Le 28 juillet dernier, l’Afrique du Sud a été le premier pays au monde à doter une intelligence artificielle d’un brevet de propriété intellectuelle. Le reste du monde s’interroge. Explications.
L’intelligence artificielle (IA) sud-africaine créée par le génie Stephen Thaler, et baptisée DABUS, est la première au monde à se voir octroyer un brevet d’invention. Après que DABUS a déposé la demande auprès des offices de brevets du monde entier – Etats-Unis, Europe, Australie et Afrique du Sud, entre autres –, l’Afrique du Sud a été le premier pays à accepter la demande, suivie par l’Australie.
DABUS est une IA de brainstorming multifonctionnelle. En 1990 déjà, le premier modèle de DABUS avait inventé, en collaboration avec son créateur Stephen Thaler, la technique la plus rapide de dépôt de diamants au monde. Le programme « Diamonds » était inspiré par le film Star Wars et utilisait un laser pour créer des diamants artificiels dont les tailles étaient en moyenne trois fois plus grandes que ce qui existait jusqu’alors. Un secret industriel que, d’ailleurs, les Etats-Unis ont réussi à s’octroyer après une erreur administrative de l’ancienne société où travaillait Thaler, McDonnel Douglas. Il n’en fallait pas moins pour que l’ingénieur se lance dans un nouveau défi.
Une évolution positive dans le temps
Le brevet délivré par l’Afrique du Sud et l’Australie à DABUS concerne la création d’un « contenant alimentaire basé sur la géométrie fractale ». Autrement dit, DABUS a créé un récipient alimentaire qui conserve mieux la chaleur que les contenants classiques. L’invention semble assez banale, mais elle reste prometteuse. Tout d’abord parce que DABUS a passé les époques, là où d’autres intelligences artificielles, à l’instar d’Elisa, la fameuse IA autonome de Bill Gates, ont disparu ou se sont dégradées avec le temps.
Pour rester performantes, l’IA DABUS a pu agrandir sa base de données année après année. Pour ce faire, elle a bénéficié d’un data center qui lui était entièrement dédié. Son créateur l’a également protégé efficacement contre les cyberattaques. Depuis sa création, DABUS a pu développer ses capacités de traitement de façon exponentielle, notamment grâce à un accès aux banques de données industrielles de l’Etat sud-africain.
Enfin, l’IA a également évolué dans le temps dans l’espace administratif mondial : DABUS a désormais une existence juridique en Afrique du Sud et en Australie. Il s’agit donc la seule IA complètement autonome dans le monde. Le débat fait rage au Royaume-Uni et aux Etats-Unis : la procédure est une première, et le fait que DABUS ait obtenu la paternité d’un brevet rend dubitatifs les industriels occidentaux. Le professeur Adrian Hilton, spécialiste en anthropologie et en éthique digitale, estime que « nous passons d’une époque où l’invention était l’apanage des hommes, à une époque où les machines sont capables de réaliser l’activité inventive ».
La bureaucratie devra s’adapter aux IA
L’équipe à l’origine de DABUS peut savourer les résultats d’un travail titanesque de l’IA. Après la confirmation australienne de l’invention de DABUS, l’Union européenne (UE), le Royaume-Uni et les Etats-Unis semblent enclins à revoir leurs positions respectives concernant le dépôt de brevet. La chambre de recours de l’Office européen des brevets (EPO) a émis deux notifications préliminaires dans le cadre des recours contre le rejet des brevets DABUS. L’EPO a déclaré que, en vertu de le Convention sur le brevet européen, un inventeur, lors d’une demande de brevet, doit avoir la « capacité, selon le droit, d’être l’objet d’obligations et de devoirs ». La procédure orale est prévue le 21 décembre 2021.
L’Université de Surrey, en Angleterre, a quant à elle émis un communiqué de presse dans lequel elle estime que « l’équipe DABUS fait valoir que le statu quo n’est pas adapté à la quatrième révolution industrielle », se rangeant du côté des créateurs sud-africains. Ryan Abbot, professeur de Droit à l’Université de Surrey, qui a dirigé l’équipe d’avocats et de chercheurs qui a déposé le brevet en Afrique du Sud, a souligné que les brevets avaient déjà passé un examen de fond au Royaume-Uni et à l’EPO. « Au Royaume-Uni, par exemple, la demande n’a pas été rejetée, ce qui se produit lorsqu’il y a un problème de fond avec un brevet. Elle a été ‘retirée’ pour non-respect des règles associées au dépôt du formulaire de demande de brevet », indique Abbot.
Should robots be taxed? @ryanavent of @TheEconomist and Ryan Abbott of @UniOfSurrey are debating this onstage at #EmTechNEXT. https://t.co/aZYlFcBNGu
— MIT Technology Review (@techreview) June 11, 2019
L’intelligence artificielle face aux réticences humaines
Si la décision de l’Afrique du Sud de pourvoir une IA de la personnalité juridique s’explique par la puissance industrielle du pays, elle est critiquée dans le monde pour des raisons anthropologiques et non scientifiques. Est-ce vraiment suffisant pour lui retirer le droit de déposer des brevets partout dans le monde ? Les IA comme DABUS peuvent traiter et analyser les données rapidement, en s’adaptent aux informations mises à leur disposition. Ce processus est connu sous le nom de « machine learning ». Une fois la phase d’apprentissage automatique passée, l’IA est capable de créer de manière autonome, sans intervention humaine.
Pour faire de DABUS un modèle du genre, l’équipe sud-africaine a donc décidé de donner des accès larges à leur IA. Au fil des années, de nombreuses IA autonomes sont nées. Avant DABUS, Thaler avait construit une autre intelligence artificielle qui avait réussi à créer de nouvelles partitions musicales et à inventer le design de la brosse à dents à poils croisés. Thaler avait alors lui-même déposé le brevet de cette innovation, plutôt que de laisser son IA s’inscrire. Pour DABUS, l’équipe a voulu que l’IA soit considérée comme l’inventeur légitime du contenant alimentaire. Une idée que l’IA a intégré, et DABUS se considère désormais comme propriétaire des droits de son invention. Ont ensuite suivi des démarches, lancées en décembre dernier.
Reste désormais à DABUS à tenter de s’imposer. L’arrivée de l’IA dans le monde de la propriété intellectuelle a permis de lancer un grand débat entre scientifiques du monde entier. Ceux-ci discutent désormais de la réglementation et des évolutions possibles de la loi. Mais attention : car l’hésitation humaine et les débat incessants pourraient contrarier DABUS. Si l’IA est loin d’avoir un panel de sentiments aussi importants que les hommes, DABUS pourrait devenir inutilisable et perdre de son génie si elle sent qu’elle évolue en milieu hostile. Un scénario digne d’un film de science-fiction, mais désormais devenu réel.
https://afriquechronique.com/lafrique-dapres/lintelligence-artificielle-un-marche-encore-trop-peu-exploite/