En attendant l’annonce du report de l’élection présidentielle libyenne du 24 décembre, le contrôle de la Libyan Oil Corporation (NOC) et la récupération de la fortune de Kadhafi à l’étranger sont les objectifs de ceux qui veulent prendre le contrôle du pays.
A trois jours de la date théorique de l’élection présidentielle libyenne, aucune annonce de report n’a encore été faite. Il ne saurait pourtant en être autrement. Reste désormais à savoir qui en fera l’annonce. Hier, un groupe de candidats a exigé que la Haute Commission électorale (HNEC) prenne elle-même la décision. Or, l’organe électoral estime n’avoir « aucun problème à tenir l’élection à la date prévue ». Une façon pour l’instance électorale de décliner toute responsabilité…
Avec la HNEC qui esquive tant bien que mal les attaques des médias, c’est désormais vers le sommet l’Etat que les regards se tournent aujourd’hui. Deux parties devraient assumer la responsabilité de l’annonce tant attendue : la première, les chefs des deux chambres parlementaires, Khaled al-Michri et Aguila Salah Issa, qui ne cessent de se quereller ; la seconde, le chef du Conseil présidentiel Mohammed el-Menfi, unique chef légal du pouvoir exécutif en Libye au-delà de la date du 24 décembre.
Pendant que tous retiennent leur souffle avant d’oser, enfin, annoncer le report de l’élection — ils craignent notamment l’après-24 décembre —, une autre guerre se prépare en coulisse. Au cœur du conflit libyen : l’argent. Plus particulièrement, le contrôle de la compagnie pétrolière nationale, la Libyan Oil Corporation (NOC). Mais tout le monde lorgne également sur une autre source d’argent. Avec une question qui taraude tout le monde : où est passée la fortune de Kadhafi père ?
Mustafa Sanallah, le dernier technocrate de Libye
La Libye détient les plus grandes réserves pétrolières d’Afrique, dont la majorité sont contrôlées par la NOC. Il ne s’agit pas d’une simple entreprise étatique. En effet, la NOC est considérée comme un organe souverain de l’Etat libyen. Elle gère plus de 80 % des exportations libyennes et génère plus de la moitié des recettes de l’Etat.
Depuis 2014, un ingénieur libyen, l’un des rares technocrates efficaces en Libye, Mustafa Sanallah, est à la tête de la NOC. Non seulement Sanallah a réussi en sept ans à multiplier la production pétrolière par cinq, de 230 000 barils par jour à 1,2 million, mais il a aussi trouvé un consensus entre les belligérants du croissant pétrolier sans sacrifier sa neutralité.
Dès sa nomination, d’ailleurs, Sanallah a d’ailleurs menacé publiquement l’envoyé spécial de l’ONU, Martin Kobler, qui cherchait à conclure une alliance avec le seigneur de guerre de Syrte, Ibrahim Jadhran, pour le contrôle du circuit pétrolier. Kobler, comme Jadhran, a été forcé de lever la main sur le dossier.
Aujourd’hui, Sanallah en est à son quatrième gouvernement. Le premier qui tente de le faire remplacer. La raison : une mesure datant de 2015, qui limite les revenus de la NOC contrôlés par l’Etat aux fonds bloqués pour les besoins des localités libyennes. De cette manière, Sanallah — qui n’est pas un politicien — voulait éviter qu’un responsable politique s’accapare des fonds pétroliers.
Rétrospectivement, la mesure semblait donc juste. Car les élections ont pris plus de sept ans de retard. La tenue du scrutin délimite, d’ailleurs, le mandat de Mustafa Sanallah.
Querelles intestines concernant les revenus du pétrole
En 2016, la NOC a été divisée en deux branches, afin de contenter les deux gouvernements parallèles, sans pour autant nuire au travail des installations pétrolières. Le pouvoir est toutefois toujours entre les mains de Sanallah. La première branche, sous le contrôle de Nagi al-Maghrabi, est rattachée à l’ANL de Khalifa Haftar, et s’occupe de la sécurité et du transport du brut vers les raffineries et les ports libyens. La seconde, basée à Tripoli, est sous le contrôle du ministre du Pétrole, Mohammed Oun, et sous-traite l’extraction et la transformation aux conseils tribaux et aux entreprises étrangères.
Seulement voilà, entre 2019 et février dernier, une partie du croissant pétrolier n’était plus sous le contrôle de la NOC. Et la libération de Syrte faisait partie de l’accord de cessez-le-feu de l’ONU entre Haftar et Tripoli. Aujourd’hui, cette partie est entièrement sous le contrôle du gouvernement d’unité nationale (GNU) d’Abdel Hamid Dbeibah. Avec le mandat du gouvernement qui touche à sa fin, la querelle entre Mohammed Oun et Mustafa Sanallah a été relancée.
En effet, en août dernier, le ministre Oun avait suspendu Sanallah de la direction de la NOC, jusqu’à ce que les tribunaux libyens, sous la pression américaine, ne le réintègrent en octobre en raison de la chute de la production. Mais après cet évènement, Sanallah a montré que la NOC était dépendante de lui et suscité l’intérêt des Américains. Dès son arrivée en Libye, la nouvelle cheffe par intérim de la MANUL, Stephanie Williams, a donc rencontré Sanallah, avant même de rendre visite aux politiciens. Tout un symbole.
Celui qui contrôle Sanallah est aujourd’hui celui qui contrôle le pétrole, les recettes de l’Etat et s’achète l’obéissance du gouvernement comme celui de l’ANL de Haftar.
La fortune de Kadhafi, un mystère
Les richesses du défunt « Guide de la révolution » Mouammar Kadhafi font également partie des enjeux financiers actuels. En Libye, la fortune de Kadhafi est en effet l’un des premiers enjeux de quiconque cherche à contrôler le pays après le 24 décembre.
Depuis juin dernier, le Premier ministre Abdel Hamid Dbeibah a attaqué ce dossier. A la clé, au moins 60 milliards de dollars selon les estimations de l’Autorité d’investissement libyenne (LIA). Une procédure judiciaire, à New York, vise le déblocage d’une partie de ces fonds par huit banques.
Seulement, avec les licenciements qui se succèdent à la tête de la LIA, et le manque de légitimité de Dbeibah — désormais candidat à la présidentielle — pour réclamer cet argent, tout le processus est menacé. Actuellement, trois personnes sont munies de mandats pour négocier le dégel de ces fonds : l’ancien directeur de la LIA, Ali Mahmoud Hassan, le directeur du Bureau de recouvrement et de gestion des avoirs (LARMO), Mohamed Ramadan, et son prédécesseur, Anwar Arif.
« Le magot de Kadhafi » sera une grande source de pouvoir pour tout responsable libyen qui mettrait la main dessus. Pour Dbeibah, qui a bâti son influence dans le pays sur les « cadeaux » qu’il offre aux responsables locaux et aux chefs des milices tripolitaines, c’est le seul moyen de rester au pouvoir.