Au lendemain du bombardement de mardi à Togoga, dans le Tigré, qui a fait 64 morts et 180 blessés, le ministre éthiopien des Affaires Etrangères se trouvait en Russie, à la recherche d’un allié.
Les images du bombardement de ce mardi 22 juin ont choqué le monde entier et embarrassé davantage les autorité éthiopiennes. Ces dernières qui confirmaient avoir ciblé des rebelles du TPLF, ont été démenties par les photos qui montrent les cadavres de civils, dont des enfants. Toutefois, le gouvernement d’Abiy Ahmed avait les yeux rivés sur Moscou. En effet, le ministre éthiopien des Affaires Etrangères, Demeke Mekonnen, rencontrait Sergei Lavrov.
L’Ethiopie subit des pressions internationales de tous bords. C’est justement à cause des massacres, comme celui de Togoga, que la diplomatie éthiopienne passe son temps à justifier les exactions de l’armée. Depuis novembre 2020, l’Ethiopie a perdu tous ses alliés historiques un par un. En tête de liste : les Etats-Unis, la Suisse, Israël et le Koweït. Ce qui a mis Addis-Abeba face à un monopole de la Chine, au niveau financier et commercial. Sans oublier les Emirats arabes unis, l’Inde et la Turquie, qui restent des partenaires économiques mineurs en Ethiopie par rapport à d’autres pays de la Corne de l’Afrique.
Rappelons aussi que la Russie, qui espérait voir son entrée sur la scène régionale se concrétiser au Soudan, a subi une défaite stratégique. L’Etat soudanais a annulé l’accord sur le port militaire russe en construction sur la Mer Rouge, fin avril. La Russie a donc accéléré l’agenda de vente d’armes au Soudan du Sud. Ce qui est considéré comme une réponse directe à la nouvelle alliance entre la France, l’Egypte et le Soudan.
Ethiopie – Russie : Une visite secrète
La visite de Demeke Mekonnen en Russie était inattendue. L’Ethiopie, comme la Russie, l’a soigneusement gardée secrète jusqu’à mercredi soir. Le ministre russe des Affaires Etrangères, Sergei Lavrov a déclaré l’intention de Moscou d’approfondir la coopération entre les deux pays.
« Notre coordination diplomatique (entre l’Ethiopie et la Russie, donc), a été mutuellement bénéfique. Surtout à l’ONU, où nos pays soutiennent les mêmes positions », a déclaré Lavrov. Il est indéniable que la Chine a fait office de « protectrice » de l’Ethiopie dans les instances internationales. Toutefois, la Russie a usé de son véto au Conseil de sécurité de l’ONU à deux reprises, en faveur de l’Ethiopie.
Pourtant, plusieurs spécialistes, à l’instar de Sofia Farhat, ont estimé que la Russie cherchait à empêcher les Etats-Unis d’aborder le dossier du Tigré. Ce qui convient à la ligne diplomatique dure de Moscou. Or, on apprend donc, via Sergei Lavrov, que la position de la Russie soutenait activement l’Ethiopie.
Selon Andreww Korybko, du Conseil russe pour les affaires internationales, l’Ethiopie chercherait à « équilibrer sa dépendance géostratégique disproportionnée ». En effet, la Chine pèse lourdement sur la dette éthiopienne. Et son monopole devient de plus en plus évident à mesure que l’Ethiopie s’isole.
Les enjeux russes et un Etat éthiopien de mois en moins défendable
Pour la Russie, l’Ethiopie représente une alternative au Soudan et à la Somalie. Là où cette dernière est instable politiquement, et très dépendante économiquement de la Turquie. Le Soudan s’est clairement rangé du côté de l’Egypte et de l’Europe. L’Etat soudanais était aussi revenu sur ses promesses à Moscou, unilatéralement.
Le retour du Soudan sur « l’accord de 25 ans » avec la Russie, datant de décembre, a mis un coup d’arrêt à la construction de la première base navale russe en Afrique. Et avec l’entrée en scène du FMI et de la France, offrant 5 milliards de dollars et un rééchelonnement du restant de la dette soudanaise. La Russie ne s’est pas investie plus longtemps au Soudan.
Or, la Russie a des intérêts à la fois en Afrique et en Mer Rouge. Et avec le Royaume-Uni et les Etats-Unis bien établis dans l’Est de l’Afrique australe, peu de choix s’offrent à Moscou. Une coopération avec l’Ethiopie est une chance unique pour la Russie. Que cette dernière ne laisserait pas passer.
Toutefois, la Russie est très minutieuse dans son choix de partenaires africains. Et l’Ethiopie occupe les titres de presse depuis des mois. Le gouvernement belliciste d’Abiy Ahmed, et les massacres que son armée commet au Tigré, représentent une charge diplomatiquement considérable. Aussi, la communication internationale éthiopienne a été démantelée. Au début, la presse occidentale a révélé la présence des troupes érythréenne au Tigré et les crimes commis par les troupes d’Amhara. Ensuite, à mesure que l’Ethiopie faisait des déclarations à propos du Tigré, la diplomatie américaine, et ensuite européenne, ont mis en évidence les mensonges de certains dirigeants éthiopiens. Puis, l’ONU a publié deux rapports sur le « nettoyage ethnique » que fait l’Ethiopie au Tigré. La Russie se teindra-t-elle aux côtés de l’Ethiopie si le nombre de civils morts au Tigré atteint des chiffres record ?