La nouvelle loi béninoise sur l’avortement prendra en considération la situation éducationnelle, professionnelle et matérielle de la femme, résume la chercheuse Ramatou Ouedraogo.
Le parlement béninois a voté pour légaliser l’avortement dans la plupart des cas. Il s’agit d’une initiative sans précédent de la part de ce pays d’Afrique de l’Ouest. En effet 92% des femmes en âge de procréer sur le continent vivant dans des pays qui imposent des restrictions – certaines modérées, d’autres sévères – à l’avortement. Moina Spooner, du Conversation Africa, a demandé à Ramatou Ouedraogo, experte en santé reproductive, d’expliquer la signification de cette décision.
Que dit la nouvelle loi béninoise sur l’avortement ?
La nouvelle loi sur l’avortement du Bénin, qui vient modifier une loi précédente, déclare maintenant que :
à la demande de la femme enceinte, l’interruption volontaire de grossesse peut être autorisée lorsque la grossesse est susceptible d’aggraver ou d’occasionner une situation de détresse matérielle, éducationnelle, professionnelle ou morale incompatible avec l’intérêt de la femme et/ou de l’enfant à naître… »
L’interruption volontaire de grossesse ne doit pas se produire après 12 semaines d’aménorrhée, c’est-à-dire l’absence de règles.
Avant cet amendement, une femme pouvait obtenir une interruption de grossesse si celle-ci mettait sa santé ou sa vie en danger, en cas de malformation fœtale, ou lorsque la grossesse résultait d’un inceste ou d’un viol. La nouvelle loi va au-delà et cherche à protéger l’éducation ou la carrière de la femme.
En 2017, seuls six des 53 pays africains autorisaient l’avortement à la demande de la femme au cours du premier trimestre de grossesse : le Cap-Vert, l’Afrique du Sud, la Tunisie, le Mozambique, São Tomé et Príncipe, ainsi que l’Angola (au cours des 10 semaines de gestation). La Zambie, comme le Bénin, prend en compte les justifications socio-économiques dans sa législation sur l’avortement.
La nouvelle loi béninoise permettra à un plus grand nombre de femmes d’avoir accès à un avortement sécurisé au cas où elles ne voudraient ou ne pourraient pas poursuivre leur grossesse.
Par exemple, une étudiante qui tombe enceinte et craint de devoir abandonner ses études peut demander l’interruption de sa grossesse afin d’avoir une chance de terminer son éducation. Des études précédentes ont montré que la poursuite des études est une justification courante chez les filles et les jeunes femmes qui mettent fin à leur grossesse.
Il en va de même pour une femme avec trois ou quatre enfants qu’elle a du mal à nourrir et qui estime que ses conditions financières et matérielles actuelles ne lui permettent pas d’en accueillir un autre.
La nouvelle loi permet à ces femmes de procéder à un avortement sécurisé, au lieu de recourir à des méthodes dangereuses ou au risque de leur vie.
Pourquoi le Bénin a-t-il pris cette position ?
Je pense que le Bénin a pris cette position principalement pour protéger et sauver la vie des femmes. C’est aussi le résultat d’une longue période d’actions de plaidoyer.
Comme on peut le constater un peu partout dans le monde, les lois n’empêchent pas nécessairement les femmes de recourir à des services d’avortement. Elles trouveront, au contraire, une méthode alternative clandestine, potentiellement mortelle. C’est le cas en particulier pour les femmes qui manquent de ressources et dont la situation économique est vulnérable. Cela s’explique par le fait que les femmes ayant plus de ressources financières, un niveau d’éducation plus élevé et un réseau solide sont plus à même d’accéder à un avortement sécurisé que celles ayant moins de ressources.
Bien qu’il n’y ait pas eu d’enquête nationale sur l’avortement dans le pays – pour évaluer le taux, le coût et les conséquences des avortements à risque – plusieurs études ont pu mettre en évidence le fardeau et les conséquences de ces avortements au niveau national. Le ministère de la Santé estime que 15 % des décès maternels dans le pays sont le résultat d’un avortement à risque. Et les données sur les complications liés aux avortements clandestins et les pratiques en matière de planification familiale montrent que les avortements à risque suivent une tendance à la hausse.
L’étude ethnographique en cours que le Centre de recherche sur la population et la santé en Afrique (où je travaille) mène au Bénin en collaboration avec Rutgers dans le cadre du programme « Sa santé, ses choix » arrive aux mêmes conclusions, à savoir, que les femmes et les filles sont désespérées et en arrivent à transgresser la loi.
Elles risquent la mort et la stigmatisation quand elles décident d’interrompre une grossesse qui menace leur vie et leurs moyens de subsistance. Par exemple, les travailleuses occasionnelles – telles que les employées de maison et les prostituées – ont indiqué que les grossesses non désirées pouvaient nuire à leurs activités professionnelles. Elles étaient obligées de cesser de travailler et ne disposait, par conséquent, d’aucun moyen de subsistance pour elles et leurs bébés.
Grâce à nos travaux, nous avons vu comment les organisations de la société civile, les agents de santé – tels que les gynécologues et les sages-femmes (qui rencontrent souvent des femmes en consultation médicale après un avortement à risque qui a mal tourné) – et les ONG internationales et nationales telles que l’(Association béninoise pour la promotion de la famille) sont engagés dans des actions, souvent discrètes et à long terme, de promotion et de plaidoyer des droits.
Ils ont utilisé leur expérience pour amener les parlementaires à reconnaître que les lois pro-choix sur l’avortement n’encourageront pas les femmes à recourir à une interruption de grossesse, mais sauveront plutôt la vie de celles qui chercheront à se faire avorter, quelles que soient les restrictions en place.
Cette approche est-elle comparable avec celles d’autres pays de la sous-région?
L’approche du Bénin est quelque peu avant-gardiste dans la région Afrique. Le Bénin va au-delà du Protocole de Maputo, qui a été l’objectif politique pour tous les États de la région, afin de :
protéger les droits reproductifs des femmes, particulièrement en autorisant l’avortement médicalisé, en cas d’agression sexuelle, de viol, d’inceste et lorsque la grossesse met en danger la santé mentale et physique de la mère ou la vie de la mère ou du fœtus.
La République démocratique du Congo a été le pays le plus progressiste de la région francophone en annonçant dans le journal officiel leur acte d’adhésion au protocole de Maputo dès 2018. La RDC mise à part, tous les autres pays sont encore dans le processus de plaidoyer pour mettre en application, à tout le moins, le Protocole de Maputo.
Cette évolution au Bénin montre que les décideurs africains sont capables et désireux d’élaborer des lois qui tiennent compte de la santé et des droits des femmes en matière de procréation.
Quels seront les effets de cette décision?
Il s’agit d’une mesure progressive en ce qui concerne la santé reproductive et les droits des femmes. Faire le choix de l’avortement a toujours été une décision difficile pour les femmes. D’après mon expérience, les femmes considèrent généralement l’interruption volontaire de grossesse comme un dernier recours. Il s’agit d’une expérience très difficile sur le plan émotionnel qui été aggravé par les restrictions légales.
Ce vote aura pour effet d’apporter du réconfort aux femmes dans leur prise de décision. Il va leur donner accès à des services de santé publics et privés permettant d’interrompre une grossesse en toute sécurité. Par accès, j’entends en matière de coût et de disponibilité, les procédures clandestines étant connues pour être coûteuses. D’un autre côté, les services passeront de l’anonymat à des services accessibles au public dans les établissements de santé. Dans certains cas, l’accès à un avortement sécurisé permet d’éviter les conséquences graves d’un avortement à risque.
Il est toutefois important de noter que le vote de la loi à lui seul ne suffit pas pour que les femmes aient accès aux services d’avortement médicalisé. Il y a beaucoup à faire, y compris l’élaboration de politiques pour la mise en œuvre de la loi, en collaboration avec les professionnels de la santé pour réduire le nombre de ceux susceptibles de refuser d’offrir de tels services en s’appuyant sur le droit à l’objection de conscience.
Ramatou Ouedraogo, Chercheuse associée, African Population and Health Research Center
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.