tenus de trouver un consensus sur la nouvelle forme de gouvernance du pays après la fin effective du mandat du GNU, ainsi que de résoudre la totalité des problèmes empêchant la tenue de l’élection reportée dans un délai impossible à respecter.
A Tripoli, en revanche, Abdel Hamid Dbeibah a repris, l’air de rien, ses fonctions. En novembre dernier, il les avait déléguées au Premier ministre adjoint, le temps de lancer sa campagne, qui n’aura finalement jamais eu lieu.
Or, si al-Michri et Salah ne s’unissent pas, Dbeibah pourrait profiter de la situation pour proposer que son gouvernement reste au pouvoir jusqu’aux élections.
Un futur désaccord entre Turquie et Maroc ?
Pour le Maroc, au-delà de l’opportunité de se saisir d’une partie du dossier libyen, alors que l’Algérie avait réussi à se positionner en organisant la fameuse Réunion des pays voisins de la Libye, il s’agit surtout de faire oublier le soutien accordé à Aguila Salah, l’artisan de la très controversée loi électorale et qui avait été lui-même candidat.
Rabat a beau marteler que la rencontre Michri-Salah « n’a pas été organisée à l’initiative du Maroc », celle-ci n’aurait pas pu avoir lieu sans l’aval des autorités du royaume. Mais cette déclaration est surtout une manière pour Nasser Bourita, chef de la diplomatie chérifienne, qui a sans aucun doute garanti la logistique et participé au rendez-vous, de ne pas en assumer les conséquences.
Pourquoi de telles craintes ? Khaled al-Michri est l’un des rares représentants du courant conservateur au sein de l’Etat libyen. Et depuis que l’ancien ministre de l’Intérieur Fathi Bachagha s’est rallié à Benghazi et à son chef militaire Khalifa Haftar en décembre, la Turquie n’a plus qu’un seul interlocuteur à Tripoli : Khaled al-Michri.
« Il s’agit d’une solution tampon », résume un diplomate libyen, qui s’est confié au Journal de l’Afrique. Le but d’Ankara, dans l’immédiat, est de trouver un homme d’Etat à soutenir pour la suite. Un profil qui pourra en plus réunir les Libyens, sans pour autant enfermer la Turquie dans une alliance avec l’Occident qui irait contre les traditions diplomatiques de Recep Tayyip Erdoğan.
En somme, la Turquie souhaite quelqu’un qui ne fasse pas partie de l’élite de l’est libyen – où Haftar est l’acteur le plus influent –, qui aie de l’influence à Misrata et qui soit installé à Tripoli. Aujourd’hui, une seule personne réunit ces critères : Abdel Hamid Dbeibah.
Une rencontre sans suite ?
Si Dbeibah se maintient au pouvoir, la Turquie n’aura plus d’autre choix que de soutenir celui qui fut autrefois son allié, avant qu’il ne choisisse de faire la course à la présidence contre les intérêts d’Ankara.
Si cela se produisait, cela serait mauvais pour le Maroc, un peu moins pour les Occidentaux, mais surtout désastreux pour les Libyens. Il faut rappeler que le mandat de Dbeibah est en théorie terminé. Aujourd’hui, seul un vide politique permet au Premier ministre son maintien.
Et pour fragiliser Dbeibah, al-Michri et Salah ont tout intérêt à trouver un plan pour la suite de la transition : un cadre légal faisant office de Constitution, une feuille de route claire pour les futures élections législatives et présidentielle, et le retour de la sécurité dans les régions où les milices se sont mobilisées pour prévenir les dégâts de l’élection qui n’a finalement pas eu lieu.
Une mission impossible ? Le doute est permis, surtout en l’absence de toute déclaration conjointe de la part des deux chefs du pouvoir législatif après leur rencontre. Un silence qui montre qu’aucun accord n’a pu être trouvé lors de l’escapade marocaine des deux Libyens. Peu rassurant pour la suite…