Après la Russie, la Turquie et la Chine, c’est au tour des Etats-Unis de ressusciter le Sommet USA-Afrique, dont la dernière édition remonte à 2014. Ces rencontres sont-elles devenues un moyen pour les puissances mondiales de tisser un lien avec le continent ?
Vendredi dernier, lors d’un discours à Abuja, au Nigéria, le secrétaire d’Etat américain Antony Blinken a annoncé la préparation d’un sommet de haut niveau regroupant l’administration américaine et les leaders africains. L’US-Africa Leaders Summit, dont la première et seule édition a eu lieu en 2014, s’est déroulée lors de la dernière année de présidence de Barack Obama.
Un sommet de haut niveau qui sert, sans le dire, à concurrencer les autres puissances étrangères qui ont fait de l’Afrique, pour certaines d’entre elles, leur terrain de jeu. C’est le cas de la France, qui a revu le format de son sommet Afrique-France en excluant les chefs d’Etat du programme, mais également de la Chine, de la Turquie ou de la Russie.
Antony Blinken a annoncé la tenue du sommet américain à la veille de son arrivée à Dakar, la capitale sénégalaise, qui accueillera dans les prochains jours le Forum de la Coopération Chine-Afrique (FOCAC). Le prochain sommet Russie-Afrique est, lui, pour le moment reporté. De son côté, la Turquie organisera le troisième sommet de partenariat Turquie-Afrique, à partir du 17 décembre.
De quoi ces sommets de coopération sont-ils le nom ? Et qu’ont à gagner les pays africains lors de ces événements ?
Les Etats-Unis, trop peu, trop tard
Pour les puissances mondiales, sortir l’artillerie lourde pour organiser ces sommets est une question d’image. Si les relations entre les pays africains et leurs anciennes colonies commencent à se fissurer, c’est une véritable opportunité pour de nouveaux partenaires. Il s’agit aussi, pour les Etats du continent, de mettre en avant leurs atouts pour attirer de nouveaux investisseurs. Et la tendance est au « win-win » : les puissances émergentes, à l’instar de la Chine, proposent des partenariats commerciaux sans s’ingérer dans la politique.
Il ne s’agit pas d’imposer la culture occidentale sur le continent, prévient Antony Blinken. Au Nigéria, « partout, les gens écoutent des afrobeats, ils lisent Wole Soyinka et Chimamanda Ngozi Adichie, ils regardent des films de Nollywood, ils encouragent les athlètes nigérians, ils mangent du riz jollof », résume le secrétaire d’Etat américain. Et les puissances étrangères ont tout intérêt à ne pas tenter d’effacer cela.
Reste que, côté américain, les investissements en Afrique sont encore timides. Notamment l’année dernière à cause de la pandémie de Covid-19. Les investissements directs étrangers (IDE) en Afrique ont en effet baissé de 16% en 2020, à 40 milliards de dollars.
En début d’année, le président nigérian Muhammadu buhari avait fait appel à l’aide militaire, économique et sanitaire américaine. La réponse américaine arrive donc avec neuf mois de retard, accompagnée d’un abstrait « accord d’aide au développement de 2,1 milliards de dollars qui soutient la collaboration dans la santé, l’éducation, l’agriculture et la bonne gouvernance ». Mais dans ce pays de 207 millions d’habitants — pour 440 milliards de dollars de PIB — cet accord n’est-il pas plus symbolique qu’autre chose ?
Le cas nigérian est un cas d’école. Ce pays jouit déjà d’une infrastructure fonctionnelle, la seconde meilleure pénétration d’internet sur le continent, etc. De plus, la démocratie y est solidement installée. Il s’agit désormais pour les Etats-Unis de tenter de signer d’autres partenariats, dans d’autres pays.
La Chine, indétrônable en Afrique ?
Les Etats-Unis sont-ils un rival crédible à la Chine en Afrique ? Au cours des neuf premiers mois de cette année, le volume du commerce chinois en Afrique a atteint un niveau record : 185,2 milliards de dollars, en hausse de 38,2 % par rapport à 2020. Les investissements directs de la Chine en Afrique dans tous les secteurs ont enregistré une hausse de 2,59 milliards de dollars, soit une augmentation de 9,9 %. La Chine dépasse ainsi de 3 % son propre record d’investissement direct en Afrique.
Et l’Empire du milieu ne s’arrête pas au simple commerce. Le pays de Xi Jinping a réussi à intégrer des marchés très convoités en Afrique : infrastructure — routes, hôpitaux, écoles —, nouvelles technologies de l’information (NTIC) à travers la téléphonie mobile, connexion satellite dans les pays enclavés… Et l’influence chinoise se manifeste également dans les secteurs des textiles, des hydrocarbures et de l’énergie. Une percée que la Chine doit parfois beaucoup à sa politique de la dette.
Lors du FOCAC, les entrepreneurs chinois arrivent donc forts d’un bilan très positif. Et, surtout, ils montrent que les relations sino-africaines n’ont fait que prendre de l’ampleur pendant la pandémie, là où les autres puissances sont, à demi-mots, accusées d’avoir « lâché » l’Afrique.
La réalpolitique en Afrique : Russie, France et Turquie
Pendant que les Etats-Unis et la Chine se livrent cette bataille économique en Afrique, les sommets français, turc et russe consacrés à l’Afrique s’appuient beaucoup plus sur la réalpolitique. Une réédition en bonne et due forme de la Guerre froide.
Cela fait des années que la France a été boutée hors de certains pays africains, francophones en l’occurrence, par la Russie et la Turquie mais aussi par les dirigeants africains eux-mêmes. Et si Paris poursuit sa conquête des ressources naturelles, en s’appuyant sur sa présence militaire dans les pays africains, ses deux concurrents ont adopté des stratégies différentes.
Pour la Russie, il s’agit principalement de l’autonomisation des forces armées des pays mal aimés par l’Occident. Et, depuis quelques années, Moscou soutient les pays africains « à problème » jusqu’aux plus hautes sphères diplomatiques. Moscou est aujourd’hui le premier, voire l’unique armurier de l’Ethiopie, de l’Algérie et de la République centrafricaine, et semble bien partie pour conquérir les marchés malien et angolais, entre autres.
Pour la Turquie, les mots d’ordre sont commerce et diplomatie. Ankara a raflé une grande partie du pré carré français, et européen en général, que ce soit en Afrique du Nord ou dans les pays de la Côte de l’Or.
Ainsi donc, les sommets de coopération organisés par la France, la Russie ou la Turquie tournent souvent en guerre de communication. Mais du côté des pays africains, certains se retrouvent tiraillés entre de vieilles alliances stériles et de nouvelles alliances, quitte parfois à échanger une puissance néocolonialiste par une autre.
Quoi qu’il en soit, les rencontres de haut niveau restent aujourd’hui une opportunité, pour les leaders africains, d’uniformiser leurs relations avec les puissances mondiales. Les relations internationales deviennent vitales pour améliorer une situation socio-économique qui ne cesse de se dégrader.