Mamady Doumbouya, commandant du Groupe des forces spéciales (GPS), a renversé ce dimanche le président guinéen Alpha Condé. Qui est-il et quels sont ses objectifs ?
De cadet à l’Ecole de guerre à caporal dans la Légion étrangère française, Mamady Doumbouya a eu un parcours pour le moins original. C’est le 28 septembre 2018, à l’occasion du défilé des forces armées de Guinée, que l’on aperçoit pour la première fois le commandant, tout juste nommé, du Groupe des forces spéciales (GPS). Dès lors, la presse guinéenne s’intéressera à cet homme et tentera de comprendre le passé de Mamady Doumbouya. Car en Guinée, peu comprennent la place qui lui a été conférée au sein de l’armée.
Trois ans plus tard, c’est ce même homme qui a renversé le chef de l’Etat guinéen. Alors qu’Alpha Condé a été arrêté par des hommes armés, Mamady Doumbouya s’adresse aux Guinéens. Il déplore « la situation socio-politique et économique du pays, le dysfonctionnement des institutions républicaines, l’instrumentalisation de la justice, le piétinement des droits des citoyens, l’irrespect des principes démocratiques ».
L’armée républicaine de Guinée devient « le Comité National du Rassemblement et du Développement (CNRD) » et décide de « prendre ses responsabilités vis-à-vis du peuple souverain de Guinée ». Mamady Doumbouya affirme « avoir ‘pris’ le président » et « décidé de dissoudre la Constitution en vigueur, les institutions, le gouvernement, et la fermeture des frontières terrestres et aériennes ».
« Prendre » Alpha Condé et gouverner la Guinée ?
Un discours assumé, donc. La première déclaration du putschiste guinéen pose le cadre des opérations. Le commandant Mamady Doumbouya, dont l’ascension a été aussi rapide que sa disgrâce, peut se targuer d’avoir réalisé un coup d’Etat rapide : il ne lui aura fallu que quatre heures. Reste à savoir si « prendre » le président Alpha Condé équivaut à tenir la Guinée ?
Rien n’est moins sûr. Car le pays, lourdement endetté, au point d’appliquer des mesures invivables dictées par les instances financières, est plongé dans une crise socio-économique autant que politique. Le règne d’Alpha Condé a exaspéré les populations guinéennes. Et sa réélection pour un troisième mandat a une nouvelle fois attisé l’opposition politique. L’opposition civile, elle, déjà divisée, s’est écroulée sous la répression de l’Etat. Des dizaines de morts et des centaines de prisonniers.
L’étrange parcours de Mamady Doumbouya
Originaire de Haute-Guinée, de la région de Kankan, le caporal Mamady Doumbouya a suivi une formation d’officier à l’Ecole de guerre dans le cadre de la coopération militaire entre la Guinée et la France. Après deux ans d’académie militaire à Saumur, dans l’est français, il suit une formation à l’Académie de Sécurité Internationale (ISA) à Haïfa, en Israël. De retour en France, il commence un cursus de défense et dynamiques industrielles à Paris, à l’Université d’Assas.
A la fin de cette formation d’officier, Mamady Doumbouya fait un choix étrange : celui de rejoindre la Légion étrangère française. Un choix très rare pour un officier diplômé. Simple caporal, il fait ses armes en Afghanistan, en Côte d’Ivoire, à Djibouti et en République centrafricaine (RCA). Il suit aussi, lors de son parcours de légionnaire, une formation de commandant au Sénégal, et une formation d’officier d’état-major au Gabon. En février 2018, la Légion étrangère ne renouvelle pas son contrat. La nationalité française lui aurait été refusée pour sa « conduite contraire aux principes et valeurs de la Légion étrangère », rapporte la presse guinéenne. Il quitte la légion étrangère simple caporal, mais muni d’un pedigree digne d’un colonel.
Rappelé en Guinée par l’armée, il est désigné instructeur commando par l’état-major. Puis, il est à la surprise générale nommé commandant du GPS, la fine fleur de l’armée guinéenne, en juin 2018. La presse d’opposition impute à Mamady Doumbouya d’être impliqué dans la répression des manifestations en 2020. Et des rumeurs circulent sur un enrichissement illicite et une tendance – typique pour les officiers de l’armée guinéenne – à l’abus de pouvoir.
Quel futur pour le coup d’Etat de Mamady Doumbouya ?
En mai 2021, un différend oppose Mamady Doumbouya et le ministère de la Défense. Le commandant du GPS estime que son unité ne devrait plus dépendre du ministère. Depuis, l’état-major et le gouvernement observent Doumbouya d’un œil méfiant. Des rumeurs infondées de son arrestation avaient circulé il y a plusieurs mois. Aujourd’hui geôlier d’Alpha Condé, Mamady Doumbouya a accompli un coup d’Etat rapide. Si son premier discours invite l’armée à rejoindre les putschistes, la communauté internationale a d’ores et déjà demandé la libération d’Alpha Condé.
Le Secrétaire général des Nations unies, António Guterres, a annoncé : « Je condamne fermement toute prise du pouvoir par la force et appelle à la libération immédiate du président Alpha Condé ». Le président de l’Union africaine, Félix Tshisekedi, ainsi que le président de sa commission Moussa Faki Mahamat ont aussi condamné le coup d’Etat de Doumbouya.
Communiqué conjoint du président en exercise de l’Union africaine & le président de la Commission de l’UA @AUC_MoussaFaki sur le coup d’État en #Guinée @ https://t.co/EtbonOhUEI pic.twitter.com/F9apNaDSvG
— African Union (@_AfricanUnion) September 5, 2021
Du côté de la Cedeao, le président en exercice, le chef d’Etat ghanéen Nana Akufo-Addo, a lancé une consultation avec ses homologues ouest-africains. Selon un communiqué publié dans la soirée de ce dimanche 5 septembre, les chefs d’Etats de la Cedeao exigent la libération du président guinéen et condamnent le coup d’Etat. Selon Africa Intelligence, les chefs d’Etats de la Cedeao considèreraient un éventuel retour au pouvoir du président renversé « extrêmement hypothétique » et agiront donc en conséquence. Néanmoins, le communiqué « exige le retour à l’ordre constitutionnel sous peine de sanctions ».
Une réunion des chefs d’Etats aura lieu à Accra, idéalement le 7 septembre, mais au plus tard le 9 septembre. La désignation d’un envoyé spécial de la Cedeao serait en cours d’étude et il est probable que les putschistes de la CNRD soient soumis à des sanctions.
Dans une déclaration de Mamady Doumbaya en 2018, à l’occasion d’un colloque organisé par la Légion étrangère, il estimait que « les Blancs détiennent un pouvoir inaccessible pour nous. Par exemple, j’ai demandé l’année dernière des munitions pour entraîner mes troupes au tir, mais ne les ai jamais reçues parce que mes dirigeants craignent que je m’en serve pour provoquer un coup d’Etat ». Une crainte finalement fondée…
I am personally following the situation in Guinea very closely. I strongly condemn any takeover of the government by force of the gun and call for the immediate release of President Alpha Conde.
— António Guterres (@antonioguterres) September 5, 2021