Facebook — devenu Meta — et ses services, parmi lesquels WhatsApp, exploitent les données des utilisateurs africains, violant la confidentialité. Le géant du net est désormais en situation quasi monopolistique.
En janvier dernier, Facebook, la société mère de la plateforme de messagerie WhatsApp, annonçait des modifications de ses politiques de confidentialité. Des changements que le géant américain a réussi à imposer partout dans le monde, sauf en Occident. Et qui auront de réelles conséquences sur la sécurité des métadonnées des utilisateurs de WhatsApp. Après la colère des utilisateurs, Facebook a fini par suspendre les changements, avant de les faire passer en catimini l’été dernier.
Le partage des métadonnées de WhatsApp avec Facebook, et les tiers qui lui sont affiliés, n’a pas attiré l’attention du public autant qu’en janvier 2021. La raison ? WhatsApp applique les mesures à tous les utilisateurs, sauf aux ressortissants d’Amérique du Nord, d’Europe et du Royaume-Uni.
En Afrique, en revanche, c’est la saison de la chasse aux données personnelles des utilisateurs de WhatsApp. Par pure indifférence ou par manque de sensibilisation, aucune réaction n’a permis à l’Afrique de dénoncer ce procédé. Dans le reste du Grand Sud, des dizaines de milliers d’utilisateurs de WhatsApp ont migré vers d’autres applications de messagerie comme Signal ou Telegram.
Une migration d’autant plus importante et rapide pendant la panne de sept heures qu’ont connue Facebook et WhatsApp le 4 octobre dernier. Un spécialiste nous confirme que « Signal a enregistré 23 millions de nouveaux utilisateurs, alors que Telegram en a obtenu 70 millions rien que le 4 octobre 2021 ».
Une communication implacable
Si cette migration massive n’a pas ébranlé le monopole de Facebook et de WhatsApp — 2 milliards d’utilisateurs pour ce dernier —, les utilisateurs africains de WhatsApp sont déboussolés.
Avec l’entrée en vigueur des nouvelles conditions d’utilisation de WhatsApp, le service de messagerie a essayé d’amortir la nouvelle. WhatsApp a annoncé une gamme plus large de services aux entreprises, qui peuvent, par exemple, utiliser Facebook comme fournisseur de technologies pour discuter directement avec leurs clients.
En défendant ces changements pour répondre aux réactions négatives du public, Facebook a reconnu qu’il avait « mal communiqué » et que le public avait « mal compris ses véritables intentions ». Vraiment ? Sans honte, la société a affirmé que WhatsApp n’avait pas l’intention « de partager plus de données avec Facebook et avec des fournisseurs tiers qu’elle ne l’avait déjà fait ». Un aveu choquant.
Car si la déclaration se veut rassurante, elle admet des faits répréhensibles. Il semble que WhatsApp a également supprimé une section de sa politique de confidentialité internationale, bien avant cette polémique. Une section qui donnait aux utilisateurs le droit de refuser de partager des informations personnelles avec Facebook. Cette option figurait toujours dans la politique de confidentialité de l’application mobile WhatsApp, datée du 20 juillet.
Cependant, WhatsApp ne partagera pas de données de ses utilisateurs au Royaume-Uni, en Europe ou en Amérique du Nord en raison des lois de protection de la vie privée. Mais Facebook et WhatsApp profitent des vides législatifs dans le reste du monde, notamment en Afrique.
Que partagent vraiment Facebook et WhatsApp ?
Facebook a indiqué en septembre qu’il ne partagerait pas le contenu des messages WhatsApp. Les messages sont cryptés de bout en bout, ce qui signifie que ni WhatsApp ni Facebook n’ont accès à leur contenu. En contrepartie, ce que Facebook et WhatsApp partagent, ce sont des métadonnées ou des données sur les communications des utilisateurs, africains notamment.
Les métadonnées peuvent souvent en dire autant sur l’utilisateur que le contenu de ses messages, voire plus. Et l’utilisateur ne peut pas refuser ou faire marche arrière s’il ne vit pas au Royaume-Uni, en Amérique du Nord ou en Europe. Les métadonnées que WhatsApp collecte et partage incluent des informations d’enregistrement de compte, telles que le numéro de téléphone, et des informations sur tous les paiements et transactions financières effectués via WhatsApp.
Cela inclut également les contacts — Whatsapp prétend qu’ils ne seront pas « partagés automatiquement » —, les mises à jour de statuts, les informations d’utilisation et l’historique. Par exemple, le groupe sait désormais le moment où l’on utilise WhatsApp, le lieu et pendant combien de temps. WhatsApp et Facebook peuvent également partager des informations sur l’appareil et la connexion internet, y compris l’adresse MAC de certains appareils, le niveau de la batterie et les numéros d’identification uniques (IMEI) du téléphone.
WhatsApp manque de concurrence
Une mine d’informations que Whatsapp dit partager pour promouvoir l’intégration de ses produits Facebook et améliorer la publicité ciblée notamment. Ces changements exposent également le fait que même si l’on utilise uniquement WhatsApp, on doit effectuer des transactions avec Facebook. Depuis que Facebook a racheté WhatsApp, il essaie de trouver des moyens d’exploiter les synergies multiplateformes.
Dans le futur, les impacts de la monopolisation sont susceptibles de devenir plus manifestes, comme lorsque les services de messagerie Facebook, WhatsApp et Instagram sont intégrés. Une hypothèse confirmée par la panne de Facebook du 4 octobre dernier.
Mais alors que la concurrence évidente de WhatsApp — Telegram — avait récupéré des utilisateurs de WhatsApp déçus par la panne de ses services, Facebook est arrivé à la rescousse de WhatsApp. Une campagne de dénonciation des similitudes entre la politique de confidentialité de Telegram et de Whatsapp a débuté.
Signal, en contrepartie, s’est avéré être un adversaire plus délicat. L’introduction du cryptage de bout en bout par WhatsApp en 2016 était une tentative de conserver sa base d’utilisateurs de plus en plus soucieuse de la confidentialité. Cependant, comme Signal est construit sur une plateforme open source depuis ses débuts, WhatsApp, avec son infrastructure propriétaire, ne peut pas rivaliser en matière de confidentialité. WhatsApp a déclaré fin octobre « observer des changements majeurs » à sa politique de confidentialité. Des changements vers le mieux ou vers le pire ? A voir.
Que faire ?
Pourtant, la réalité est que Facebook ne respecte pas la vie privée des utilisateurs : cela est devenu clair lors de l’affaire Cambridge Analytica. WhatsApp va très probablement accélérer les changements vers un monopole plus manifeste de Facebook, sachant que Telegram et Signal ne menacent pas de façon imminente la taille de sa base d’utilisateurs.
En octobre 2020, une enquête judiciaire de la Chambre des États-Unis a conclu que Facebook exerce un pouvoir de monopole dans l’espace des médias sociaux. Notamment en rachetant ses concurrents, ou en débauchant chez eux lorsqu’il ne peut pas les racheter.
En décembre 2020, la Federal Trade Commission des Etats-Unis et 48 États et territoires ont engagé des poursuites judiciaires contre Facebook pour ce qu’ils considèrent être « un monopole illégal sur les réseaux sociaux ». Ils ont fait valoir qu’une action antitrust — pourvoi pour entrave à la concurrence — devrait aboutir à un démantèlement du groupe, l’obligeant à céder deux de ses succursales, Instagram et WhatsApp.
La plainte est toujours en cours, mais il n’y a que de minces chances de la voir aboutir. Le fait que les choses soient allées aussi loin est un échec réglementaire aux proportions étonnantes. Ces acquisitions auraient dû être bloquées par les Etats-Unis en premier lieu. Les régulateurs dans les régimes capitalistes sont censés protéger l’intérêt public contre les intérêts « commercialistes ».
En Afrique, le régulateur de l’information d’Afrique du Sud a écrit à Facebook pour exprimer ses inquiétudes quant aux changements proposés. Déclarant que : « Au vu de l’importance des modifications proposées à ses conditions de service, l’obtention du consentement de l’utilisateur pour la transmission d’informations personnelles à Facebook ne suffit pas. WhatsApp doit également obtenir le consentement du régulateur ». Le régulateur sud-africain s’est également opposé au fait que les Occidentaux bénéficient d’une protection de la vie privée plus élevée que les Sud-Africains.
De quoi freiner les abus de Facebook contre la vie privés de ses utilisateurs africains ? Rien n’est moins sûr.