La feuille de route du Mali pour une paix durable ne va pas assez loin en dépit de ses objectifs louables, estime le professeur américain Stephen L. Esquith.
Avant le coup d’État militaire de 2012, le Mali était cité en exemple pour sa transition vers la démocratie, en Afrique de l’Ouest. Ce n’est plus le cas.
Les Maliens sont pris en tenailles entre le lourd héritage d’un passé colonial, une économie politique mondiale qui les a appauvris, un gouvernement avec des dysfonctionnements, de violents conflits interethniques et des attaques lancées par des terroristes et par leurs propres forces armées. Ce pays est considéré comme l’épicentre d’une région réputée pour sa violence. Il n’est donc pas étonnant que les perspectives pour la paix et la sécurité humaine au Mali soient devenues si sombres.
En 2020, alors que les violences djihadistes et interethniques s’intensifiaient, le soutien au président malien, Ibrahim Boubacar Keita, s’est effrité. Et ce, en dépit du fait qu’il avait été élu à une large majorité en 2013 et réélu cinq ans plus tard. En août 2020, à l’approche des élections, il a démissionné après avoir été arrêté lors d’un coup d’État militaire.
Puis, en mai 2021, le pays a connu son deuxième coup d’État en neuf mois ; cette fois, perpétré par certains dirigeants de la direction de transition elle-même, au motif que le gouvernement de transition ne respectait pas sa propre charte. Quelques semaines plus tôt, un ancien chef rebelle qui avait pris part au processus de paix, avait été assassiné.
Des groupes violents, dont ceux liés à Al-Qaïda et à l’État islamique, lancent fréquemment des attaques dans le nord, le centre et l’est du Mali, et leur présence est de plus en plus notable dans le sud du pays et au-delà des frontières.
C’est dans ce contexte que le Premier ministre malien, Choguel Kokalla Maïga, a annoncé au Conseil national de transition au pouvoir, l’élaboration d’un plan d’action gouvernemental pour préparer les élections présidentielles et législatives, respectivement en février et en mars 2022. Ce plan a été rapidement approuvé par le Conseil en place.
Le plan en question comprend les contributions de 25 départements ministériels sous la présidence du Premier ministre, avec le soutien du Programme des Nations Unies pour le développement.
Les éléments fondamentaux du plan sont répartis en quatre catégories : renforcement de la sécurité nationale, conduite des réformes institutionnelles, tenue des élections et promotion de la bonne gouvernance. Ces domaines essentiels doivent être pris en charge pour accroître la confiance dans le processus de paix mis en place par les Accords de paix d’Alger de 2015 qui ont abouti à un cessez-le-feu partiel dans certaines parties du pays.
À mon avis, il est peu probable ce plan va permettre d’atténuer le conflit armé et de réformer les institutions de manière satisfaisante pour atteindre ainsi ses objectifs. Il ne mènera à une paix plus durable que s’il est plus inclusif et s’il parvient à associer ce qu’une professeure de résolution des conflits, Pamina Firchow, décrit comme la paix au quotidien au niveau local avec les mesures visant à assurer la sécurité nationale.
Pour autant, cela ne signifie pas que ce plan doit être ignoré ou contrecarré. Cela signifie plutôt qu’il doit être approfondi pour la poursuite de ses objectifs.
Renforcer la sécurité nationale
Il s’agit de l’élément central du plan. Le Premier ministre a loué les efforts des forces armées maliennes en ce qui concerne le maintien de la paix et a souligné la nécessité de répondre aux attaques terroristes, en particulier dans les régions du nord et du centre du pays.
Le plan prévoit, néanmoins, de mieux former et de mieux équiper les militaires. Parallèlement, il contient un engagement à démilitariser le pays, à réorganiser la production économique en dehors des objectifs militaires, et à réintégrer les anciens combattants étatiques ou non étatiques dans l’économie civile en leur offrant une formation professionnelle et des possibilités d’emploi.
Pour mener à bien ces plans sur la sécurité, le gouvernement promet de rendre les accords de paix d’Alger de 2015 plus inclusifs.
Une façon d’y parvenir serait d’intégrer certains des groupes armés non étatiques dans l’armée nationale, afin de mieux protéger les communautés locales de la violence criminelle et des insurgés intransigeants. Cela permettrait de faire régner une sorte de paix au quotidien qui fait actuellement défaut sur les marchés, dans les écoles et dans les quartiers.
Pourtant, le plan ne va pas aussi loin.
Réformes politiques et institutionnelles
Un certain nombre de réunions ont eu lieu, à cet effet, ces dernières années. En se référant aux recommandations issues de ces forums, le plan prévoit une série de rencontres nationales qui donneront la parole, sans censure, à tous les citoyens, à partir du niveau local à l’échelon national.
Le Premier ministre a donné l’assurance que les recommandations issues de ces rencontres seront applicables pendant les six mois restants de la période de transition et ultérieurement.
Selon le Premier ministre, il existe
…un besoin urgent de réformes pour rénover non seulement le cadre politique et pour adapter les textes fondamentaux de la République, mais aussi pour doter notre pays d’institutions fortes et légitimes qui contribueront à une stabilité politique et une paix sociale durables.
En tant que tel, ce langage est peu convaincant venant de lui. Il a manifesté très peu d’intérêt pour la démocratie, locale ou nationale, tout au long de sa carrière, à commencer par son alliance à ses débuts avec l’ancien dirigeant autoritaire Moussa Traoré.
Des élections générales
Le plan d’action prévoit des « élections générales transparentes, crédibles et inclusives » pour permettre au Mali de revenir à un « ordre constitutionnel normal ». Ce plan met l’accent, en particulier, sur l’inclusion des réfugiés et des personnes déplacées. Pour ce faire, un organe unique de gestion des élections sera créé pour garantir des élections élections libres et régulières.
Bien qu’il s’agisse d’un objectif fort souhaitable, les mécanismes permettant d’organiser de telles élections n’existent pas. Alors, penser qu’ils pourraient être créés en si peu de temps n’est pas réaliste.
On peut même se demander si le Président et le Premier ministre ne préparent tout simplement pas le terrain pour une prolongation de la charte de 18 mois pour le gouvernement de transition et pour leurs rôles futurs de leaders au sein de celui-ci.
Une bonne gouvernance et un pacte de stabilité
Pour éradiquer la corruption, le plan prévoit une « conférence sociale » qui donnera naissance à un nouveau « pacte de stabilité sociale ». Celui-ci va servir de base de base au nouveau contrat social entre les citoyens et le gouvernement qui va « améliorer les conditions de vie des populations et assurera une répartition équitable des richesses nationales ».
En recourant à des négociations et à des compromis, la conférence s’attaquera aux causes profondes de la violence et des inégalités, et pas seulement à leurs symptômes. Des fonds largement suffisants seront alloués aux « services sociaux de base », tels que la santé et l’éducation, et serviront à « harmoniser » les salaires de la fonction publique.
Cet objectif est également louable, quoique vague. Il ne tient, pourtant, pas compte du fait que la forte dépendance à l’égard de l’aide étrangère peut entraîner la rupture des relations entre les citoyens et l’État, remplaçant alors la loyauté politique par le clientélisme.
Un autre silence tout aussi révélateur est l’absence de toute mention du travail accompli par la Commission verité, justice et réconciliation du Mali qui a interrogé des réfugiés et des personnes déplacées au cours des cinq dernières années, afin de préparer le terrain pour des réparations.
Depuis 2004, je participe au processus de consolidation de la paix, en travaillant avec des enseignants, des artistes et des militants maliens, afin de préparer des cours de consolidation de la paix de niveau universitaire et des programmes communautaires dans le pays. Notre équipe travaille, depuis 2016, avec cette Commission pour diffuser des informations sur les causes et les conséquences de la violence armée au Mali et pour créer des supports destinés à préparer les citoyens aux dialogues locaux de consolidation de la paix.
Le plan aurait, au moins, dû faire référence au travail de la Commission, en particulier à son engagement auprès des réfugiés et des personnes déplacées à l’intérieur du pays.
Conclusion
Même si la confiance dans l’accord de paix de 2015 et dans le gouvernement provisoire de 2020 a faibli, de nombreux Maliens préfèrent encore la démocratie au parti unique et au régime militaire. C’est un signe encourageant.
Il y a encore, certes, beaucoup à faire avant qu’un nouveau gouvernement puisse être élu. Les généralités du plan d’action peuvent permettre au Président et au Premier ministre de prolonger la transition, mais c’est peut être la seule brèche. De nouvelles élections dans les circonstances actuelles pourraient contribuer à accroître la frustration sur le plan politique et conduire à une recrudescence de la violence interethnique et une présence terroriste accrue dans la région, avec le Mali comme épicentre.
Stephen L. Esquith, Professeur de théorie politique et d’éthique mondiale, Michigan State University
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.