Les Africains s’intéressent de plus en plus à la science-fiction. Littérature, cinéma, streaming… Le continent mise sur ses propres auteurs pour donner ses lettres de noblesse à la « Sci-Fi » africaine.
« L’africafantastika continue de prospérer ». Comprenez la science-fiction a encore de beaux jours devant elle en Afrique. Le constat, fait par le critique littéraire et cinématographique Mark Bould et datant de 2018, est encore vrai aujourd’hui. A l’époque, Mark Bould mettait en exergue la multiplication des œuvres littéraires et cinématographique « Sci-Fi » créées par des auteurs, des réalisateurs et des dessinateurs africains. Une tendance qui s’est amplifiée ces dernières années. C’est surtout à partir de 2008 que la science-fiction a commencé à trouver son public en Afrique, pour devenir l’un des genres préférés des jeunes Africains. A quoi est dû ce phénomène ?
Alors que l’on pouvait compter, à la fin des années 1990, les œuvres africaines de science-fiction sur les doigts d’une main, le secteur a littéralement explosé ces derniers temps : des centaines d’œuvres écrites par des Africains sont publiées chaque année depuis 2010. Du roman d’horreur et de science-fiction afro-futuriste « Binti », de la Nigériane Nnedimma Okorafor, à « Zoo City », de la romancière sud-africaine Lauren Beukes, les succès continentaux sont désormais nombreux. Lauren Beukes a d’ailleurs remporté plusieurs prix internationaux pour son roman d’inspiration cyberpunk, qui s’est vendu à des centaines de milliers d’exemplaires en Afrique, mais aussi en Europe.
Et si la « Sci-Fi » connaît un tel succès aujourd’hui, c’est aussi en partie grâce à un outil qui, il y a quelques années encore, n’était que science-fiction en Afrique : les ventes en ligne. En Afrique du Sud, au Kenya, au Nigéria ou au Rwanda, le e-commerce a permis à la « Sci-Fi » de trouver son public, assure Lauren Beukes. L’industrialisation et les initiatives culturelles, ainsi que la promotion de certains best-sellers, ont également permis à la science-fiction de connaître un succès grandissant.
Remote Control by @Nnedi. A quality story with an interesting take by a writer that knows how to make her characters pop. If you enjoy Okorafor, I would highly suggest reading this as it will do all the things you want and do it in a new story you haven't seen before.
— Ben, but really just Yojimbo's owner (@BenReadsSFF) August 7, 2021
La science-fiction africaine, un genre à part
Au-delà du succès général de la « Sci-Fi », le genre s’est, ces derniers temps, africanisé. La littérature de science-fiction africaine a emprunté les codes de « l’american short fiction », de courtes fictions américaines, mais a aussi ses propres spécificités : la science-fiction africaine est en effet beaucoup plus réaliste, ajoutant du vécu à l’imaginaire. Cette « fiction spéculative » permet aux lecteurs africains d’imaginer l’avenir, de sortir de la réalité pour s’évader. Sans pour autant oublier les spécificités qui font l’Afrique. Cet « afroptimisme », qui se manifeste dans la littérature « Sci-Fi », donne au genre tout son piquant. De quoi attirer les lecteurs sur le continent, mais également les diasporas et les Afro-descendants américains.
Et à la qualité vient s’ajouter une promotion médiatique qui impacte les ventes : la science-fiction africaine intéresse les spécialistes, mais également les producteurs. Depuis 2014, Omenana, un magazine de fiction panafricain, ne cesse de recruter de nouveaux lecteurs. La « Sci-Fi » africaine se décline même sur les écrans : en 2022, les romans « Binti » de Nnedimma Okorafor et « The Shining Girls » de Lauren Bukes seront adaptés en séries télévisées. Depuis le succès de « Black Panther » en 2018, le public se passionne pour la science-fiction africaine, qui mêle habilement fantastique et problématiques sociales, comme les relations entre l’Afrique et le monde occidental. Le royaume mis en scène dans le film, Wakanda, représenterait selon les critiques « l’Afrique sans colonialisme occidental ».
(white guy who put “blm.” in his instagram bio 30 minutes ago voice) my favorite mcu movie is black panther because i loved learning about african history and culture. honestly i’d watch a movie of just that, it’s way more interesting than the fighting. can i say it yet
— hot tub foot (@amateurparkour) August 2, 2021
Les Africains veulent leur propre science-fiction
Le cinéaste et écrivain ougandais, Dilman Dila, estime de son côté que la science-fiction africaine n’est pas inspirée par l’Occident. Il considère que l’Afrique a « des traditions orales et des univers mythologiques riches, ainsi que des aspirations différentes de celles des Occidentaux », qui permettent d’éviter de devoir se baser sur les œuvres venues d’Europe ou des Etats-Unis. « Certes, certaines histoires sont inspirées des films et des livres occidentaux populaires, nous ne pouvons pas ignorer cette influence, ce serait de l’hypocrisie », poursuit-il, avant d’inviter les lecteurs à dépasser les impressions des premières pages des romans de « Sci-Fi » pour voir que les auteurs africains ont créé leurs propres mondes, leurs propres personnages… et leur propre futur.
Dilman Dila a fait carrière dans la science-fiction africaine, il a rédigé plusieurs collections de nouvelles et a produit de nombreux films. Grâce aux donations des ONG, ses films connaissent un joli succès sur les plateformes de streaming, malgré des budgets parfois restreints. Dans « Listening To Her Voice », on suit, dans plusieurs pays africains, le héros qui découvre des sociétés futuristes, en Egypte, au Mali, au Congo ou en Ouganda. Pour l’artiste, les Africains aiment la science-fiction. Leur science-fiction. « Ils ne se retrouvent pas dans ‘Captain America’, ‘Star Wars’ ou ‘Spiderman’, rien de plus normal », affirme Dila. Et côté cinéma et fiction, l’Afrique peut, selon lui, compter sur une maîtrise parfaite des nouvelles technologies.
Mais ce n’est pas tout : selon l’universitaire Peter Maurits, si les Africains veulent leur propre science-fiction, c’est aussi parce que la nouvelle génération « embrasse l’idée du déplacement des centres économiques, scientifiques et culturels loin de l’Occident ». Autrement dit, les Africains veulent imaginer leur monde du futur, pas celui que les Américains ou les anciennes puissances coloniales ont tenté de leur imposer. L’universitaire assure d’ailleurs que la crise financière mondiale en 2008 a permis de développer le genre en Afrique grâce à la « chute de l’impérialisme mondial et de l’establishment occidental en Afrique ». Les auteurs locaux ont pu se réapproprier leur continent, leur culture et leur histoire. Et avec les avancées technologiques enregistrées par plusieurs pays du continent, la science-fiction a de beaux jours devant elle, d’autant que le continent continue de rajeunir et de s’urbaniser.
Could science fiction written in African languages inspire a new generation of researchers and innovators?
🎧 Science 'lost in translation' in Africahttps://t.co/UuaRqxDgpR pic.twitter.com/EudEgO1BkZ
— SciDev.Net (@SciDevNet) August 5, 2021