En Gambie, en pleine campagne électorale, la Commission vérité, réconciliation et réparations, chargée d’enquêter sur les crimes commis par l’ancien président Yahya Jammeh et son régime, a rendu son rapport au président Adama Barrow.
C’est un rapport de 14 000 pages que la Commission vérité, réconciliation et réparations (TRRC) a remis au président Adama Barrow. Un véritable travail de fond qui recense les exactions commises par le régime du dictateur déchu Yahya Jammeh.
Un rapport qui appelle à des poursuites pour les abus commis à l’époque de l’ancien président gambien. Le document, remis au président actuel, qui brigue un deuxième mandat, livre tous les détails sur les centaines de meurtres, de viols et d’actes de torture commis durant les 22 années de pouvoir de Jammeh.
Les membres de la Commission ont entendu des témoins et récolté des preuves durant deux ans, et ont recommandé au gouvernement de poursuivre les responsables des crimes. La Commission n’a, cependant, pas dévoilé les conclusions ou les recommandations spécifiques faites à la présidence.
Après un premier report, le document a finalement été remis jeudi par la TRRC au président Barrow, neuf jours avant une élection présidentielle sur laquelle flotte encore l’ombre de Jammeh qui, depuis la Guinée équatoriale où il est exilé, a exhorté ses partisans à voter pour une coalition d’opposition.
Du pain béni pour le président qui avait essayé de tendre la main à l’ancien parti de Jammeh, l’APRC, en vue de l’élection présidentielle qui se tiendra le 4 décembre. Toutefois, l’accord entre le NPP d’Adama Barrow et l’APRC de Jammeh ne prévoyait pas de gracier l’ancien tyran.
Des témoignages qui font froid dans le dos
Près de 300 civils sont morts, dans des assassinats commandités par l’Etat ou par le président lui-même entre 1994 et 2017, a indiqué la TRRC. La Commission a recommandé que les « personnes qui ont la plus grande responsabilité dans les crimes » soient poursuivies, mais n’a, pour le moment, nommé personne. « Pardonner et oublier en toute impunité les violations et les abus, non seulement saperait la réconciliation, mais constituerait également une dissimulation massive et flagrante des crimes commis », a déclaré la TRRC dans un communiqué.
Jammeh, qui a fui vers la Guinée équatoriale après n’avoir pas accepté sa défaite face à Barrow lors de l’élection présidentielle de 2016, a précédemment nié les crimes qui lui sont imputés. Le rapport de la TRRC intervient après plus de deux ans d’audiences sur les crimes de l’ère Jammeh. Près de 400 témoins ont donné des preuves concernant des actes de torture commandités par l’État, des escadrons de la mort, des viols et des « chasses aux sorcières », souvent perpétrés par les « Junglers », comme on appelait les escadrons de la mort de Jammeh.
Plusieurs témoins ont même donné des détails sur l’implication personnelle de l’ancien dictateur. Malick Jatta, un lieutenant de l’armée proche de Jammeh, a déclaré que l’ancien président avait personnellement payé les membres de ses services de sécurité qui ont tué le rédacteur en chef du journal Deyda Hydara en 2004. Le sergent Omar Jallow a affirmé à la commission que, en 2005, Jammeh avait ordonné le meurtre de 59 migrants qui, selon le président de l’époque, étaient venus le renverser. Fatou Jallow, la gagnante de Miss Gambie 2014, a enfin assuré que Jammeh l’avait violée lorsqu’elle avait 19 ans.
Reed Brody, l’avocat principal des victimes de Jammeh, a déclaré dans un communiqué qu’« il ne fait aucun doute que Yahya Jammeh est en tête de liste des anciens responsables dont la TRRC recommande les poursuites ». Amnesty International a également écrit dans un communiqué que la Gambie devait poursuivre les commanditaires de ces exactions afin de garantir que « les violations des droits humains parrainées par l’État ne se reproduisent jamais ».
Yahya Jammeh : la grâce ou les poursuites ?
Ce rapport intervient en pleine campagne présidentielle en Gambie. Et alors que le président sortant, Adama Barrow, semblait déjà être l’ultime favori, ce rapport augmente davantage ses chances de victoire au scrutin du 4 décembre. « J’assure les victimes et leurs familles que mon gouvernement veillera à ce que justice soit rendue, mais je les exhorte à être patients et à laisser la procédure judiciaire suivre son cours », a déclaré Adama Barrow ce jeudi. Ecartant ainsi à demi-mots une grâce présidentielle.
Cependant, un souci se pose : même si Yahya Jammeh est reconnu coupable par la justice, la loi gambienne stipule qu’un ancien chef d’Etat ne peut être poursuivi que si les deux-tiers du Parlement approuvent la procédure. Une mission difficile pour Adama Barrow, qui a connu des dissensions au sein des rangs de son ancienne coalition, ce qui l’a d’ailleurs poussé à créer son propre parti politique.
Sans oublier que Jammeh conserve encore un nombre considérable de partisans en Gambie. Son influence a d’ailleurs été un enjeu clé de l’élection présidentielle du 4 décembre — la première depuis le départ du dictateur.