L’intérêt manifesté par l’ancien président Laurent Gbagbo pour la création d’un nouveau parti donne la possibilité de ré-imaginer la politique d’opposition en Côte d’Ivoire.
Début août, l’ancien président de la Côte d’Ivoire, Laurent Gbagbo, a émis l’idée de créer un nouveau parti politique. Les commentaires de Gbagbo ont été faits lors de son retour en Côte d’Ivoire le 26 juin, après avoir été traduit en justice devant la Cour pénale internationale pendant près de 10 ans.
En juillet 2019, la Cour l’a acquitté des accusations de crimes contre l’humanité, y compris de meurtres, de viols et d’« autres actes inhumains » commis pendant les violences postélectorales de 2010-2011.
Le retour de Gbagbo a été scellé lorsque la chambre d’appel de la Cour a confirmé son acquittement en mars 2021. Le président Alassane Ouattara lui a alors accordé un passeport diplomatique.
L’annonce de Gbagbo confirme son désir d’influer sur la politique dans un pays où l’opposition est divisée et où le président est critiqué pour son troisième mandat.
La perspective de voir surgir un nouveau parti politique avec la bénédiction de Gbagbo pourrait unifier l’opposition et constituer un redoutable défi pour Ouattara et sa coalition au pouvoir. Ce qui pourrait donner un regain d’intérêt pour la participation politique qui a regressé avec les défaites et les boycotts successifs de l’opposition.
Les principaux partis
Il y a trois principaux partis politiques en Côte d’Ivoire : le Front populaire ivoirien, le Rassemblement des Républicains de Ouattara et son partenaire de coalition, le Parti démocratique de la Côte d’Ivoire – Rassemblement démocratique africain.
Dans les années 1990, sous Gbagbo, le Front populaire ivoirien était le principal parti d’opposition. Après le coup d’État militaire de 1999 et le gouvernement de transition présidé par le général Robert Guéï, la puissance du parti de Gbagbo et le manque d’alternatives ont permis à celui-ci de remporter l’élection présidentielle de 2000.
Le Front populaire ivoirien a gouverné jusqu’aux élections présidentielles contestées de 2010. Les résultats du second tour de l’élection, rejetés par Gbagbo, ont été à l’origine du conflit.
Lorsque le parti était au pouvoir, des divergences internes sont apparues sur la politique à mener et sur la manière de traiter les rebelles pendant la guerre civile qui a éclaté en 2002. Certains membres souhaitaient que la Côte d’Ivoire prenne ses distances vis-à-vis de la France, tandis que d’autres se montraient plus conciliants ; certains voulaient négocier un accord avec les rebelles, tandis que d’autres cherchaient à gagner la guerre militairement.
Lors des élections de 2010, les divisions se sont accentuées. Les partisans de la ligne dure proches de Gbagbo ont insisté pour qu’il tienne bon et refuse de transférer le pouvoir à Ouattara. D’autres membres du parti affirment qu’ils avaient exprimé leur soutien à un gouvernement de partage du pouvoir comme au Kenya et au Zimbabwe.
L’arrestation de Gbagbo
Le désaccord le plus important entre les dirigeants du parti portait sur la façon de gérer le statut de Gbagbo au sein du parti après son arrestation et son inculpation par la Cour pénale internationale. Certains dirigeants ont exhorté le parti à éviter de mener des activités politiques sans la présence de son porte-étendard, Gbagbo, car ils pensaient qu’il reviendrait au pays et reprendrait sa place sur le plan politique.
D’autres, quant à eux, ont cherché à poursuivre les activités et à remplacer Gbagbo à la tête du parti. Pascal Affi N’Guessan, ancien premier ministre dans les années 2000, est ainsi devenu le chef du parti, mais il s’est heurté à la résistance des alliés de Gbagbo.
Contrairement à ce dernier, N’Guessan n’était pas un homme politique populaire dans son parti. Gbagbo et ses alliés ont déclaré que N’Guessan prenait le Front populaire ivoirien « en otage, foulant aux pieds des années de sacrifice de militants et de militantes du parti ».
Sous la direction de N’Guessan, le parti n’a pas réussi à obtenir une audience et une influence politique d’envergure. Bien que de nombreux petits partis d’opposition aient boycotté les élections de 2015, N’Guessan a obtenu un faible score de 9,3 % des voix contre 83,7 % pour Ouattara. Le premier a, par la suite, été autorisé à se présenter aux élections de 2020, tandis que Gbagbo en a été exclu à cause de la procédure judiciaire en cours. Les partis d’opposition, dont celui de N’Guessan, ayant boycotté les élections de 2020, Ouattara a obtenu un troisième mandat sans adversaires.
Vacance du pouvoir
Le boycott met en évidence le vide laissé par l’opposition depuis l’élection contestée de 2010. Selon les fidèles de Gbagbo, ce vide ne peut être comblé que par lui. Ce débat reflète des tendances plus lourdes par rapport à la place qu’occupent les partis politiques ivoiriens. Au cours des cinq dernières années, la reconfiguration a évolué, 57 % des Ivoiriens indiquant ne pas se sentir proches d’un parti politique.
Les citoyens sont, par ailleurs, de plus en plus critiques à l’égard des partis au pouvoir et de l’opposition. La confiance dans les partis au pouvoir, nettement inférieure à 50 %, a chuté à 41 % en 2019 et la confiance dans les partis d’opposition a largement stagné pendant l’absence de Gbagbo.
Même si la confiance en Ouattara est légèrement en deça de 50%, le parti au pouvoir ne se montre vraiment pas à la hauteur des attentes.
Ces dernières années, la reconfiguration se manifeste également dans les préférences électorales des citoyens. Le soutien au Rassemblement des Républicains de Ouattara s’est réduit au fur et à mesure que ce dernier a ficelé des alliances politiques sous la bannière du Rassemblement des Houphouëtistes pour la Démocratie et la Paix, qu’il a mis en avant pour les élections. Les partis d’opposition ont stagné, le Front populaire ivoirien n’ayant reçu que 12 % des soutiens autoproclamés selon l’enquête Afrobaromètre de 2019.
Cette reconfiguration donne aux nouveaux mouvements et personnalités politiques (ou d’anciennes personnalités qui s’inventent une nouvelle virginité) l’opportunité d’attirer les électeurs désabusés. Ces dernières années, au moins un cinquième des Ivoiriens ont déclaré qu’ils ne voteraient pas et un sur dix a indiqué qu’il ne savait pas pour qui voter.
Cette désaffection qui ne s’est pas encore traduit sous forme de mouvement d’opposition cohérent continue probablement de contribuer à l’apathie actuelle. De plus, il y a un décalage entre le rejet d’un troisième mandat présidentiel et la réalité du troisième mandat en cours de Ouattara, et Gbagbo cherche à exploiter ce mécontentement.
Perspectives d’un nouveau parti
L’intérêt manifesté par Gbagbo pour la création d’un nouveau parti donne la possibilité de réinventer l’opposition politique dans le pays et de forger de nouvelles alliances. N’Guessan et ses alliés insistent sur le fait que toute prise de contrôle du Front Populaire Ivoirien par Gbagbo serait illégale et emblématique d’une politique autocratique.
Il n’est pas certain qu’un parti soutenu par Gbagbo s’en sortirait mieux que le Front Populaire Ivoirien. Toutefois, avec le retrait ultime de Ouattara de la scène politique et le mécontentement croissant, le retour de Gbagbo en politique pourrait conduire à une plus grande participation politique.
Une autre éventualité est que le retour de Gbagbo contribuerait à intensifier les récents efforts accomplis par les pays francophones pour réévaluer leur relation avec la France et nouer de nouvelles relations continentales, comme en témoigne le récent voyage de Gbagbo en République démocratique du Congo.
Peter Penar, directeur du Leaders of Africa Institute and Research Affiliate with Davidson College, Davidson College
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.