Des dizaines de cadavres ont été retrouvés sur les rives du Tekeze, charriés par le courant depuis l’Ethiopie jusqu’au Soudan. Pendant ce temps, les aides internationales pour les réfugiés arrivent par le nord éthiopien.
Tewodros Tefara, un chirurgien soudanais rescapé de Humera, dans le nord de la région éthiopienne du Tigré, à découvert des scènes macabres. La rivière Tekeze, qui sépare le Tigré d’Amhara et traverse le nord de l’Ethiopie vers le Soudan, a charrié des dizaines de corps. Le Dr Tefara affirme avoir déjà enterré une dizaine de corps au cours de la semaine, et que des pêcheurs soudanais en ont trouvé une autre trentaine. Ces cadavres de Tigréens avaient les mains attachées et des blessures par balles. Ce qui laisse croire à des exécutions sommaires massives.
Reste à connaître l’origine des victimes et leurs bourreaux. Les exécutions ont-elles eu lieu au centre du Tigré, au sud, à la frontière avec l’Amhara, ou bien plus au nord, à la frontière érythréenne ? Plusieurs témoins confirment qu’il s’agit bien de Tigréens, deux cadavres portant des tatouages « tigrinya » sur les bras. Des signes distinctifs qui indiquent l’appartenance des victimes au Front de libération du peuple du Tigré (FLPT).
Alors que les journalistes qui ont obtenu l’accès au Tigré à partir du Soudan, pour la première fois depuis mars, faisaient part de cette découverte lugubre, les convois humanitaires dans le Tigré ont enfin commencé à affluer. Aux commandes du plan d’aide : le secrétaire général adjoint pour les Affaires humanitaires de l’ONU en Ethiopie, Martin Griffiths. L’administratrice de l’USAID, Samantha Power, se trouve depuis deux jours à la frontière soudanaise. Elle prévoit aussi d’aller à Addis-Abeba dans les jours suivants.
A Addis-Abeba, l’ONU impose des conditions
Il semble toutefois que les deux responsables soient de concert. Pendant que Martin Griffiths, arrivé jeudi 29 juillet à Addis-Abeba, faisait pression sur le gouvernement éthiopien, Samantha Power, elle, supervisait la traversée des aides destinées au Tigré.
Ainsi donc, le gouvernement éthiopien, après avoir suspendu Médecins Sans Frontières (MSF) pendant trois mois, a accusé les travailleurs humanitaires d’armer le FLPT. Néanmoins, les belligérants, sur le terrain, ont montré une volonté de coopérer avec les agences humanitaires, installées désormais sur le sol soudanais.
Du côté d’Amhara, le porte-parole du gouvernement régional, Gizachew Muluneh, a confirmé que 200 000 réfugiés se trouvaient dans la région. Quant à la région éthiopienne d’Afar, plus à l’Est, elle aurait au moins 57 000 déplacés à gérer. Entre les trois régions – Afar, Amhara et le Tigré –, 400 000 personnes ont besoin d’aides alimentaires d’urgence. Ainsi, le chef onusien de l’humanitaire a déclaré : « Nous avons besoin de 100 camions par jour pour répondre aux besoins humanitaires au Tigré. C’est un minimum calculé, et non un chiffre surestimé ». « Les accusations des autorités éthiopiennes sont dangereuses », a-t-il ajouté.
Martin Griffiths a aussi déclaré que 122 camions d’aides humanitaires étaient entrés dans le Tigré ces derniers jours. Donc, soit ces camions avaient obtenu la permission d’Amhara et d’Afar du côté de l’Ethiopie, soit ils sont entrés par le Soudan. Quoi qu’il en soit, il parait que face à l’avancée du FLPT, les Etats d’Amhara et d’Afar aient autorisé l’intervention humanitaire, malgré le refus d’Addis-Abeba.
"Blanket accusations of humanitarian aid workers need to stop," said UN humanitarian chief Martin Griffiths, whose own two-day trip to Tigray was delayed when his plane and everyone on board were searched in a process that took five hours. @afp reports:https://t.co/8nIchdUiHk
— Nick Perry (@nickeperry) August 3, 2021
Que fait exactement l’USAID à la frontière soudano-éthiopienne ?
Du côté soudanais, la tournée de la responsable américaine Samantha Power a pris un tournant curieux. Après un passage à Khartoum, ce dimanche, où elle demandait aux autorités soudanaises de travailler sur l’unification de leur armée, elle s’est déplacée le long de la frontière soudano-éthiopienne lundi. On découvre donc que l’Agence des Etats-Unis pour le développement international (USAID) s’occupe d’au moins trois camps de réfugiés massifs sur la frontière entre le Soudan et le Tigré. Samantha Power a déclaré : « Les Etats-Unis ont poussé toutes les parties au Tigré pour un cessez-le-feu immédiat dans l’espoir que les gens comme les Ethiopiens que je rencontre ici puissent rentrer chez eux. Le conflit a engendré d’atroces attaques contre les civils, il impacte des millions (de personnes), il doit cesser ».
La visite surprise de la diplomate américaine, dans une zone de guerre, soulève des questions. Dans un communiqué, l’USAID a précisé que Samantha Power travaillait « indépendamment du gouvernement soudanais ». Du côté de l’Ethiopie, les accusations envers les « travailleurs humanitaires » peuvent bien viser les Américains au-delà de la frontière soudanaise. Cela expliquerait sans doute la présence de l’ONU en Ethiopie et l’ultimatum de Martin Griffiths. En d’autres termes, le responsable onusien offre le choix à Addis-Abeba de travailler avec l’ONU ou de voir les aides humanitaires partir exclusivement vers le Tigré. Ce qui, au vu de la réaction d’Afar et d’Amhara, signifie que le FLPT aura l’avantage des aides humanitaire dans la guerre qui l’oppose désormais aux milices d’Afar et d’Amhara.
#BreakingNews #All Oromia special force who refused to take part in #TIGRAY war were killed in the #desert of #Affar.
After they put their gun #amhara special force came and killed them all.
2nd #AANNOLEE in Affar
— freeoromo (@oromowillbefree) July 18, 2021
Le nord de l’Ethiopie, un no man’s land
En ce qui concerne la guerre au Tigré, la découverte des corps le long du Tekeze indique que les combats sont toujours en cours. Le médecin soudanais qui a partagé les photos des cadavres a déclaré : « Ils ont reçu des balles dans la poitrine, l’abdomen, les jambes… et avaient également les mains liées ». Toutefois, un réfugié éthiopien a déclaré à l’AFP : « Ils les ont attachés avec une corde et ils étaient enflés, il n’y a aucune trace de coups ou de balles. Mais la plupart étaient Tigréens ».
Le gouvernement éthiopien a, quant à lui, estimé qu’il s’agissait d’une « campagne de propagandistes tigréens ». Et deux responsables soudanais locaux des villes de Wadd al-Hilew et Humera ont confirmé les dires du médecin. « Nous en avons trouvé six le samedi, neuf le dimanche et cinq le lundi (les corps) », ont-ils affirmé sous couvert d’anonymat. Avant de poursuivre : « Certains des corps étaient abattus par balles, d’autres étaient mutilés, ils avaient les mains liées. D’autres encore n’avaient aucune blessure visible ». Une dizaine de corps supplémentaires ont été découverts par des réfugiés tigréens près du camp de Hamadayet, sur la frontière soudanaise.
La guerre qui a éclaté en novembre 2020 entre les troupes éthiopiennes fédérales et le FLPT au Tigré a fait 2 millions de réfugiés, dont la moitié affrontent la famine. Elle a connu un revers inattendu fin juin, lorsque le FLPT a repris la capitale du Tigré, Mekele. Depuis, le FLPT a repoussé l’armée éthiopienne au-delà de la frontière avec Amhara et Afar. Actuellement, ce sont les deux régions au Sud du Tigré qui accueillent les combats, menés désormais par des milices locales. Les parties prenantes n’ont accepté aucune trêve ou médiation, ce qui menace de déstabiliser davantage l’Ethiopie, le second pays le plus peuplé d’Afrique.