Des tonnes d’or, de rubis et d’autres pierres précieuses sortent chaque année illégalement du Mozambique. La justice tente de poursuivre les contrebandiers et les mineurs illégaux, et vise particulièrement les responsables de la société minière Gemfields, accusée d’être liée à ce pillage.
Il aura fallu trois ans, depuis le début de la guerre civile de Cabo Delgado, dans le nord du Mozambique, pour attirer l’attention de la communauté internationale sur la situation humanitaire désastreuse dans la région. Au lendemain de l’assaut du groupe terroriste al-shabaab, dans la province côtière de Palma, la réalité de la situation est apparue aux yeux du monde. Un coup de projecteur qui doit beaucoup à l’abandon du projet gazier de la major française Total, qui a coûté 20 milliards de dollars.
Si la présence de groupes terroristes dans la région mozambicaine ne fait aucun doute, l’Etat n’a pas hésité à instrumentaliser politiquement la situation. Si le Rwanda et les pays de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) n’étaient pas intervenus, l’Union européenne (UE) aurait sans aucun doute déployé ses propres troupes dans la région.
L’Etat mozambicain et ses alliés ont repris la main dans cette guerre contre le terrorisme. Et alors que les projets gaziers ont été stoppés net, l’activité des sociétés minières étrangères, elle, n’a fait que prospérer. Les majors ont profité, selon les habitants de la région, du black-out médiatique. L’Etat a décidé d’enquêter quant à la légalité des exportations massives de ressources comme l’or, le pétrole et les rubis. Sur le banc des accusés, des contrebandiers.
14 tonnes d’or et de rubis
En effet, le juge à la Cour suprême du Mozambique, Rafael Sebastiao, affirme vouloir « poursuivre les personnes impliquées dans des crimes de contrebande », même s’il y a, dit-il, « parfois un manque de preuves pour tenir les personnes impliquées dans la contrebande comme responsables ».
L’enquête en cours a permis de placer plusieurs villageois sur le banc des accusés. Une enquête qui se base, en grande partie, sur une étude datant de début novembre du think-tank suisse Global Initiative. Or, cette étude accuse ouvertement les populations déplacées de la totalité des crimes. Dans les faits, pourtant, c’est une entreprise britannique, Gemfields, qui a opéré la totalité des exportations d’or et de rubis du nord mozambicain.
Les chiffres sont faramineux : 14 tonnes d’or, de rubis et d’autres pierres précieuses ont été exportées depuis le nord mozambicain depuis le début de l’année 2021. Tant et si bien que les rubis mozambicains représentent, cette année, 40 % des exportations totales de rubis dans le monde !
Mais alors que les sites miniers se situent à Cabo Delgado, à Niassa et à Manica, comment se fait-il que les activités de Gemfields n’aient pas subi de ralentissement malgré la guerre ?
Gemfields dans la légalité ?
Pour l’un des mineurs illégaux poursuivis, les villageois déplacés font office de boucs émissaires. « Les dirigeants n’offriraient pas les richesses du pays aux étrangers s’ils ne voulaient pas que leur peuple souffre », déclare-t-il au média Spoutnik. « Nous échangeons de l’or et des rubis avec les gardes des sites miniers contre de la nourriture, nous n’avons pas d’autres choix », poursuit un jeune homme de la région qui ajoute que « cela ne les empêche pas de nous brutaliser et de nous chasser de nos villages ».
L’insurrection des membres d’al-shabaab — et des Forces démocratiques alliées (ADF), si l’on en croit l’Etat mozambicain — s’est renforcée dans la région de Cabo Delgado au Mozambique depuis plusieurs années. Selon UN News, au moins 730 000 personnes à Cabo Delgado ont perdu l’accès à leurs terres et n’ont aucun moyen de gagner leur vie à cause de la rébellion.
Aujourd’hui, avec une majorité des régions du nord libérées du joug des insurgés et des terroristes, ces mêmes personnes déplacées se retrouvent dans le collimateur de la justice. Or, Gemfields, qui a grandement profité de la guerre, ne semble pas inquiétée par la justice. Du côté du ministère mozambicain des Ressources minières, Gemfields serait « dans son droit », jouissant d’un contrat d’exclusivité sur les exportations de plusieurs ressources minières au Mozambique.