A mi-mandat, le président congolais Félix Tshisekedi fait encore face à d’innombrables défis, notamment en termes de sécurité et de lutte contre la corruption.
Alors qu’il annonçait fin juin être candidat à sa propre succession, le président de la République démocratique du Congo (RDC), Félix Tshisekedi, a encore tout à prouver. Le président de l’Union africain (UA), qui devrait prendre la tête de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC) très prochainement, s’est montré à son avantage sur la scène internationale. Mais en son pays, Félix Tshisekedi a encore de nombreux défis à relever. Parmi ses chantiers toujours en cours, la corruption, la grande criminalité ou encore le terrorisme. Depuis le début de la crise politique avec Kabila, le président affirme qu’il ne reculera devant rien pour « nettoyer le pays ». S’il peine à obtenir des résultats dans le domaine de la lutte antiterroriste, le président congolais a prolongé une troisième fois l’état de siège dans le Nord-Kivu et dans l’Ituri. A défaut d’anéantir la menace terroriste, Tshisekedi compte bien mettre fin à la corruption qui règne dans les rangs de l’état-major.
Lire : RDC : 55 personnes tuées, que font les FARDC ?
C’est sans aucun doute la première véritable action coup de poing du président congolais depuis son arrivée au pouvoir : à peine deux mois après sa visite à Goma, à Béni, dans le Nord-Kivu et l’Ituri, les gradés de l’armée accusés de corruption tombent les uns après les autres. La fin d’une omerta ? Félix Tshisekedi avait bien assuré en juin qu’« il y a un problème d’effectif dans notre armée, beaucoup de magouilles minent nos forces de sécurité ». Ses mots avaient été durs : « On tue en silence, on magouille en silence. C’est à ça qu’il faut s’attaquer ». Après les paroles, Tshisekedi est passé aux actes. Car les experts sont unanimes : les Forces armées de la république démocratique du Congo (FARDC) sont capable de pacifier l’est du pays… à condition de faire un grand ménage en leur sein. A Bunia, onze officiers ont été arrêtés pour détournement de fonds. A Beni, ce sont six soldats, dont cinq officiers supérieurs, qui sont détenus pour les mêmes raisons. Parmi les accusés on retrouve trois colonels. Et Tshisekedi, dans cette politique de nettoyage, peut se targuer d’un soutien populaire important.
Une stratégie politique réfléchie
Pour Tshisekedi, la lutte contre la corruption dans l’armée est la suite logique d’une opération mains propres lancée dans le monde politique. En 2020, le président congolais n’avait pas levé le petit doigt pour arrêter la procédure visant son directeur de cabinet Vital Kamerhe. Puis, en décembre de la même année, le bureau de l’Assemblée nationale et sa présidente Jeannine Mabunda avaient été destitués. Puis ce fut au tour du Premier ministre Sylvestre Ilunga et de son gouvernement… A chaque projet de développement au point mort, Tshisekedi regarde vers l’intérieur. Il faut dire que la RDC est, selon les classements internationaux, le 19e pays le plus corrompu dans le monde.
Lire : RDC : Félix Tshisekedi et sa guerre contre la corruption
Mais s’attaquer à la corruption, pas seulement dans les rangs de l’opposition mais aussi chez ses alliés, n’est pas forcément chose facile pour Tshisekedi, qui a été critiqué. Mais politiquement, la méthode est certainement efficace : il a réussi à diviser pour mieux régner, et à instaurer une épée de Damoclès qui flotte désormais au-dessus de nombreuses têtes dirigeants. Il a fallu, pour le président, être habile politique : lorsque son propre parti était visé, Tshisekedi s’est tourné vers l’opposition ; et lorsque la grogne a commencé à être trop présente, le chef de l’Etat a décidé de s’attaquer à la corruption dans l’armée. Et cela ne s’arrête pas là : le président de la RDC a aussi initié deux procédures plus discrètes contre deux autres sources de corruption dans le pays, au sein de l’Eglise et dans le milieu du grand banditisme.
L’ingérence de l’église, une main de fer dans un gant de velours
Car l’influence, trop importante, de l’Eglise était aussi un des soucis majeur du président congolais. Le décès du cardinal Laurent Monsengwo a partiellement mais fin à l’influence de plusieurs prêtres catholiques en RDC. De son vivant, Monsengwo avait réussi à empêcher toute inspection du Saint-Siège au sein de l’Eglise de Kinshasa. Ce n’est désormais plus le cas et la fin de l’impunité de l’Eglise est un véritable atout pour le président Tshisekedi.
Lire : RDC : Le décès du Cardinal Laurent Monsengwo Pasinya
Une délégation du Vatican a effectivement atterri à Kinshasa le mardi 3 août. Plusieurs hauts responsables du pape sont venus officiellement rendre visite aux responsables de certaines paroisses dans le pays. Ils sont également venus discuter des attaques auxquelles est confronté le cardinal Fridolin Ambongo, héritier de Laurent Monsengwo. Ce dernier désire se placer comme l’héritier politique naturel de l’ex-homme fort de l’église catholique de la sous-région. Mais Ambongo a fait l’erreur de s’immiscer dans le bourbier de la désignation du président de la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI). De quoi provoquer une crise : la délégation du Vatican aurait rencontré secrètement, le 4 août, le président Félix Tshisekedi. Des rumeurs dans les rangs des fidèles congolais relatent un possible départ d’Ambongo. Le poids politique de l’Eglise en RDC serait donc plus faible, pour le plus grand bonheur du président congolais.
Lire : RDC : au nom du Père, du Fils… et de la Politique
Fridolin Ambongo — « tâta Cardinal » comme on le surnomme — a, à l’occasion d’une messe d’ordination, décidé de « pardonner les attaquants de sa résidence ». Clairement, pour Ambongo, la politique prime sur le religieux. Toutefois, le nonce apostolique ne s’est pas encore déplacé vers Lingwala, le fief d’Ambongo, et elle n’a même pas encore rencontré ce dernier. Si le Cardinal s’entête à poursuivre son projet politique, il risque encore d’y laisser des plumes.
La « rééducation » des criminels
Le troisième volet sur lequel s’est concentré Félix Tshisekedi a pour objectif d’asseoir son pouvoir et de lancer une grande série de réformes sociales. En effet, c’est la première fois depuis 2014 que l’Etat reprend la lutte contre les « kulunas ». Les gangsters, liés aux plus gros groupes mafieux en RDC, seront jugés par des tribunaux spéciaux. Pour la sixième fois, et malgré la protestation des ONG, la police a initié une campagne contre les Kulunas. Une première vague a permis l’arrestation de 375 criminels notoires. La police les a transférés dans un centre de « réhabilitation », dans le Haut-Lomami, où ils « apprendront un métier ». Le chef de la police de Kinshasa a déclaré : « Il y a du travail champêtre, des métiers comme la menuiserie, la coupe-couture. Ils sont partis à Kaniama Kasesepour pour devenir utiles à la société ».
Des camps de rééducation pour délinquants, il fallait y penser. Mais le ministre des Droits de l’Homme, Fabrice Puela, s’oppose à cette procédure. Il estime que le gouvernement « ne peut pas se permettre ces pratiques ». Cependant, la police poursuit encore à cejour les arrestations. Plusieurs dizaines de criminels et d’anciens criminels se sont faits arrêter dans toutes les régions de la RDC, vendredi et samedi. La police poursuit cette opération de « rééducation » avec l’accord de l’Etat. Quoi qu’il en soit, les forces de l’ordre insistent sur le fait que « la population est contente » pour justifier cette procédure extrajudiciaire. A mi-mandat, Félix Tshisekedi cherche à s’assurer un second quinquennat. Il mise sur sa stratégie de « nettoyage » pour plaire aux électeurs. Alors que le président congolais se concentre sur la diplomatie internationale, son gouvernement, lui, tente de lui ouvrir les portes d’une réélection.