Le président d’Haïti, Jovenel Moïse, a été assassiné par un commando dans la matinée du mercredi 7 juillet. Dans la « première république noire du monde », la crise socio-économique ne fait que s’aggraver.
Dans la matinée du mercredi, le président haïtien, Jovenel Moïse, a été assassiné dans sa résidence par un commando armé. Les individus parlaient en anglais et en espagnol et n’auraient pas, selon les témoins, rencontré de résistance de la part des gardes. La femme du président d’Haïti, blessée par balle pendant l’attaque, est actuellement hospitalisée.
Le Premier ministre Ariel Henry, nommé ce lundi-même par Moïse, a déclaré l’état de siège dans le pays. Et la République dominicaine, voisin immédiat partageant des territoires communs avec Haïti, a fermé les frontières. Les condamnations pour cette tragédie ont afflué de tous les pays occidentaux. Du président américain Joe Biden, aux diplomates européens, tous déplorent cet « acte barbare et haineux ».
La République d’Haïti partage une relation intime avec l’Afrique. Non seulement c’est le premier pays qui a obtenu son indépendance de la France en 1804, notamment grâce à la « Société des amis des noirs », une organisation issue de la révolution française. Mais dans l’ère contemporaine, les pays africains ont été plus proches d’Haïti que n’importe quel autre pays des Amériques. En raison de l’histoire partagée et des 700 000 esclaves africains qui ont bâti ce pays. Ainsi que de la diaspora haïtienne, très présente en Afrique (Cap-Vert, Sénégal, Maroc, Burkina Faso et Guinée équatoriale), et particulièrement proche des Africains vivant dans les pays occidentaux.
Un commando vient d'assassiner le président haïtien Jovenel Moïse. Un journaliste du média LaDiaspora @journalladiaspo a filmé une partie de l'attaque. pic.twitter.com/mk1WBc60hW
— Loopsider (@Loopsidernews) July 7, 2021
La première république africaine
Haïti est le pays plus africain des Amériques, voire des Caraïbes. Au niveau politique, la guerre froide et la décolonisation ont rapproché les Caraïbéens (Haïtiens, Vénézuéliens, Guyanais et Cubains) des Africains. Les plus grands héros de l’indépendance africaine ont transité par un « stage » aux Caraïbes, à l’image d’Amilcar Cabral et Pierre Mulele. La révolte haïtienne qui a conduit à l’abolition de l’esclavage était menée par l’illustre Jean-Jacques Dessalines, qui était Guinéen.
C’est cette affinité historique entre l’Afrique et Haïti qui a conduit les Etats africains à faire don de 73 millions de dollars à Haïti, afin d’aider les sinistrés du séisme de 2010. Selon le chanteur camerounais Manu Dibango « si les Occidentaux aident les Africains d’Haïti, pourquoi pas nous Africains n’aiderions pas nos frères Africains ? ». L’Histoire récente d’Haïti n’est pas différente de celle de plusieurs pays africains, aussi. Le pays connait plusieurs problèmes économiques et sociaux. Et feu Jovenel Moïse était contesté à Haïti pour ces problèmes. Entre inflation, chômage, corruption, catastrophes naturelles, Haïti est l’un des pays plus pauvres du monde. On considère aussi souvent Haïti comme un narco-Etat, où les élites sont impliquées dans le trafic de drogue.
Cependant, le plus grand malheur d’Haïti est l’insécurité. Qui, en soi, n’est pas vraiment incombant aux pays africains. Mais Haïti reste un pays du Sud. Et l’Amérique latine est en proie aux organisations criminelles depuis des décennies. Toutefois, ce que les Haïtiens dénonçaient, avant tout, était la gouvernance du défunt président Jovenel Moïse. Et il faut dire que depuis son investiture, Moïse a fait face à une grande résistance. Tant et si bien qu’il en était à nommer son 7e Premier ministre ce lundi. Et la vague de contestation apolitique, incroyablement large, que le pays a connu depuis 2018, n’a pas offert d’alternative politique.
Assassinat du Président Jovenel Moïse : Les mercenaires sont sous contrôle, selon Claude Joseph
Le directeur général de la Police Nationale d’Haïti, Léon Charles a confirmé la mort de 4 mercenaires et l’arrestation de deux autres à Pèlerin. pic.twitter.com/bKGjYStc1y
— GABINFO (@GABINFO3) July 8, 2021
La lame du néolibéralisme tranche profondément
On se demanderait à qui profite le meurtre brutal de Jovenel Moïse. Mais à vrai dire, le président était devenu un problème pour tout le monde. Car malgré quelques initiatives en début de mandat, il a été lourdement entravé par l’administration Trump. La crise diplomatique entre les Etats-Unis et Haïti a des racines historiques, car le pays a souffert une occupation américaine entre 1915 et 1934. Cette occupation armée directe a failli faire d’Haïti une colonie américaine. Surtout, elle a été précédée et succédée par une offensive financière occidentale que peu de pays ont connu. Le néocolonialisme à Haïti est une réalité séculaire, et donnerait un exemple des maux de l’impérialisme occidental dans un pays, de facto, africain.
Pourtant, après deux décennies socialistes dans Haïti, les maux du passé ont ressurgi dans les années 1990. Haïti est passé de l’autosuffisance alimentaire à un marché inondé à 57% de produits importés. La déstabilisation du régime de Jean-Bertrand Aristide, à travers un coup d’Etat mandaté par les Etats-Unis, a fini en concessions de la part de l’Etat Haïtien. Le président américain Clinton a médié le retour de la stabilité politique dans le pays, mais Aristide a dû ouvrir Haïti aux sphères financières et commerciales occidentales. Tout cela, au nom des « droits de l’homme et la démocratie en Haïti », un prix de consolation que l’UNESCO a octroyé au président.
Depuis l’avènement du libéralisme économique d’Haïti, le pays est devenu l’un des plus inégalitaires de la planète. Avec 70% des habitants qui vivent avec moins de 2 dollars par jour. Cela expliquerait, notamment, la recrudescence de la criminalité. Aussi, ça justifierait les émeutes haïtiennes entre 2018 et 2020. Où plus de 2,5 millions de personnes se sont livrés à la protestation violente, dans un pays de 11 millions d’habitants.
Non, ce n'est pas un cardiogramme de battements du cœur. C'est la représentation graphique du taux de croissance économique d’Haiti de 1961 à 2018. #EconomieMalade pic.twitter.com/h9uxAxbzj2
— Jeffsky Poincy 🇭🇹 (@jeffsky_poincy) February 25, 2020
Feu Jovenel Moïse, le vide politique et la dictature, exacerbés par l’impérialisme
Le défunt président Jovenel Moïse a été, durant tout son mandat, victime de la pression de la « communauté internationale ». Et du haut de son expérience d’exportateur de bananes, il n’avait pas la solennité d’adresser les problèmes socio-économiques. Finalement, l’absence de gravitas de Jovenel Moïse a renforcé l’opposition haïtienne hétéroclite. Le Parti haïtien Tèt Kale (PHTK), du président, a exaspéré la crise politique. De nombreux scandales font état de relations entre le PHTK et des réseaux mafieux. notamment, 3,8 milliards de dollars d’aide du Venezuela ont été détournés. Et ce ne sont pas uniquement les oligarques haïtiens qui ont endossé la responsabilité, mais bel et bien le président.
Entre le début de 2020 et aujourd’hui, la mobilisation contestataire contre Jovenel Moïse a été atténuée par la crise sanitaire de la Covid-19. Néanmoins, force est de constater que le contexte sanitaire, et la crise économique, ont affaibli davantage l’Etat haïtien. Outre les mesures néolibérales dictées par le FMI, le vide politique s’est créé. En 2020, Haïti a connu quatre Premiers ministres. Et le pays n’a plus de parlement depuis des années.
Le dernier clou dans le cercueil politique de Moïse a été ledit « Core Group ». A savoir la médiation internationale de la crise haïtienne, composée de l’ONU, l’UE, les Etats-Unis, la France et l’Espagne. Et ce cercueil politique n’a fait qu’encourager le crime organisé, la nouvelle bourgeoisie qui conduit ses affaires avec l’appui des mercenaires occidentaux et la répression des libertés individuelles. Aujourd’hui, Jovenel Moïse est mort assassiné, et Haïti, que l’ancien président américain Donald Trump qualifiait de « toilette des Amériques », n’a aucune alternative politique. Quatre des assassins de Moïse ont été tués par la police dans la nuit, et deux sont en état d’arrestation. Il reste à savoir qui a mandaté le crime, et à qui profite-t-il ?
Qui avait intérêt à se débarrasser de Jovenel Moise? pic.twitter.com/dcdzt0Nno8
— wilbens chery (@coachbenbens) July 8, 2021